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Rentrée 2017 : L’école n’est plus l’école à Lol School

école

Lol School

 

J’étais en troisième. À Saint-Brieuc. Le professeur dictait lentement. Le texte se déroulait plus difficile que d’habitude et la prose de George Sand me donnait ce jour-là du fil à retordre. Écrite et présentée très soigneusement, rendue tout aussi religieusement dans cette école provinciale toujours tranquille, la copie revint la semaine suivante traversée d’un zéro rouge dont je me souviens encore aujourd’hui. C’était l’époque de la faute de grammaire à quatre points, de la faute d’usage à deux points, de la faute d’accent à un point. Cinq fautes. Zéro sur vingt. Quelle déception ! Ce fut l’unique fois. Le portrait de Bernard Mauprat resterait gravé dans ma mémoire d’écolière. Loin de me décourager, il m’aiguillonna et bientôt, de nouvelles réussites se succédèrent. La sévérité du barème n’y était pas pour rien.

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Pourquoi raconter cette anecdote d’enfance dès l’abord de ce propos ? Parce qu’elle semble parler d’une école qui s’en va, d’une école qui semble ne plus s’attarder avec la même ferveur au bien-écrire et dont la dictée ouvrait l’élégance autant que la politesse. Plus attentive au vivre-ensemble et à ses valeurs républicaines, à ses inégalités à gommer, plus attachée à son idéologie laïciste, l’antique institution semble avoir démissionné de ses prérogatives : instruire et transmettre l’essentielle écriture, gage de liberté et de justice. Ce faisant, elle devient elle-même la cause même de son échec. En est plus coupable également.

On rira sans doute. Aujourd’hui, quel élève serait mortifié par un zéro que l’on obtient avec vingt fautes ? Aujourd’hui, quel élève se remettrait en cause pour une mauvaise note ? Tout de suite, peut-être même aidé par ses parents, n’aurait-il pas plutôt tendance à stigmatiser l’exercice lui-même, le discernement du professeur, sa fameuse « progression pédagogique » ? Combien en effet se disent que la dictée fait partie d’une autre époque, que le correcteur orthographique, évoluant vers des performances toujours plus exceptionnelles, sera le nouveau sésame ? Nous vivons une époque absolument moderne. Qu’on se le tienne pour dit. La dictée surannée serait passée de mode. Un membre du jury de Capes lui-même ne soupirait-il pas à mon effarement devant la dissertation d’un futur professeur, truffée de fautes : « Oh, l’orthographe, vous savez… ! »

Chers parents, réveillez-vous ! Ce genre de fausses excuses ne peut plus passer comme si l’on n’apprenait plus à marcher au XXe siècle comme au temps d’Héraclite ou de Victor Hugo. Comme si certains gestes d’éducation devaient absolument évoluer avec le temps. Y aurait-il dix mille façons d’aller à bicyclette ? Alors qu’écrire juste devient plus important que jamais dans un monde numérique, dans une ère du code on ne peut plus tatillon, l’on achemine pourtant dans la vie professionnelle, et sans honte, à tous les niveaux, des générations de jeunes qui font des fautes à tous les mots.

L’effritement se réalise sans bruit depuis des années jusqu’à l’effondrement en cours perçu désormais par nombre d’entreprises qui achètent à prix d’or des remédiations. Aujourd’hui, les dernières pierres de l’édifice roulent sur le déni des différents ministres de l’éducation nationale. Pendant ce temps-là, un acteur du numérique m’avouait qu’il sélectionnait en priorité des CV mentionnant des langues anciennes ou des langues vivantes à déclinaisons, des demandeurs d’emploi plus rigoureux en matière de code que les autres. Inégalité entre ceux qui savent manier la langue et  ceux qui ne la manient pas en en portant à vie l’humiliation !

