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HUMAN : Yann Arthus-Bertrand au cœur des entrailles humaines

HUMAN l'affiche

Un signe. HUMAN n’a attiré hier soir mercredi que 2.764.000 téléspectateurs, soit 12,6% du public. Signe que le film restait exigeant et pas si « lisse et beau » que cela, pas si racoleur que cela pour le dire autrement. France Télévisions pariait gros en le diffusant en première partie de soirée. Mais le long métrage s’inscrivait dans une ligne de qualité que les téléspectateurs expérimentent déjà depuis quelque temps grâce à des émissions comme Des Racines et des ailes, ou encore Secrets d’histoire de Stéphane Bern. Bien sûr, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre et l’on peut regretter tel ou tel angle – comme cette recette d’une potion de sorcière lors de l’émission consacrée à Jeanne d’Arc – mais force est de constater que France 2 s’essaie à une vulgarisation louable sans perdre l’âme des domaines qu’elle explore. C’était le cas hier soir. HUMAN nous a réservé un moment de télévision d’exception.

Son auteur, le photographe Yann Arthus-Bertrand, entendait partager le monde. Pas à la manière de Steve Jobs ou de Bill Gates mais grâce à l’objectif de ses appareils de photo aux zooms impressionnants ou de la caméra tournante accrochée à son hélicoptère. C’est ainsi que l’auteur de HOME alterne vues de tous les continents, de haut, et témoignages sur fond noir, de face. Le spectateur voit les visages défiler sans pouvoir leur mettre de nom, tombe sous le charme des lieux pittoresques à vous couper le souffle sans savoir où ils se situent. Il faudra l’après-film pour savoir, par exemple, que les cataractes de boue que vous voyez danser furieusement sont un lâcher de barrage sur le fleuve Jaune en Chine. Au début, cela vous chagrine de ne pas savoir, à la fin vous êtes subjugué par un sentiment d’appartenance à une même fraternité, au même monde, notre « maison commune » comme aime à nommer la création le pape François.

Film ample et contemplatif

La lenteur, l’ampleur des plans emporte. Aujourd’hui rares sont en effet les séquences qui durent. Dans L’Aventure HUMAN, diffusé en seconde partie de soirée, vous faisant entrer dans les coulisses du film, l’on voit le réalisateur insister pour que s’allonge encore le plan d’ouverture, la dune blanche sur la crête de laquelle marchent à pas pesants hommes et bêtes. L’on entend le réalisateur exiger encore quelques secondes, que l’ombre bleue qui grandit sur le sable immaculé esthétise encore davantage l’ensemble. La lenteur confère au film sa plus grande qualité en faisant un film contemplatif pour contemplatifs. Parce qu’empruntant à la poésie, art difficile ennemi de la vitesse s’adressant à la part contemplative de l’homme, sa haute part, HUMAN a, hier soir, dû subir l’érosion d’un audimat fuyant vers la facilité d’une courte et haletante série policière.

La lenteur alliée au dépaysement imposé par des images prodigieuses forçait à penser différemment, vous extirpait de vous-même. Le dérangeant exode spirituel auquel vous obligeait le réalisateur vous incitait à réfléchir profondément. Le poids des mots, le choc des photos n’en ont donc pas pour autant fait un documentaire de papier glacé. Ils se sont insinués dans nos esprits et dans nos cœurs, ces mots et ses prises de vue, pour faire naître l’émotion et la compassion, pour mieux comprendre les bannis de la terre. Ils marquent et s’imprègnent en vos intelligences car vous avez fait plus que visionner, vous avez rencontré des frères. Leurs yeux ont croisé votre regard dans un vis à vis rare, leurs paroles ont taillé leur chemin en vous. Habillements, coiffures, voiles, bijoux révélés par les gros plans aidaient à une rencontre totale, universalisaient bizarrement le rendez-vous particulier. Le créateur de la bande originale a probablement les mots justes pour définir HUMAN « Une sorte d’opéra où le livret, c’est les gens qui racontent l’histoire ; où l’aérien, c’est le moment où l’instrumental peut se développer ».

