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“Grâce à Dieu” : le credo de François Ozon

J’ai vu Grâce à Dieu hier soir en avant-première. Avec des pieds de plomb, j’ai pris mon bus et ai rejoint les spectateurs des deux salles dédiées MK2 près de la grande bibliothèque nationale. Je savais que ce serait éprouvant. Dans l’après-midi, la décision de justice était tombée : pas de report du film. L’équipe – acteurs, réalisateur, Parole Libérée – a d’abord présenté le film : je retiens cette volonté de « crédibilité pour défendre la cause ». Entendre : Plus jamais ça. Ça quoi ? Le silence de l’Église sur les prêtres pédophiles. La diffusion commença enfin après une longue attente d’une heure.

Théologique

Théologique, le film sonne très juste avec sa focalisation sur l’eucharistie. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que le réalisateur ait si bien compris ce que ne comprennent même plus certains catholiques, la fonction du prêtre et de l’évêque. L’évêque en tant qu’il paît ses brebis et gardien de la foi n’arrive pas à garder tout le monde dans l’enclos ; le prêtre en tant qu’il consacre le pain et le vin en corps et sang de Jésus-Christ, vu selon cette dimension sacrée plus qu’en gentil humanitaire comme beaucoup le considèrent aujourd’hui, a des mains sacrilèges.

Les premières images ancrent ainsi l’accusation de manière énorme : les paroles de la consécration dès la fin du générique, le chant de communion, la bénédiction au Saint-Sacrement de la ville de Lyon, solennelle et magnifique, révèlent l’énorme péché. Tout est dit et le détail des faits ensuite n’est qu’illustration au scalpel de la temporisation délétère dans laquelle s’est enferrée l’Église et qui est cause de tout, avec au moins deux répliques d’une maladresse effroyable. Outre le célèbre « Grâce à Dieu », un « Je ne peux tout de même pas annuler le Liban… » qui laisse coi. On est effaré de la lenteur avec laquelle les choses sont prises au sérieux, la hiérarchie des priorités, les rendez-vous au compte-goutte alors qu’il y a le feu à toute la maison. Le film suggère que tout cela aurait pu être évité avec plus de lucidité, un pardon plus vite donné, des sanctions plus rapidement prises.

Deux mondes se sont télescopés

Cela dit, ce sont aussi deux mondes qui se sont télescopés : l’ancien et le nouveau. L’ancien déboussolé qui ne parle pas de sexe, qui tait ses malheurs et ses propres épreuves, essaient tant bien que mal dans le secret de les dépasser en avalant sa salive et en faisant le dos rond, en priant. Le nouveau, rapide et connecté, qui parle ouvertement de tout et partage tout, s’organise et fonce avec stratégie. L’ancien, maladroit, prisonnier de l’obéissance absolue à la hiérarchie, le nouveau, habile, qui n’écoute que sa conscience individuelle. La fracture était inévitable. Avec quels dégâts !

L’équipe du film “Grâce à Dieu”

Ce film fera date. Le visage attachant des victimes nous hante à la fin du film. Minuit. En regagnant l’arrêt de bus, je lève les yeux vers le ciel noir pleurant quelques gouttes ; je prie pour qu’à l’interrogation finale d’un des fils d’Alexandre « Papa, tu crois encore en Dieu ? », un « oui » continue à se dire…

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