Précieuse dictée

La dictée, que certains aiment à penser bien rapidement exercice des sots ou signal de classe sociale, reste à mes yeux un exercice privilégié maintenant que je suis de l’autre côté du bureau. Contre les exercices à trous ou à un seul objectif, elle propose de réfléchir à plusieurs difficultés en même temps, à prendre en compte le contexte. C’est le sens et pas le seul automatisme qui commande. Elle exige méthode, rigueur, et concentration. Réalisée de manière régulière et fréquente, la dictée rend au centuple ce qu’elle a exigé avec méthode, cette rigueur et cette concentration si formatrices.

Nos enfants-rois, faisant plier parents et professeurs, ne trouvent pas anormal de gagner le cent mètres après de longs entraînements rébarbatifs, ne trouvent pas insensé qu’une danseuse étoile évolue si légère après tant d’heures d’arides exercices de barres. Incohérents, ils rechignent pourtant à l’entraînement intensif concernant leur esprit. Car, oui, la dictée est un exercice spirituel, un exercice spirituel exigeant, encore faut-il être d’abord convaincu de la dignité de l’esprit, de la pensée et de son éducation lente ; la main tenant la plume obéit à l’esprit qui réfléchit lentement et en silence, l’oreille entendant la pensée d’un autre.

C’est un combat. Les mots qui se bousculent résistent et ne se donnent pas facilement. Il peut y avoir de la panique même à leur irruption désordonnée et volatile. Mais une fois couchés sur le papier, ils sont là. Bientôt ils seront fixés, ou bien écrits ou rayés d’un trait rouge, la bonne orthographe offerte, partagée à la fin. Victoire ! Il n’y a pas lieu d’être humilié. La note ne sanctionne qu’un exercice, pas la personne qui le réalise. Je me souviens de Clovis et des soixante-douze fautes d’orthographe de sa première dictée en quatrième. Je faisais mes débuts dans le métier. Jamais je n’ai assimilé l’élève à la note, Clovis à sa copie. Il fait même partie de mes bons souvenirs de professeur.

Pinocchio à Lol School

La vulgate répète. Atteinte de psittacisme aigu, elle redit tant qu’elle peut, bêtement, que l’école doit se rendre attractive, et pour cela métamorphoser en jeu l’enseignement rébarbatif de ces vieux grincheux de maîtres. La démagogie atteint des sommets dans les couleurs et la place accordée à l’illustration dans les livres scolaires. Des collections entières présentent des programmes de révisions de manière décomplexée. Sur twitter une blonde en maillot de bain et chapeau de paille sur la plage dicte chaque jour sa phrase de dictée. Place au ludique ! Place au rap même pour mémoriser une leçon comme aujourd’hui dans un manuel d’allemand ! Il est parfois des maîtres pour mettre ces gesticulations creuses en pratique.

On apprendrait donc mieux en s’amusant. Et même si l’école est le seul endroit où cette ineptie a cours, le mot d’ordre des années soixante-dix perdure, inoxydable cinquante ans plus tard : on apprend mieux décoincé. Le pire ennemi de l’enfant, du jeune, c’est l’ennui, nous assène-t-on du soir au matin. Qu’à cela ne tienne ! Transformons l’école en Pays des Jouets où tout est dit avec un grand sourire, transformons les élèves en pinocchi écervelés : continuons à leur dire « C’est bien », « C’est mal » sur le même ton. Pire, à ne plus dire « c’est mal ». À dire même « c’est bien » quand c’est mal.

Plus rien d’imposé, rien, ni stylo à plume, ni écriture… Quoi, vous osez intervenir sur l’écriture, la personnalité ? Malheur à vous ! s’indigneront moult psychologues. Et tant pis si le temps, ayant fait ses ravages et mode obligeant, il faut ensuite de toute urgence faire appel à un onéreux graphothérapeute quand en réalité seule l’école a failli à sa mission. Nous ne parlons pas ici évidemment des cas à part de dyslexie…

L’enfant doit être acteur de son savoir et de ses méthodes, répète-t-on encore. Les conseils pleuvent pour que nous, les maîtres, laissions s’exprimer ses monumentales aptitudes à la fantaisie. Il apprendrait mieux en se balançant sur sa chaise, en le laissant rêver, en ne lui imposant qu’une seule consigne… Décontracté, assis à une table de quatre, le jeune dialogue avec ceux de sa table, n’a plus les vis-à-vis de l’adulte qui sait. D’ailleurs, que sait-il vraiment cet adulte ? Le soupçon s’insinue dès le premier jour de la rentrée. Et tant pis pour le brouhaha. Tant mieux, croit-on, pour le savoir.

