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La Toussaint, le paradis pour tous ?

Néant contre Enfer

Article paru sur le site du Figaro Vox

La fête de la Toussaint tombe cette année un dimanche. La question de la fin dernière posée, et par le jour de fête hebdomadaire et par la fête du 1er novembre une fois l’an, doit nous tarauder. Ciel et enfer sont-ils solubles dans la modernité ?

« La fin dernière est méprisable »… À chaque Toussaint, la phrase culte d’Albert Camus s’impose en repoussoir dans ma mémoire. Dessinant le profil de l’homme absurde dans le Mythe de Sisyphe, le Prix Nobel de littérature en esquissait les contours comme un Dom Juan répétant sans cesse le même discours à sa «quantité» de conquêtes. Homme de la répétition tel Sisyphe, ainsi Dom Juan défiant ultimement le Commandeur et obtempérant sans trembler à son «donne-moi la main». Rien ne fait fléchir le grand seigneur méchant homme, surtout pas l’enfer dans lequel il tombe et que Molière met en scène avec force éclairs et roulements de tonnerre dans un deus ex machina impressionnant. L’heure de la justice, fin dernière, est méprisée en effet. Croire au ciel par peur de l’enfer, une indignité, une absurdité.

Changer la mort ?

Si cette fuite en avant pouvait au XVIIe siècle passer pour une provocation inouïe, elle paraît bien commune aujourd’hui dans un monde d’autonomie qui a sommé les dieux de s’en aller. Que nombre de civilisations – et pas que la chrétienne – aient mis en place des représentations de l’au-delà sous le mode de la rétribution des actes ne bouleversent plus grand monde. Qui croit encore que « notre agir n’est pas indifférent devant Dieu » [1] ? Le Dies irae [2] ne fait plus peur à grand monde, ne reste qu’un splendide moment de culture, de Mozart à Verdi. Si quelque chose de nous subsiste après la mort, c’est évidemment pour le paradis, un paradis ouvert tous azimuts, polnareffien. La grande égalité rêvée sur terre jusqu’à la l’utopie totalitaire se prolongera au Ciel, pense-t-on allègrement. Qu’on se le tienne pour dit : le « Changer la vie » moderne ne peut que coïncider avec un  libertaire « Changer la mort ». Le ciel a intérêt à se mettre à la page, vite fait !

On aurait pourtant tort d’échafauder l’après-mort à notre aune individualiste et de vouloir mettre Dieu au pas. Si la majorité ne fait plus sienne la formule « La crainte est le début de la sagesse », faut-il pour cela jeter aux orties cet enfer que le poète Dante dans ses neuf cercles a peint si dramatiquement ? Poser la question qui fâche du ciel et de l’enfer, la question de « l’autre vie », nous relègue-t-il ipso facto dans le rôle sganarellien de ceux qui comprennent tout de travers avec leur « petit sens » ? Et si c’était l’inverse ? Si « à la fin, au banquet éternel, les méchants [ne siégeaient pas] indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé » [3] ?

Penser le ciel et l’enfer, et partant la grâce et la miséricorde, c’est l’incontournable question dont tous devraient se saisir, en premier lieu les évêques, les prêtres, tous les croyants mais aussi naturellement tout homme à la raison droite. La question philosophique de l’âme et de son immortalité posée par les Grecs trouve une énorme réponse religieuse. Car comme cette sortie est difficile à trouver, elle nous a été, en effet, révélée par miséricorde. Le ciel n’est pas vide, nous disent les Écritures saintes. Pour y accéder, il nous faut une vraie foi, une foi substantielle. Il serait alors peut-être temps de s’y mettre à croire au bon Dieu, en sa vie éternelle promise. Bref, croire en vrai dans les grandes largeurs au Christ rédempteur.

Benoît XVI dans Spe salvi regrettait que l’homme ne désire plus vraiment cette vie éternelle :

« Voulons-nous vraiment cela – vivre éternellement ? Peut-être aujourd’hui de nombreuses personnes refusent-elles la foi simplement parce que la vie éternelle ne leur semble pas quelque chose de désirable. »

Toussaint 2015 PlougastelBenoît XVI voyait juste. Quand je contemple le cimetière de mon bourg en Bretagne, je m’attriste de voir tant de tombes modernes sans croix visibles s’élevant vers le ciel. Tout un côté voit fleurir des pierres tombales horizontales en marbre lisse, et si croix il y a encore, elle ne s’élève plus en hauteur. Certes, tout un autre côté – pour combien de temps ? – reste marqué par des tombes en granit d’où émergent toujours et verticalement les croix. Mais le tournant d’une mort sans Dieu est pris. Les croix de moins en moins nombreuses du cimetière en sont comme un triste baromètre.

L’enfer ? Plus rien de remédiable !

Une chose est sûre : si le credo des catholiques n’enjoint nullement à croire à l’enfer, les Évangiles n’en parlent pas moins de géhenne, d’un lieu « où seront pleurs et grincements de dents ». Pour qui ? Pour personne vraiment ? Ou pour une engeance dont n’hésite pas à parler le pape émérite :

« Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge ; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l’amour. C’est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n’y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable : c’est cela qu’on indique par le mot “enfer”. »

Dans cette même optique d’éclipse de Dieu et de l’extinction du désir du ciel, la destruction du dimanche est un signe plus grave qu’il n’y paraît. Depuis des siècles, le dimanche est « l’annonce constante de la vie sans fin qui ranime l’espérance des chrétiens ». Ainsi s’exprimait Jean-Paul II dans Dies Domini en 1998, inquiet de son érosion, haut témoin de sa disparition en système communiste matérialiste, prophète de sa mise à mort en système capitaliste.

Que le pape François après le saint pape slave ait rappelé par trois fois dans Laudato Si la centralité du premier jour de la semaine révèle l’inquiétude de l’Église, la profondeur de l’effacement en cours au regard du difficile voyage « vers le sabbat de l’éternité » [4] que nous entreprenons sur terre. Vivre du dimanche, c’est tendre ses yeux, son cœur, son intelligence, tout son être vers Dieu et sa vie surabondante, vers un ciel plein de la foule aussi immense que qualitative des saints [5]. Puisque la Toussaint cette année tombe un dimanche, à un mois de l’ouverture de l’année de la Miséricorde, admettons enfin que l’enfer n’est pas poésie, métaphore ou simple symbole ; que sa réalité ne puisse jamais prévaloir sur notre désir profond et renouvelé de vivre toujours. Sacrée, la fin dernière est très respectable.

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Photo : Capture d’écran de la scène finale du Dom Juan réalisé pour la télévision par Bluwal. Don Juan tombe non plus dans l’enfer mais dans un néant de solitude.

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[1] Benoît XVI, Spe Salvi.

[2] « Confutatis maledictis, « Et après avoir réprouvé les maudits,  Flammis acribus addictis ; Et leur avoir assigné le feu cruel, Voca me cum benedictis. Appelez-moi parmi les élus. Oro supplex et acclinis,  Suppliant et prosterné, je vous prie, Cor contritum quasi cinis, Le cœur brisé et comme réduit en cendres ; Gere curam mei finis. Prenez soin de mon heure dernière. »

[3] Benoît XVI, Spe Salvi.

[4] Pape François, Laudato si.

[5] Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe « Ce que Don Juan met en acte, c’est une éthique de la quantité, au contraire du saint qui tend vers la qualité. Ne pas croire au sens profond des choses, c’est le propre de l’homme absurde. »