Le blog-notes de Radio Notre-Dame
Le blog-notes du 18 mai 2015 – Vous avez dit “civilité numérique” ? (À 04:34 sur le site de Radio Notre-Dame en réécoute)
Louis Daufresne : Najat Vallaud-Belkacem aujourd’hui dans le collimateur ?
Hélène Bodenez : Oh dans le collimateur, je ne sais pas, mais c’était la grand-messe hier sur les ondes d’Itélé-Le Monde-Europe 1 et Najat Vallaud-Belkacem est montée au créneau tenant la position plus que jamais d’une réforme de collège « nécessaire, indispensable et urgente ». Une contre-attaque en bonne et due forme où l’hôte de la rue de Grenelle a décoché ses flèches contre ce qu’elle a appelé « les mensonges éhontés» d’une droite qui ose « dire qu’on va remplacer les cours de latin par du Jamel Debbouze ». La droite enfume l’opinion publique, a-t-elle martelé stigmatisant d’abord Bruno Le Maire puis Nicolas Sarkozy que le ministre a jugé « démonétisé » sur ces sujets. Le verbe « enfumer » a été lâché tel quel pour qualifier la manipulation qui serait en cours. Najat Vallaud-Belkacem affirme que la chronologie est de retour en histoire, plaide pour un surcroît d’autonomie à donner aux établissements, pour l’évolution des missions des enseignants qui ne se cantonneront plus au seul face à face devant élève. Avec le même volume horaire, a-t-elle précisé, en réponse à la question d’un Elkabbach laissant entendre que ces derniers – j’entends ces professeurs – pourraient bien en faire tout de même un peu plus…
Alors, on aurait donc mal compris les choses… Oui c’est à peu près ainsi que furent présentées les étapes de cette contre-attaque méthodique, notamment quand on confond la réforme du collège adopté et la réforme des programmes en consultation actuelle. Si résistances il y a, c’est que nous avons mal compris les choses. Peut-être ont-elles été mal présentées, admet du bout des lèvres Najat Vallaud-Belkacem notamment concernant les disciplines facultatives et les disciplines obligatoires. Se réfugiant derrière son entrevue récente avec l’historien Pierre Nora, le ministre refuse le mauvais procès qu’on lui ferait avec cette affaire des « pseudo-intellectuels ». À noter aussi – et on l’a bien compris – qu’il fallait éviter que les élèves se tournent vers l’école privée.
Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette prestation télévisée destinée à contrer la «fronde devenue nationale ». Je retiendrai cette phrase. « L’élève – entendons celui qu’on forme aujourd’hui pour l’horizon 2023 – maîtrisera davantage ce qui est attendu de lui dans le monde moderne … je pense au numérique pour apprendre l’usage des outils mais aussi l’usage de la civilité numérique ». J’avoue avoir été ébranlée par l’expression. Certes, je n’ignore pas tout le vocabulaire de la convivialité, du partage qu’on cherche à imposer avec ce nouveau continent à apprivoiser. Mais je reste persuadée que ce numérique prétendument devenu «notre langue, notre mode de communication, chance pour l’école » pour reprendre François Hollande présentant son plan numérique le 7 mai dernier, n’a rien à envier au charabia de la réforme qui vient, n’annonce rien de civil. Si l’intelligence est adhésion au réel, se nourrit de la réalité, que deviendront les esprits en croissance de nos jeunes si le face à face auquel on les promet est un écran, toujours un écran, encore un écran. Pour une manière courtoise et polie de vivre et de se comporter en société, je ne crois pas à l’enfermement que crée le numérique. Le porter à grande échelle sans recul, n’est-ce pas imprudent ?