Sans silence, sans concentration, ainsi va l’enseignement aujourd’hui. S’il se maintient encore dans quelques bons établissements, c’est de moins en moins partagé. Bien sûr, il y a toujours ces professeurs « bahutés » qui n’ont jamais réussi à imposer une quelconque autorité. Mais il ne s’agit pas de cela : je parle de ces classes au bruit permanent, choisi, voulu, ennemi de l’intelligence. Demain organisé dans les classes inversées. Bienvenue à Lol School !

Tabula rasa

La conception en vogue doit être pourtant remise en question. Nombre de pédagogues – pégagogistes ? – partent de la théorie platonicienne : le maître n’aurait qu’à activer ce que l’élève aurait déjà en lui. Dans les pas de Socrate, pense-t-on, il s’agirait, dans une perspective de maïeutique, de faire accoucher ces esprits qui n’auraient au fond rien à apprendre, le savoir étant déjà là. Par des interrogations bien orientées, le savoir naîtrait quasiment tout seul et en réalité sans effort. À une nuance près : on oublie vite que la manière de procéder de Socrate ne concerne pas un apprentissage de masse. Raison pourquoi cette vision des choses, ressassée, toute séduisante qu’elle est, nous fourvoie depuis des décennies.

L’enfant, celui qui apprend, ressemble davantage à une tablette de cire vierge, est tabula rasa. Son esprit doit être nourri et forgé par l’expérience. La passivité de son esprit doit être vaincue et son activité sollicitée sans cesse par le savoir d’un autre. Vision aristotélicienne de l’apprentissage, elle s’oppose à la précédente largement en cours et rejoint mes préoccupations de professeur.

C’est la raison pour laquelle les exercices de reconnaissance de fautes, très suivis sur twitter, lancés par des plateformes riches, me surprennent. Ce que repère immédiatement l’œil, ce qui impressionne l’esprit, c’est le mot faux et non le mot correct. Je reste plus que sceptique sur la réelle efficacité de ces exercices piégés et piégeants. À l’inverse, quand les connaissances acquises sont bien acquises, si pour une raison ou une autre l’oubli venait à s’installer, il y a des chances qu’une réactivation soit possible rapidement. À preuve ce beau passage du roman Globalia de Jean-Christophe Rufin (Paris, NFR Gallimard, 2004).

      Depuis combien de temps n’avait-il pas tenu ainsi une plume contre une page blanche ? Cela remontait à son enfance, pendant les deux années qu’il avait passées chez sa grand-mère à Carcassonne. Elle avait insisté pour qu’il ne joue pas à écrire, comme les autres enfants, mais qu’il apprenne vraiment cet art désuet si longtemps pratiqué, dont tout procédait et qui pourtant avait presque entièrement disparu. La vieille dame et son petit-fils se tenaient près de la haute fenêtre qui donnait sur les remparts. La majestueuse cité avait été bien sûr recouverte par une coupole de verre, mais cela n’ôtait rien à sa magie médiévale. Puig avait adoré ces voyages en rêve, une plume à la main. Il lui semblait s’engager sur d’antiques chemins, en suivant sur le bois blanchi et aplani de la feuille la ligne sinueuse des lettres, en caracolant à la tête d’un convoi de mots, une armée de phrases lancée à l’assaut de l’inconnu.

