Vincent Lambert : Pitié, si c’est un homme !

Madame Lambert avait appelé il y a quelques jours à se rassembler ce dimanche devant l’hôpital Sébastopol à Reims. Un rassemblement pour supplier une dernière fois médecins et pouvoirs publics, pour Vincent son fils, avant la sédation profonde et continue qui lui sera injectée à partir du 20 mai. Y aller ? Ne pas y aller ? Que peut ma petite personne contre la puissance en cours ? Après tout, qu’est-ce que je connais à cette « affaire » aussi complexe que dramatique ? À quoi cela sert-il de se déplacer ? Dispersion ? Un message sur les réseaux sociaux, un coup de téléphone à l’Élysée, la prière ne pourraient-ils pas suffire ? Que peut-on vraiment en ces temps euthanasiques ? Les questions se bousculent en moi.
Être absolument indignée
Mais allais-je me laisser mordre ainsi par ce relativisme ? Allais-je faire comme tout le monde et me laisser aller mollement vers l’acceptation d’une transgression majeure ? une de plus ? Non, non, ce n’était pas possible. Il fallait être absolument indignée. Il fallait en être, combattre. Compatir surtout jusqu’au bout.
Avais-je vécu hier l’incendie de Notre-Dame de si près pour ne pas voir aujourd’hui le feu continuer d’attaquer férocement toutes les digues civilisationnelles construites avec tant d’intelligence et de cœur pendant des siècles ? N’y aurait-il encore qu’une ogive branlante, soutenant l’être humain, tout être humain, même le plus fragile, il fallait être l’une des poussées en ce dimanche gris et morne dont le ciel pleurait. Pour porter à bout de bras ce qui peut être encore sauvé, ce oui à la vie.
Même empêché dans l’exercice de ses fonctions les plus hautes…
Car quoi ? Vincent Lambert ne serait plus un homme ? Sa dépendance extrême et sa conscience très limitée lui ôteraient-elles sa dignité d’être humain ? Que serait-il donc alors ? Substantiellement ? Un végétal ? vraiment ? Le terme d’état clinique appelé « état végétatif », rappelle saint Jean-Paul II « n’est certainement pas des plus heureux ». « Un homme, même empêché dans l’exercice de ses fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme. »
Personne n’est d’ailleurs plus dupe de ce mot « dignité » brandi, accaparé par les pro-euthanasie. L’expression « Mourir dans la dignité » est l’euphémisme par lequel est désignée l’euthanasie. La politique de petits pas qui consiste à masquer positivement un acte intrinsèquement mauvais et négatif, celle d’un lobby puissant, ne leurre personne : après la loi de 2005 qui devait être un aboutissement, revoilà pourtant une autre loi en 2015 présentée comme une nouvelle étape. Alors quoi, il y aurait encore d’autres étapes ? Bien entendu et nous y sommes : l’euthanasie bien large. Et comme tout débat, dit sociétal, le tout est habillé par les agences de communication qui vous vendent le paquet sous les beaux habits de « liberté » et de « droit à ».
Despotisme éclairé
Le problème c’est que tout commence par un choix pour soi, et que c’est étendu ensuite sur les autres. L’homme moderne, émancipé, n’entend pas seulement choisir sa mort. Les éclairés qui le gouvernent entendent l’imposer à tous, l’imposer bientôt comme valeur fondamentale.
Étrange époque dont les médias le même week-end font se télescoper le divertissement d’une Eurovision décadente, un « riche week-end de sport », le Festival de Cannes et l’arrêt des soins de cet ancien infirmier qui n’est pas dans le coma ni en fin de vie. Enfin, m’objectera-t-on, le monde ne va tout de même s’arrêter de tourner !
Les tables de la loi bâillonnées
Et pourtant, si ! Demain si l’on touche à Vincent Lambert, quelque chose d’essentiel manquera au monde. Un cap sera franchi. Les yeux écarquillés, vous verrez toute une société indifférente s’apprêter à avaliser l’assassinat d’un handicapé profond, à mettre sur les rails une jurisprudence mettant en danger mille sept cents autres. Qui eût cru cela il y a encore quelques années ? Notre raison s’est-elle à ce point obscurcie ? L’éclipse de Dieu est-elle à ce point totale ? Demain, qui sera réellement digne ? L’absence de conscience, en vérité, qui en sera réellement affecté ? Vincent Lambert ou ceux qui veulent lui ôter la vie ?
Qu’on me permette une dernière observation. Alors que je franchissais le portail sud de la cathédrale de Reims avant le rassemblement, je levai les yeux sur les anciennes statues des six prophètes, dites christophores, qui l’habillent. Quelle ne fut pas ma surprise de voir celle de Moïse, la seule, sanglée ! Sans doute, les responsables du patrimoine avaient-ils dû sécuriser ainsi la statue en danger d’écroulement. Mais le symbole me frappa : les tables de la loi sanglées, comme interdites : le « Tu ne tueras pas » comme bâillonné ! La loi, bonne pour tout homme, m’apparaissait tout à coup comme en danger d’écroulement, d’effacement, la parole de vie comme empêchée de parler.
Je repartis saisie, en me disant : Oui, attention danger ! Inhumanité en marche !
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