L’obscénité du réalisme proscrit

Esthétisation au détriment du réalisme ? Oui sans nul doute, et pourquoi pas ! Déjà Baudelaire fustigeait en son temps ce que la photographie pouvait avoir d’obscène dans sa mimesis parfaite de la nature due au progrès technique. Ainsi le monde vu par et selon YAB, n’est-il pas cru ou brut. Et c’est tant mieux car l’esthétisation par un style, par une vision, n’est-ce pas ce que l’on nomme art ? Passer sans transition de grandioses théâtres de la nature, des ravages d’une culture du déchet aux gratte-ciel de New-York ? Le saisissement paratactique obtenu n’en est pas moins hautement travaillé, point d’orgue d’une lente progression. Ainsi la phrase gond de Mujica « La seule chose qui ne peut pas s’acheter c’est la vie ; la vie ne fait que s’écouler ; et il est lamentable de gaspiller sa vie à perdre sa liberté » nous amène à nous poser cette question. Quel est ce lamentable ? Réponse avec ces travellings aériens nocturnes sur les verticalités démesurées de la ville-monde qu’éclairent les lumières aussi permanentes qu’artificielles. À la solitude mortifère des hommes accrochés à l’écran de leur ordinateur, ombres au téléphone perdues dans des tours insensées, succède la verticalité naturelle de rocheuses où se dessine l’isolement d’un homme en communion avec la nature. Transition impeccable.

Les témoignages arrachent des larmes, tel ce prisonnier condamné à vie pour le meurtre d’une mère et de sa fille et rencontrant l’amour pour la première fois dans la grand-mère qui pardonne ; telle cette Cambodgienne violée par les Khmers rouges à quinze ans ou encore cette Mexicaine amoureuse comme au premier jour de son mari. Telle encore cette petite fille juive cachée sous le manteau d’un officier allemand l’apportant à ses parents qui l’élèveront comme leur propre fille. Nombre de prises de paroles roulant autour de la vie, la mort, le bonheur, la guerre, le prix humain du progrès, renvoient à la question de la famille. « Famille socle de l’humanité », famille parfois heureuse, famille si souvent malheureuse, parfois monstrueuse. Une femme évoque son avortement, deux autres leur homosexualité : pas d’indécence militante, juste la souffrance dite sobrement, pudiquement. Quelle profondeur il y eut de ceux qui acceptent de se livrer autant sans faux-fuyant comme cette religieuse ne taisant pas le douloureux sacrifice d’une fécondité. Quelle intelligence surtout que celle de misérables sans études qui répondent en philosophes, comme l’enfant de la rue s’interrogeant sans révolte sur Dieu et sur sa « mission sur terre qu’il ne connaît pas encore. » (Sur les trace des HUMAN à 46:40)

Tourments métaphysiques

Je revois encore cette femme en prise à son tourment métaphysique « Quand je pense à ma grand-mère qui est morte maintenant depuis longtemps, le souvenir s’efface à toute vitesse, l’image devient floue, quelquefois même le son de la voix disparaît. Qu’est-ce qu’on laisse ? Qu’est-ce qui reste ? J’ai peur de ça. C’est une peur qui est totalement irrationnelle, qui repose sur quelque chose de complètement archaïque, de tribal je pense, parce que ça me remue terriblement, et je ne crois pas que ce soit quelque chose de l’ordre de l’orgueil, c’est autre chose. Ça rejoint le sens de la vie. Qu’est-ce qu’on a fait là ? Pourquoi je suis là ? Je ne sais pas. Qu’est-ce que je laisse ? J’aimerais laisser quelque chose. J’aimerais laisser une trace. »

La bande originale renforce brillamment la puissance des images, les porte sans couvrir tout à fait les bruits des foules, leurs rumeurs propres, le murmure de l’eau ou le grondement des forces de la nature, ajoute à l’épique, ajoute à l’intime, ajoute au sanglot. Nul doute que le credo humaniste de Yann Arthus-Bertrand déployé dans HUMAN aura su toucher juste. Ce qui nous rend humain ? La maudite question essentielle a reçu de riches réponses et, dans une nature grandiose, Dieu, l’amour entre mari et femme, la famille ont eu la part belle.

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Présentation de la Fondation GoodPlanet

“HUMAN mélange témoignages et prises de vues aériennes. De la plus petite histoire du quotidien, jusqu’aux récits de vie les plus incroyables, ces rencontres poignantes et d’une sincérité rare, mettent en lumière ce que nous sommes, notre part la plus sombre mais aussi ce que nous avons de plus beau et de plus universel. La Terre, notre Terre, est sublimée au travers d’images aériennes inédites, qui témoignent de la beauté du monde et nous offrent des instants de respiration et d’introspection. HUMAN est une œuvre engagée qui nous permet d’embrasser la condition humaine et de réfléchir au sens même de notre existence.”

La Chaîne Youtube HUMAN

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