Lourdes le film : de chair et de prière

En ce début de mois de Marie, un mois à peine après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le film Lourdes n’est pas qu’un hasard de calendrier. Il faut le voir comme un signe des temps.
Thierry Demaizière et Alban Teurlai ont filmé le sanctuaire marial, ont filmé comme jamais le vivant vulnérable et très faible, chair et esprit. On a peine à croire que ce sont des incroyants qui puissent percer le mystère de la ville aux trois millions de pèlerins par an avec autant de justesse. Nombre d’habitués du lieu reconnaîtront à quel point l’œil artiste a vu ce qu’il faut voir quand tant d’autres, à commencer justement par les journalistes, réduisent d’habitude Lourdes, en marronniers répétitifs, à son folklore et à ses marchands du temple ou à ses statues de plastique phosphorescent.
L’universalité de l’invitation à Lourdes
Qui n’a pas d’ailleurs un jour regardé tel ou tel geste, telle ou telle pratique religieuse, du haut de son pharisaïsme, avec une certaine distance ? Les images liminaires vous sont une belle correction : toutes ces mains qui caressent la pierre de la grotte introduisent l’universalité de l’invitation à Lourdes : mains de pauvres, mains de travailleurs, mains de femmes, mains enflées et déformées de malades, mains calleuses d’aidants, mains de toutes couleurs de peau. Mains qui prient, mains qui soignent, mains qui demandent et supplient. Qui aurait l’outrecuidance de juger ce pauvre geste d’adhésion au mystère ?
La paroi de la pierre, dure et froide, humide et grise, attire tant et tant de souffrances énigmatiques. Qu’elles semblent en effet inutiles et absurdes ! Les destins croisés que le spectateur va suivre avec tant d’émotion, pèseront pourtant au contraire de tout leur sens.
Peut-être nous demain ?
Tous ne sont pas nés handicapés. Il est ainsi peut être question de chacun de nous demain… Jean-Louis a tenté de se suicider, s’est défenestré après un chagrin d’amour, Cédric a été renversé petit par une voiture, un autre c’est la maladie de Charcot qui le mure dans un corps de pierre au milieu de sa vie de réussite, une jeune fille voit le désespoir monter et la vriller chaque jour un peu plus car moquée à l’école à cause de sa maladie invalidante. Il y a aussi un travesti qui se prostitue et n’arrive pas à sortir vraiment de sa négation de soi-même. Le temps d’un pèlerinage, ils viennent accepter de “vivre la vie qu’ils ont à vivre” dans la vérité de leurs corps défigurés et souffrants.
Et il y a le si touchant, le lumineux Jean-Baptiste qui ne grandit pas. Ne semblant pas enfermé dans sa souffrance, l’enfant prie, chapelet à la main, pour son petit frère Augustin qui n’a que deux ans à vivre. Le doudou de ce dernier a mission de rapporter un peu du sacré vécu à Lourdes au petit malade ne pouvant faire le voyage. Lors d’une prière à la grotte, Jean-Baptiste glisse naturellement sa petite main dans la main tordue de Maïté polyhandicapée avec qui il entre tout de suite dans une tendre complicité. Tellement digne, le père du petit garçon nous arrache à bien des moments des larmes dans la vérité de son abnégation, la force de son courage et de sa foi inébranlable.
L’Église à l’honneur dans ses pauvres
Des militaires aux gitans, des hospitaliers chevronnés aux jeunes aidants, à Lourdes convergent toutes les supplications de l’humaine condition. Les prières ardentes montent vers la Vierge Marie dont l’image n’apparaît qu’épisodiquement, comme par accident. Sa présence n’en est pas moins grande. Les cérémonies au cordeau nimbées d’encens, officiants aux aubes impeccablement repassées, donnent de la liturgie catholique une splendide image : le caméraman s’attarde sur les visages des prêtres transfigurés par la prière. On n’en revient pas tant on a l’habitude de voir l’Église traînée dans la boue et toujours décriée. Le balancement des encensoirs se promenant en ralenti sur le noir des soutanes ou le blanc des chasubles offre un moment d’exception dans l’esthétisation du sacré de la messe.
C’est de corps qu’il s’agit dans ce film. Corps de l’homme souffrant, défiguré, mourant. C’est au corps du Christ, son fils, que la Vierge de Lourdes conduit cette humanité malade en lui disant “Faites tout ce qu’il vous dira !”. Corps offert à la Croix et que le monumental chemin de croix de Lourdes magnifie, corps élevé à la consécration, adoré, donné dans l’Eucharistie, avalé et assimilé, vivres pour le chemin difficile. Corps souffrants alors configurés au Christ.
Les piscines : sommet du film
Corps lavés également dans l’eau pure des piscines et dont les dernières images resteront comme un sommet du film. Huit hommes plongent dans l’eau le brancard de notre malade de Charcot. Huit. Avec une infinie délicatesse. À l’heure où l’État français donne ordre d’euthanasier Vincent Lambert, le film Lourdes est une formidable réponse dans la solidarité que le sanctuaire catholique modélise.
Que l’on ne se méprenne pas. Le zoom sur l’humain aidant que ce film opère pour le louer, ce n’est pas de l’humain uniquement. Tous tournés vers ce que l’on nomme l’Invisible, ils ont compris – au premier rang desquels la mère de Cédric – que sans Dieu, sans la Vierge Marie qui nous mène vers Dieu, l’on est trop pauvre pour pouvoir aider les pauvres.
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