      Le papier qu’il avait acheté était d’assez médiocre qualité, un peu jaune et granuleux. Le stylo ne valait rien non plus. Cependant, quand il sentit son poignet se mettre laborieusement en marche, ses doigts se crisper et les yeux se tendre vers la surface brillante de la feuille, Puig ressentit le même plaisir que jadis. Il lui faudrait un peu de temps pour retrouver son ancienne agilité. Les lettres s’enchaînaient péniblement, lentes et vibrantes comme une lourde charge qui s’ébranle. L’effort pour conduire la plume était si intense qu’il ne pensa même pas à ce qu’il allait écrire. Quand il fut venu à bout de la première phrase, il plaça un point bienvenu. S’étant redressé, il lut à haute voix ces quelques mots qui d’abord de guingois, finissaient bien raides et debout : 

      « Aujourd’hui, moi, Puig Pujols, je suis libre. »

Le texte de Jean-Christophe Rufin que j’ai tenu à reproduire ci-dessus est extrait d’une dystopie. Le roman nous plonge dans un monde futuriste globalement numérique. Privé de son super-smartphone à tout faire, un jeune journaliste, Puig Pujols, devenu un paria de la société, se rend à l’évidence : sa seule possibilité de survivre passe par un écrit à l’ancienne, par le stylo sur une feuille de papier, pratiques oubliées mais en lui car bien apprises. Ironie de l’affaire ; ces deux antiques choses, il ne les trouvera qu’au rayon jouets et au rayon bricolage d’enseignes de ce monde totalitaire.

L’école numérique

Les beaux paragraphes de notre académicien n’ont jamais été autant d’actualité. L’école réfléchit en effet sur le passage au tout numérique : livres dématérialisés, tablettes dans toutes les classes, tableaux blancs interactifs. Plus personne n’ignore cependant à quel point cela coûte cher, combien le matériel est fragile et capricieux, vite obsolète. Les études se succèdent quant à elles pour avertir des dangers des écrans sur les jeunes esprits, des périls pesant sur les données si précieuses, objets de tant d’âpreté vénale. Certains bons lycées s’étant engagés parmi les premiers dans l’expérience du manuel numérique reculent pourtant pour la première fois et reviennent au livre papier.

Mais pourra-t-on longtemps résister au rouleau compresseur du numérique ? En classe préparatoire où j’enseigne, les élèves m’ont demandé, il y a une dizaine d’années déjà, si j’acceptais l’intrusion de leurs ordinateurs dans mon cours. J’ai alors osé sortir mon joker et demandé trois jours pour réfléchir à ma réponse. Après réflexion et après avoir longuement discuté avec des collègues, j’ai expliqué mon refus. Tant que les épreuves écrites des concours se réaliseraient sur papier, les notes de mon cours seraient prises sur papier. Il n’y a eu, étrangement, aucune fronde, à cette époque comme aujourd’hui. Les élèves comprennent vite une exigence avec horizon quand l’enjeu est l’obtention d’un concours de haut niveau.

Correctrices depuis de nombreuses années, je sais quelle bonne ou mauvaise impression donne très vite la lecture des premières phrases d’une copie. Que ce soit au baccalauréat ou au Capes de lettres, une copie sans habitude d’écrire se repère au premier coup d’œil. Quand je dis « sans habitude », pèsent dans mon appréciation autant la calligraphie de l’écriture, l’orthographe, que la richesse du lexique et de la syntaxe. A-t-on déjà vu un bon pilote d’hélicoptère sans heures de vol ? Combien de copies malhabiles aujourd’hui écrite au stylo à bille, aux signes orthographiques élémentaires malmenés, à la ponctuation ignorée ? Combien d’élèves ne savent plus accorder un verbe avec son sujet, aligner un texte, couper un mot quand ils l’exigent pourtant de leur traitement de texte préféré ?

Des étudiants vous arrivent avec mention Bien ou Très bien au bac mais lâchent jusqu’à quarante fautes dans leur première copie de prépa qui ressemble davantage à un brouillon d’école primaire qu’à une copie de concours. Combien d’entre eux sont-ils ainsi passés, pendant tant d’années, celles du collège et du lycée, au travers des mailles du filet ? Faut-il qu’il y ait eu tant de professeurs sur leur route pour ne pas les entraîner, pour ne pas les corriger ?

