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PMA sans père : la lâcheté des asservis

PMA
Photo H.B. – 17 nov. 2012 – 1ère manif : 200 000 personnes

Depuis la bataille de 2013, depuis la première énorme manif même du 17 novembre 2012, on le savait. L’enjeu du Mariage Pour Tous, c’était la filiation humaine. Les pancartes et les longues banderoles déployées, photographiées à l’envi lors des très nombreuses manifestations de rue, en témoignent toujours. Les tenants de ce basculement inédit avait beau déplacer déjà les attaques sur le terrain de l’homophobie pour intimider, le cœur de la question était bien celui-là : la PMA sans père ensuite pour toutes et la GPA pour les couples d’hommes enfin.

Nous avions donc vu juste puisque, moins de dix ans après, une nouvelle loi plus transgressive vient, la PMA pour toutes, avec sa kyrielle de mensonges : ce serait une promesse électorale d’Emmanuel Macron, il y aurait large consensus dans l’opinion française. Le président de la république en vient à fouler aux pieds les États généraux de bioéthique qu’il avait convoqués. La Manif Pour Tous avait pourtant joué le jeu, n’a appelé à aucune manifestation pendant tout ce temps-là, donnant crédit au Président de ses bonnes intentions affichées.

La promesse du président non tenue

On peut donc se sentir largement floué devant cette promesse non tenue. Ne peut-elle pas être interprétée a posteriori désormais, non comme une quête de vrai mais comme une stratégie double, celle d’avancer sans contestation de rue pour faire passer de manière autoritaire la loi inique de la PMA sans père d’une minorité communautariste ? faire passer cette PMA-là, comme une lettre à la poste, dans un « débat serein » ? Après les élections européennes, surtout pas avant ? Puis, dans la mesure où 43 % des catholiques ont voté LREM aux Européennes, le président ne peut-il pas tabler sur un donnant-donnant cynique, celui d’une « concession morale » en échange de la « concession fiscale » ?

Pourtant, les choses ne s’annoncent pas si évidentes. Comme le disent les débatteurs de Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame, Henrik Lindell et Victor Loupan ce matin, avec la PMA pour les couples lesbiens et les femmes seules, « On sort de l’intérêt général ». Le beau titre de « discours de politique générale » du Premier ministre dans lequel l’annonce a été faite ne doit pas leurrer. La PMA sans père ne relève strictement que d’intérêts particuliers. L’argument choque bien évidemment.

La bataille de la PMA : ne pas perdre sans combattre

Mais ce qui est le plus choquant, c’est que beaucoup de ceux qui s’opposaient en descendant massivement dans la rue se taisent aujourd’hui. L’échec de la raison devient ainsi patent. Les insultes, les intimidations et les agressions d’une minorité agissante font plus que jamais florès et construisent leur œuvre aussi dévastatrice qu’efficace. Vite apeurées, les personnes reculent. On risque donc bel et bien de perdre sur ces questions anthropologiques majeures.

Mais que l’on perde si l’on doit perdre au moins en combattant ! que l’on perde « debout » , dit Henrik Lindell. On ne peut pas ne pas dire son opposition. Sachons bien en tout cas que si l’on perd, l’on perdra non à cause d’un manque de raison et d’intelligence mais à cause d’un manque de combattants, de combattants qui se terrent, qui se couchent, de combattants à la pensée captive. D’asservis à la pensée séquestrée.

La « Pensée captive »

Reprenons [1] ici la métaphore puissante de Czesław Miłosz. Czesław Miłosz est mort le 14 août 2004. Prix Nobel de littérature en 1980, ce Polonais, né au cœur de la Lituanie qui appartenait encore à l’Empire russe, a publié un essai majeur sur la corruption des esprits. Analyse subtile de l’attrait funeste de l’homme contemporain, et en particulier des intellectuels, pour le totalitarisme, Miłosz a voulu montrer l’étendue de sa désillusion. La Pensée captive, c’est avant tout une dénonciation courageuse, de la passivité.

Le titre, la Pensée captive, est une image, une figure littéraire puissante, de « très grande portée ». Qu’est-ce qui tient la pensée sous contrôle ?

