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Mode de vie européen : peut-on le protéger ?

mode de vie

Il y a un mois, Ursula von der Leyen (1) s’est attiré les foudres de tout ce que le microcosme politique et médiatique compte d’éminents analystes ou de journalistes, de membres de fondations éclairés, d’avocats, de professeurs. Quelle faute impardonnable la toute première femme à la tête de la Commission européenne a-t-elle pu commettre ? Eh bien, la présidente issue du CDU allemand a changé l’intitulé du portefeuille dédié aux migrations. Il est devenu l’horrible « Protection du mode de vie européen » ! Dans le même temps le Grec Margaritis Schinas était confirmé dans ce poste. Tollé ! Les spécialistes de la question européenne ont ainsi défilé sur les plateaux de télévision pour stigmatiser la maladresse « calamiteuse » de l’appellation.

79% des internautes interrogés pas choqués

Mais ce que l’on dit moins, et une fois de plus, c’est que cette polémique a confirmé le fossé qui existe entre les élites déconnectées et la base mal votante : 79% des internautes des 48 516 votants du Figaro ont dit ne pas être choqués d’un tel intitulé. De ce résultat écrasant, personne ne s’est ému. Depuis la négation du référendum français de 2005 ou des anti-Brexit réclamant un deuxième vote, on est tellement habitué à fouler aux pieds la volonté des peuples ! Dans un article présentant le colloque Un de nous qui a réuni récemment deux cents intellectuels à Saint-Jacques-de-Compostelle, Rémi Brague n’a-t-il pas de son côté rappelé pour le regretter le « divorce entre des élites sourdes et des petites gens abandonnées qui provoque en réaction l’exploitation du mécontentement du bon populo par des démagogues » ?

L’Europe n’aurait pas de racines et n’aurait pas à défendre d’identité, n’aurait donc pas de mode de vie propre… C’est ce que l’on entend depuis des dizaines d’années désormais comme un disque rayé. Certes l’expression « mode de vie » peut sembler vague, mais elle dit quelque chose de l’habitude de vie conscientisée, d’une façon d’être au monde commune, d’une façon culturelle de vivre. (2)

Oscillant entre une carte de visite économique et des compétences politico-morales, l’Union européenne a rejeté systématiquement ce qui se réclame de près ou de loin à un quelconque argumentaire de protection de ce mode de vie. La déconstruction civilisationnelle a même été une forme d’ADN : des racines chrétiennes refusées dans le projet de constitution européenne, des questions écrites cherchant tout simplement la protection du dimanche, noyau historique d’un modèle social et culturel, aux initiatives citoyennes européennes avalisées par la commission, récoltant bien plus que le régulier million de signatures attendues mais en définitive refusées… Jusqu’à l’interdiction du travail de nuit des femmes abolie… On n’a pas de mal à comprendre ainsi que les animaux domestiques et les chiens errants ou l’égalité des genres ont compté respectivement davantage que le statut de l’embryon humain ou la protection réelle de la femme.

Ce dernier exemple présenté sans doute ici de manière un peu caricaturale se veut certes provocateur mais essaie de dire à quel point le rejet d’une civilisation venant du christianisme a été fort ces dernières années avec ses traces culturelles indélébiles par trop reconnaissables.

Mais l’ignorance intellectuelle aidant aujourd’hui au plus haut niveau, cela se réalise plus silencieusement. Ce qui a été mu longtemps par haine du christianisme plutôt que par réelle tolérance de toutes les croyances, l’est désormais par inculture, par faillite, par démission et surtout par idéologie irrationnelle et inconséquente.

On a préparé le suicide et le suicide est désormais là. Le corps tout entier est moribond. Régis Debray dans Marianne l’écrit cette semaine « Quand un pays cesse d’être un centre de civilisation, il devient un centre culturel. La culture en apanage est ce qui reste d’une civilisation en capilotade ».

L’absurdité de la sève sans les racines

Ajoutons encore ceci. La candidature d’un politique catholique comme François-Xavier Bellamy, professeur brillant, normalien, agrégé de philosophie, auteur de Demeure (Grasset, oct. 2018), fut à ce titre plus qu’un symbole : son parti Les Républicains a préféré se tirer une balle dans le pied plutôt que de soutenir dans les grandes largeurs un tel profil enraciné .

Tout cela va donc toujours dans le même sens. Celui d’un président de la république française aux Bernardins assénant en bon élève les paradoxes intenables de l’Union européenne, leurres de toujours « les racines peuvent mourir, mais ce qui est important, c’est la sève ». Parlons-nous la même langue ? Comment en effet la sève pourrait-elle faire son œuvre sans venir de quelque part, en particulier, des racines ? Comment sève peut-il y avoir quand on dénie des racines ? Ou il y a racine et le corps est vivant, ou il n’y a pas de racines et le corps est voué à la mort.

Quelle culture sans civilisation ? Afficher l’absolu déracinement, c’est en effet à court terme désormais vivre du suicide acté d’une Europe assiégée de toutes parts qui n’a pas voulu se défendre, qui ne pourra plus se défendre. C’est dire que tout doit être neuf et que rien du passé n’est bon à conserver. À moins que… L’affaire Goulard avec son timide sursaut moral amorcerait-elle un tournant ?

L’espérance d’une autre Europe

Toute l’histoire de l’Europe a montré le triomphe de la raison dans les fulgurants progrès qu’elle a déployés depuis le Moyen-Age. Aucune autre religion que le christianisme n’a permis un tel rayonnement, une telle liberté d’entreprendre et de penser, un tel respect de la personne humaine. Retrouvons donc le chemin de cette raison large, celle qui cherche la liberté de l’homme, la vérité et l’inaliénable dignité de la personne.

Oui à la protection du mode de vie européen : identifions-le et attirons toujours plus de monde par la vie bonne qu’il promeut.

Intéressant de voir le fossé entre le sondage (curseur à 8:35) des lecteurs et les personnes invitées toutes plus ou moins d’accord entre elles…

(1) Nous n’entrerons pas ici dans la controverse de sa nomination.

(2) Vous héritez d’une civilisation chrétienne qui a marqué toute l’Europe. Vous en vivez sans bien le savoir. Tout votre idéal a ses racines dans la foi, même lorsque Dieu semble absent de votre horizon. (Jean Paul II, Discours aux jeunes, Strasbourg, 9 octobre 1988.)