Alors me traverse l’esprit que l’on pourrait rémunérer de manière très contractuelle les évaluations scolaires. Un peu comme l’avocat à l’acte. Que l’on devrait rejeter une fois pour toute les exercices sans rédaction, les exercices à trous, les QCM, les interrogations à réponse d’un mot. La photocopieuse serait moins souvent en panne. Que l’on devrait revenir de manière entêtée à l’écriture cursive, avec ses hampes et ses jambages, à cette écriture « qui court », tellement plus rapide que l’écriture script anglo-saxonne et dont toute une intelligentsia se pique. Qu’il faudrait imposer l’encre d’une plume légère avec ses contrastes tellement plus lisibles que l’uniformité du lourd stylo à bille. Renouer avec une bonne et belle disposition de la page. Pour qui écrit-on ? Pour soi ou pour un lecteur, fût-il un correcteur inconnu ? Ne tient-il pas entre ses doigts le stylo qui mettra la note ? N’est-il pas à ménager hautement ?

Aucune nostalgie dans tout cela. Aucun goût pour un quelconque passéisme. Partout dans la vie professionnelle il y a contraintes. Jamais celles-ci n’ont été autant battu en brèche à l’école. Cherchez l’erreur.

La classe inversée

Un signe de ces temps insensés ? La classe inversée. On nous rebat les oreilles de la classe inversée. Sur les réseaux sociaux, bien des comptes favorables à cette pratique sont poussés par des instances officielles de l’Éducation nationale. Dans la perspective qu’il faudrait rendre le maître passif et l’élève actif, on imagine, grâce aux moyens numériques et aux contenus en accès libre, que l’élève reçoive sa leçon chez lui et n’ait plus qu’à passer aux exercices pratiques à l’école, école qui ainsi se montrerait enfin plus concrète et à la hauteur égalitaire de sa mission. Ainsi seraient inversées des pratiques dont on pense en haut lieu aujourd’hui qu’elles sont obsolètes.

Associé à cette nouveauté qui a déjà cours dans nombre d’écoles, l’espace classe se réaménage. Dans une classe au cours traditionnel, les tables font face au maître devant un tableau. Dans une classe inversée, de petits groupes d’élèves s’organisent, par quatre par exemple, les élèves n’ayant en face d’eux que d’autres élèves. Au passage, cela ne peut d’ailleurs concerner que de petits effectifs comme le révèlent sur les réseaux sociaux de multiples visuels, vingt élèves au plus. Cela est tout bonnement impossible à trente-cinq élèves voire à plus de quarante élèves. Le maître se montre discret, accompagnant, circulant de table en table, jusqu’à s’effacer finalement en gentil animateur. En réalité, plus de maître en vis-à-vis. En définitive, plus de maître du tout. Le recours à la vidéo avec l’autoritarisme de l’image, qui autrefois était le lot des professeurs paresseux, devient systématique et plébiscité par tous, moteur d’un progrès incontournable. L’œil est plus sollicité que l’oreille. La vitesse est de mise plus que la lenteur, le brouhaha des échanges plus que le silence porteur. Comment l’intelligence ainsi malmenée pourrait-elle être nourrie comme il convient ?

Les professeurs ne resteraient-ils plus les chevilles ouvrières de l’enseignement ? Qu’ils aient à se renouveler, à utiliser avec discernement des moyens modernes, soit. Mais redisons-le, leur compétence, leur expertise n’ont rien à voir avec celles des gentils organisateurs du Club Méd.. Sans être des prix Nobel, ils tiennent encore une place irremplaçable. Loin d’être des modèles parfaits, ils ont un rôle humain des plus important. Le nombre d’heures passées devant élève exige en revanche que leur parole soit juste et pleine, loin de toute idéologie.