Pour illustrer cette séquestration de la pensée, deux chapitres retiennent particulièrement l’attention, le premier intitulé « Murti-Bing », une autre image. Cette métaphore est tirée d’un roman de Witkiewics intitulé L’Inassouvissement. Tourmentés, les héros achètent secrètement à des colporteurs des pilules Murti-Bing, du nom d’un philosophe mongol. Cette pilule implante par voie organique une nouvelle vision du monde. « Les questions relatives aux difficultés insurmontables de l’ontologie […] cessent de se poser. »

L’homme qui consomme la pilule de Murti-Bing se transforme intégralement, et tous les hommes ainsi transformés deviennent masse uniforme. L’homme retrouve sérénité et bonheur. « Les problèmes qu’il doit affronter jusqu’alors lui apparaissent soudain comme illusoires et sans importance. » La fable tend vers une morale simple : les pilules apaisent l’insatiabilité philosophique, la préoccupation métaphysique.

Homme nouveau et ancienne personnalité

Reprenant l’image à son compte, Miłosz veut prouver ainsi que l’action transformatrice de l’idéologie, pour ce qui le concerne le marxisme, est semblable à l’action de cette pilule miraculeuse : le monde construit apparaît comme le meilleur des mondes. Distillant la « Nouvelle Foi » dans un dosage efficace et une régulation parfaite, les pilules Murti-Bing font advenir « l’Homme Nouveau ».

Bien sûr, il fallait que cet homme soit en proie à l’angoisse, à l’absurde, au vide, à la nécessité, aux tourments existentiels. Les pilules Murti-Bing délivrent de ces peurs et notamment la plus forte d’entre elles : la peur de penser par soi-même. Cela dit, passant d’un ancien système à un autre, l’ancienne personnalité enfouie n’en est pas pour cela totalement effacée, elle est, en réalité, « un parfait exemple de schizophrénie ».

Le grand jeu du Ketman

La deuxième catégorie utilisée par Miłosz pour résumer le fonctionnement de l’esprit captif est celle du « Ketman ». Au chapitre troisième, il montre la technique de dissimulation mentale à laquelle se trouve obligé l’intellectuel des démocraties populaires. C’est un art supérieur [2] qui exige une constante vigilance de l’esprit.

Véritable pression, jouer au Ketman, c’est se mettre à couvert, taire ses convictions, mieux accumuler les ruses pour faire croire le contraire, donner le change, tromper, conserver le masque par des moyens ingénieux, trouver le moyen le plus sûr pour se tenir à l’abri, ne pas se trahir, suspendre sa foi, catholique par exemple. Sorte d’acrobatie spirituelle, le Ketman crée une façade. « Celui qui s’adonne au Ketman doit mentir ». Guilem Calaforra réfléchissant à cette technique de dissimulation affirme que c’est une technique de feinte, « résultat d’une disjonction extrême entre le public (l’action) et le privé (conviction).

Dans les démocraties populaires chaque citoyen feignait d’être aveuglément partisan des décisions du pouvoir central en même temps qu’il les détestait intérieurement, et tout le monde savait que chacun faisait et pensait de même. En outre, le Ketman n’est pas qu’hypocrisie ; celui qui le vit « a l’orgueil » de se sentir supérieur par rapport à ce à quoi il obéit, qu’il défend extérieurement mais qu’il déteste au fond et qu’il méprise ».

On en est là !

On en est là ! En France, en 2019, on doit faire allégeance à l’idéologie et ne plus voir ce que l’on voit. Nul ne peut manquer une porte affirmait pourtant Aristote. Et ici la porte est colossale ! Faire des enfants sans père, bientôt des enfants sans mère, se demander si on est femme ou homme, en dialoguant à l’infini parce que l’on a peur de ne pas “être gentils” comme le dit Victor Loupan à juste titre. Oui, on en est là.

Tout cela dans un silence coupable ! « Le pire est qu’en privé beaucoup – notamment parmi les professionnels de l’enfance – le savent ou le pressentent mais renoncent à l’affirmer, terrorisés à l’idée de se voir imputer une « phobie » ou résignés par le sentiment d’un « sens de l’histoire ». Lourde responsabilité » écrit lucide Maître Henri de Beauregard dans un de ses tweets percutants. Oui, tout le monde joue effectivement au ketman. Sans vergogne. À commencer par des catholiques en vue, VIP soucieux de leur réputation et de leur surface sociale, les premiers parfois à mépriser ceux qui montent au créneau.

Ce qui vient, la PMA sans père dite pour toutes, est certes très grave. Mais le plus grave, c’est bien de laisser faire. Honte à nous !


[1] Extraits d’un article écrit pour une revue repris ici.

[2] Guillem Calaforra, « La Doctrine comme séduction et comme prison », revue Europe, « Czesław Miłosz », juin-juillet 2004, traduit de l’espagnol par Jacques Ancet.

[3] On ne peut s’empêcher de convoquer ici la célèbre tirade de Molière dans Dom Juan à l’acte V : « L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertu. […] on lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. »