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L’effroi de François Cheng quand la flèche s’est transformée en torche

A 1 heure 6 de l’émission La Grande Librairie du 17 avril, intervention lumineuse de François Cheng. Transcription et intertitres H.B.

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“Très humblement, je reviens à l’événement même. Je crois que ce qui est arrivé constitue un moment absolument historique.

La catastrophe même

Et d’abord, il y a la catastrophe même. Cette cathédrale qui existe depuis huit cent cinquante ans. En dépit de ses charpentes en bois, elle n’a pas connu véritablement d’incendie. Et tout d’un coup, ce 15 avril 2019, à 18h30, c’est arrivé. Cette flamme qui jaillit de ses entrailles et qui monte jusqu’au ciel, avec une fureur stupéfiante, l’Histoire ne l’oubliera pas. Elle retiendra cette date.

Chacun dans sa nuit

Mais à un degré plus haut, il y a cette intense émotion pendant l’incendie qui s’empare de chacun. Et chacun dans sa nuit, sidéré, désespéré, sent tout d’un coup que son émotion est partagée par les autres, et puis par tout un peuple, et puis par le monde entier. A ce moment-là, on est entraîné irrésistiblement dans une communion universelle. Ce moment-là, nous ne devons jamais l’oublier. Nous-même.

Un cœur n’a jamais cessé d’y battre

Maintenant à un degré suprême : c’est alors que le peuple français a eu une révélation. Quoi ? C’est ce monument-là, et absolument pas un autre, qui incarne – je reviens à ma phrase – (1) notre âme qui incarne notre âme commune chargée de spiritualité et d’Histoire. Ce monument est fait de pierres vivantes, c’est-à-dire de notre chair et de notre sang parce qu’un cœur n’a jamais cessé d’y battre

L’honneur de la France

Alors que cette chose existe – je parle de Notre-Dame – c’est proprement extraordinaire, c’est-à-dire ce lieu, cette chose, où se réunissent la beauté, quand même, et la vérité, humaines. C’est l’honneur de la France. Notre-Dame n’est pas seulement notre âme commune, c’est l’honneur de la France c’est-à-dire avoir ce monument qui réunit en lui – oui je le répète – la beauté et la vérité humaines.

Trop tard ?

Si vous me le permettez, j’ajoute encore une très brève remarque un peu intime. Nous n’oublions que c’est Notre-Dame, donc une présence maternelle. L’amour maternel, nous savons ce que c’est. Pour nous c’est quelque chose de naturel, de normal ; on en jouit, on en profite, on en abuse souvent mais sans trop s’en soucier. Un jour, soudain, cette présence maternelle nous est arrachée. Alors on est plongé dans une tristesse infinie, dans un regret infini, on se dit qu’on aurait tant de choses qu’on aurait pu lui dire, et on ne l’a jamais fait. On ne lui a même pas dit Je t’aime ! Maintenant c’est trop tard.

Ce sentiment de “Trop tard” nous a saisis au moment où la flèche s’est transformée en torche et s’est brisée. Alors un cri d’effroi nous saisit : Mais Notre-Dame va partir, sans qu’on ait eu le temps de lui dire Adieu ? Heureusement, le lendemain, on a été rassuré qu’elle est sauvée.

Dans ce cas ne soyons pas oublieux. Soyons pleins de gratitude et restons fidèle à ce bien commun.

(1) François Cheng a déjà dit cela à François Busnel dès l’introduction de l’émission

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La Grande Librairie du 17 avril 2019