Ayons toujours en mémoire ce que signifie le mot professeur, un beau mot. Dérivé qui ne se met pas au féminin, il est formé du préfixe pro- en avant, et du radical -fess– dire, parler, le suffixe -eur désignant la nature du mot, ici un nom. Le professeur, c’est donc celui qui parle devant élève, celui qui transmet ce qu’il a lui-même reçu et travaillé. D’où le soin zélé que l’école a toujours porté à cette parole. D’où l’importance de l’écoute et de l’oreille attentive en classe et par là d’une intelligence qui grandit. Ce que nie la classe inversée qui voudrait au fond, sans le dire explicitement, éliminer le professeur au profit de la machine. Et c’est déjà, hélas, plus ou moins là.

Le boom du parascolaire

Parallèlement à l’échec d’un certain type d’apprentissage lié également à des types de manuels idéologisés, le domaine parascolaire se montre florissant et radieux. Des professeurs bardés de diplômes comme il faut, louent leurs services à de grandes maisons d’éditions et écrivent des opuscules que l’école ne choisira jamais comme manuels de classe. Payants à la différence des manuels contestables et subventionnés, ces livres renouent comme par hasard avec des méthodes d’apprentissage traditionnelles. Que ce soit la méthode de lecture syllabique ou l’orthographe, ces fascicules, ces essentiels, les présentent comme aucun professeur n’oserait plus les exposer devant un inspecteur.

Le marché connaît pourtant un succès non démenti. Le paradoxe devient alors scandale : on refuse une stricte chronologie en histoire, mais le parascolaire la réhabilite. La méthode globale ou semi-globale continue ses ravages en primaire, mais le parascolaire n’a jamais autant réussi dans ses offres de méthodes syllabaires, la méthode Boscher continuant par exemple à se vendre magnifiquement à la FNAC se diversifiant même en cahiers de TP, coffrets et autres valisettes vendus même sur Amazon.

Est-il ainsi normal que les apprentissages défaillants d’une école soi-disant gratuite doivent être repris par des outils payants à la maison ? Est-il ainsi juste que des familles averties et socialement élevées puissent remédier quand d’autres, sans le sou ou trop candides, ne voient pas la catastrophe se profiler ? Est-il acceptable que tant de générations d’élèves sortent illettrées de leur école – je ne dis pas analphabètes, quoique… Que cela dure tant d’années est proprement inimaginable ! Tant de ministres se sont succédé, tant n’ont voulu ni pu rien faire.

Comment ce que nous avons reçu de plus précieux en partage, la langue, peut-il être à ce point retenu, caché, transmis sous le manteau ? Oui, il y a scandale, et scandale d’État. Car apprendre à lire et à écrire à tous n’est vraiment pas le plus difficile à organiser. Il n’est pas besoin de plus de moyens. Il y faut juste de bonnes méthodes et des professeurs formés. Lisons ces lettres de Poilus qui n’avaient pour certains même pas le certificat d’études. Chacun est surpris par la correction de la langue, la richesse de vocabulaire et la rigueur de la syntaxe de ces lettres si émouvantes. Comment les maîtres du début du XXe siècle ont-ils pu réaliser une tâche d’une telle ampleur ? Qu’avaient-ils donc de plus que nous les maîtres du XXIe ?

Examens et concours

Enseignant en première S et en classes préparatoires EC, je suis surprise par la motivation des élèves de ces classes-là. Il n’y a pas à tortiller, donner un but motive ! Dans un temps qui ne permet quasiment plus le redoublement, où le passage dans la classe supérieure est automatique, l’élève n’a guère d’émulation. Or, voir le bout du chemin en perspective dynamise, finalise. Je le vois tous les jours avec les contrôles de fin de semaine, les examens des épreuves anticipées de français ou les concours des grandes écoles. Certes, j’entends déjà les grincheux qui vont mettre en cause la pression, le fait de travailler pour la carotte et en fonction des souhaits parentaux de réussite mais qu’importe : mon expérience me montre à quel point l’évaluation de fin d’année, même imparfaite, est efficace et formatrice. Examen, concours ne doivent plus être des gros mots. Le mérite a besoin de nombreux paliers.

