Guerre contre l’Ukraine : la paix couleur d’orange se meurt

Dans l’article GUERRE de son Dictionnaire philosophique, Voltaire s’indignait de l’absurdité des motifs de guerre en regard du nombre de morts sacrifiés. De ces “meurtres” et de ces “massacres”… Comment dans des temps dits modernes en est-on encore à imposer ses vues par la force guerrière ?
À bien des égards, regardant les dernières guerres engagées en Irak, en Libye, en Syrie, on pourrait conclure comme le philosophe des Lumières par cette phrase d’un autre extrait du portatif “. Ce n’est pas dans le XIIIème ou dans le XIVème siècle que cette aventure est arrivée, c’est dans le XVIIIème !” Nous pourrions transposer, avec la même colère, lors des bombardements des pays que nous venons de citer “C’est dans le XXème siècle que ces destructions se sont déroulées !”. La guerre nucléaire qui se profile avec l’actuel conflit ukrainien, c’est bien dans notre XXIème siècle hypermoderne et écologique qu’elle se lève ! Entre gens de civilisation chrétienne, de surcroît !
Où en est le long dialogue avec les hommes ?
Y aurait-il ainsi toujours de l’utopie à condamner la guerre et à espérer la paix ? Le mal dans le monde existe bel et bien, plus puissant que jamais. Ne pas le voir, ne pas s’en protéger, s’en défendre comme s’y préparent nos héroïques soldats, relève d’une faute grave. Un certain pacifisme, on le sait, a fait le lit de la terrible seconde guerre mondiale. Mais si l’antique si vis pacem, para bellum reste bien ancré dans les esprits pragmatiques, le siècle de la peur comme l’a si bien écrit Albert Camus au lendemain du lancement de la bombe sur Hiroshima a vu également le long dialogue avec les hommes s’arrêter.
Comment ne pas faire mémoire du saint pape Paul VI vingt ans plus tard à la tribune de l’ONU et de son “jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais !” ? “Expert en humanité”, le souverain pontife avait solennellement montré “le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale”. On ne devrait en effet plus aujourd’hui régler les affaires des grandes puissances en bombardant, en incendiant les maisons des personnes, en tuant un peuple innocent quand ceux qui décident cela dorment à l’abri chez eux, quand des chefs d’État mangent grassement sous les ors de la république à Versailles. Agir ainsi relève paradoxalement dans notre radieuse modernité d’une indécence crasse, d’une forme d’inhumanité.
Rappelons-nous ce que Jean-Paul II disait lors de la guerre en Irak. En 1991, Jean-Paul II en appelait à l’humanisme des protagonistes “Aucun problème international ne peut être adéquatement et valablement résolu par le recours aux armes et l’expérience enseigne à toute l’humanité que la guerre, outre qu’elle fait de nombreuses victimes, crée des situations de grave injustice qui, à leur tour, constituent une tentation puissante pour un recours ultérieur à la violence.” *
“Quoi toujours ce serait la guerre la querelle”
Quand Aragon chante qu'”un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange”, il chante certes une paix difficile à construire. Le futur prophétique du verbe “viendra” n’a rien d’un futur proche et ce “jour de palme un jour de feuillages au front”, ce “jour d’épaule nue où les gens s’aimeront”, ce “jour comme un oiseau sur la plus haute branche” semble désespérément lointain. C’est le vœu d’un poète. C’est le vœu d’un rêveur.
Mais c’est au fond le vœu de tous. Aragon repris par Jean Ferrat chante pour que l’enfant de la femme ne soit pas “inutilement né”. Et pour cela, pour éviter ce grand crime, il faut que les Grands montrent qu’ils ont une âme, que ces Grands ne fassent aucun mal. La Bruyère qui voulait “être peuple” les avait bien cernés ces Grands quand en moraliste, en pessimiste aussi, il écrivait qu'”un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux”.
La responsabilité des Grands
Oui la responsabilité des Grands, devant les habitants de cette planète, devant l’Histoire, est énorme dans ce conflit possiblement nucléaire. Qu’ils se pressent enfin d’être les Modernes qu’ils annoncent être sans cesse… Que les armes enfin se taisent… Que le long dialogue avec les hommes, interrompu, reprenne très vite, vrai et solide…
Pour que longue vie soit donnée à la maison des hommes…
Pour que la terre tourne encore longtemps, toujours aussi “bleue comme une orange”…
***
N.15
Jean-Paul II, Redemptor hominis, 4 mars 1979.
L’homme d’aujourd’hui semble toujours menacé par ce qu’il fabrique, c’est-à-dire par le résultat du travail de ses mains, et plus encore du travail de son intelligence, des tendances de sa volonté. D’une manière trop rapide et souvent imprévisible, les fruits de cette activité multiforme de l’homme ne sont pas seulement et pas tant objet d’«aliénation», c’est-à-dire purement et simplement enlevés à celui qui les a produits ; mais, partiellement au moins, dans la ligne, même indirecte, de leurs effets, ces fruits se retournent contre l’homme lui-même ; ils sont dirigés ou peuvent être dirigés contre lui. C’est en cela que semble consister le chapitre principal du drame de l’existence humaine aujourd’hui, dans sa dimension la plus large et la plus universelle. L’homme, par conséquent, vit toujours davantage dans la peur.
Il craint que ses productions, pas toutes naturellement ni dans leur majeure partie, mais quelques-unes et précisément celles qui contiennent une part spéciale de son génie et de sa créativité, puissent être retournées radicalement contre lui-même ; il craint qu’elles puissent devenir les moyens et les instruments d’une auto-destruction inimaginable, en face de laquelle tous les cataclysmes et toutes les catastrophes connues dans l’histoire semblent pâlir. Une question doit donc surgir : pour quelle raison ce pouvoir donné à l’homme dès le commencement et qui devait lui permettre de dominer la terre se retourne-t-il contre lui-même, provoquant un état bien compréhensible d’inquiétude, de peur consciente ou inconsciente, de menace qui se communique de diverses manières à toute la famille humaine contemporaine et se manifeste sous toutes sortes d’aspects ?