Je fais le rêve que l’on remette à l’honneur compositions et examens de passage. Les programmes seraient ainsi automatiquement uniformisés et tenus. Avec oraux individuels dans les classes de lycées à côté des écrits. Tout devrait y être anonyme, écrits et oraux, parfaitement neutre. Contrairement à ce qui est évoqué régulièrement, à savoir la suppression du baccalauréat et d’autres examens, je souhaiterais donc non seulement leur maintien mais plus encore leur consolidation, leur extension à toutes les classes. Partout dans la vie professionnelle, il y a évaluation et diverses mises à l’épreuve. Et l’école ne préparerait pas tout le monde à cela ?

Tenue vestimentaire à l’école

Mes souvenirs se bousculent au moment où j’écris ces lignes. L’un d’eux, parmi les plus marquants, me renvoie à une session de baccalauréat. C’était au mois de juin, par une journée chaude d’un été commençant, comme toujours. J’avais déjà corrigé des copies qui relevaient plus du FLE que d’une classe de première, l’une d’elles étant même écrite au crayon de papier.

Je reçois dans la même session, à l’oral cette fois-ci, des élèves de lycées variés quoique nous ne soyons pas en ZEP, ni même dans une banlieue à problèmes. Nous étions en plein Paris, rive gauche, quand l’un des candidats attribués à mon jury s’est présenté en bermuda à fleurs et en tongs. Ébouriffé, il avait l’air d’être tombé du lit et semblait prendre l’examen de manière très désinvolte, être déjà prêt à prendre l’avion pour de lointaines îles paradisiaques.

La faute à qui ? Au candidat ? Peut-être mais plus encore aux parents qui l’avaient laissé se présenter à un examen ainsi, à l’école surtout. Qu’une école ne prépare pas ses élèves aussi sur ce plan-là, vestimentaire, est tout bonnement insensé.

À la décharge de ce candidat, soulignons que la mode ne propose aux jeunes que des baskets ou des t-shirts sans forme aux logos énormes et m’as-tu-vu quand ils ne sont pas indécents pour les filles. On n’apprend plus qu’à telle situation, qu’à telle circonstance une tenue convient : le bermuda négligé et les pieds nus dans des tongs doivent être réservés à la ville côtière. L’école à Paris préfèrera une tenue sobre et juste. À force de considérer toute politesse ou tout souci des apparences comme hypocrisie et conformisme, l’école finit par sacrifier aux modes les plus vulgaires et n’accueille plus en son sein que des individus débraillés dont le souci ne paraît décidément pas être le travail. La tenue des maîtres n’est pas non plus exempte de reproches.

***

Dans quelques jours, j’entamerai ma trente-quatrième rentrée sous mon dix-septième ministre. Ont déjà défilé devant moi plus de quatre mille élèves. Il est difficile de se souvenir de tous mais ceux que l’on garde en mémoire ne sont pas forcément les plus brillants. Pendant un an, tous ont créé le cru que vous avez essayé de soigner avec le meilleur de vous-même. Un bon cru, vous l’espérez toujours. Comme un vin, ces jeunes en devenir vont donner la bonne odeur du travail et des progrès. Mais comme un vin, ils transformeront le meilleur de ce que vous leur avez appris longtemps après. Bien sûr, vous n’êtes pas la seule sur leur chemin, vous le savez, heureusement, mais nul doute que l’instituteur ou le professeur de lettres ne comptent davantage dans leur cursus.

Au-delà des impairs, des manquements, des insuffisances, restera la satisfaction d’avoir contribué à la croissance d’une personne humaine. Haute mission s’il en est. Enseigner aujourd’hui comme hier quand j’ai choisi sans hésiter cette voie, me paraît toujours le plus beau métier du monde. Il n’y a rien en réalité de plus grand. C’est premier. L’urgence est donc aujourd’hui totale.