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“Face à France” : la volte-face de Frigide Barjot

Frigide Barjot et Ludovine de La Rochère Invalides 2013

Le 17 novembre prochain, il y aura tout juste trois ans que le premier appel à manifester contre le projet de loi du Mariage pour tous était entendu au-delà de toute attente. Les organisateurs n’avaient évidemment pas espéré les 200 000 manifestants qui s’étaient déplacés dans une ambiance déterminée et en même temps sereine. L’énorme réussite de la mobilisation qui en annonçait bien d’autres, plus gigantesques encore, nous la devions entre autres à Frigide Barjot, celle que les médias nomment pavloviennement « l’égérie » des anti-mariage gay… Sa façon déjantée de rassembler a joué sans nul doute. Nombre d’analystes et de commentateurs l’ont très justement dit avant moi.

Ce que l’on rappelle moins, a fortiori trois ans après, c’est l’argumentaire qui a mobilisé. Pas une fois, à cette époque-là, n’a été mise en avant la défense des modes de vie des personnes homosexuelles qui – faut-il le redire – n’ont jamais été stigmatisées en tant que telles ; mis en avant en revanche, l’accès au mariage donnant lieu à une filiation truquée. Certes oui ! C’est sur cette base simple que les foules se sont rassemblées. Dans des proportions inégalées. Sur une durée inouïe… “Non au mariage politiquement modifié” pouvait-on lire sur une pancarte… Ou encore “La parité dans la parenté”, “Un papa, une maman, on ne peut pas faire autrement !”… “Le mariage, on défend!” hurlait-on, et moi la première.

Les termes du débat dès 2011 : “danger du mariage homosexuel”

J’ai rencontré pour la première fois Frigide Barjot à Rome lors du Congrès de la Nouvelle évangélisation en octobre 2011, il y a quatre ans maintenant. L’ancienne animatrice de télévision venait de publier chez Plon Confessions d’une catho branchée. Cette rencontre reste gravée dans ma mémoire : ces précieuses minutes d’échange bref sont sous mes yeux comme si c’était hier. Virginie Tellenne sortait alors comme moi de la messe célébrée par Benoît XVI et comme moi restait sous le choc d’une homélie exceptionnelle. Le pape y avait analysé ce qu’était l’effigie de César sur une pièce de monnaie romaine, l’effigie de Dieu sur le genre humain.

Avant de nous séparer, je me rappelle très bien que l’instigatrice de Touche pas à mon pape m’a engagée à ne pas rester sans rien faire en cette veille d’élections présidentielles, m’avertissant du danger, à venir en France : le mariage des homosexuels (sic). À aucun moment, il n’avait été alors question d’union civile. Et lorsque la mobilisation a commencé, tous ceux qui ont bougé l’ont fait sur un argumentaire simple, un logo simple, un code couleur simple : la protection du mariage Homme/Femme et par conséquent de la filiation. À cette époque comme aujourd’hui, il y avait des homosexuels avec nous bien entendu, mais pas de revendication gay explicite. Aucun drapeau LGBT. S’il en avait été autrement, jamais la mobilisation n’aurait eu cette ampleur. Jamais, je n’aurais d’ailleurs manifesté.

Ce qui frappait au contraire dans ce début brillant, c’était la justesse et la délicatesse des raisons pour lesquelles une foule bien élevée, respectueuse, sortait dans la rue, elle qui n’avait jamais battu le pavé auparavant. Quand je regarde les vidéos de ma playlist « En suivant la Manif pour Tous » (53 vidéos), je me convaincs bien que sans homophobie, nous arrivions à défendre ce lien irréductible Homme/Femme représenté se donnant la main et donnant la main à des enfants.

La Manif Pour Tous invitée ? Audience assurée !

Aujourd’hui, Frigide a payé le prix fort de son engagement : virée de manière politique de son appartement, elle a repris son combat d’antan, celui de la défense du pape. Après Benoît XVI, François. Elle passe à nouveau à la télévision comme hier soir sur NRJ 12 dans la toute nouvelle émission “Face à France” de Jean-Marc Morandini, un bien méchant talk-show à vrai dire… Une chose est sûre, c’est que pour une première émission, si l’on invite Frigide, c’est qu’elle promet du buzz et de l’audience. Rien que cela doit nous rassurer : la mobilisation passée a été effectivement monstre, mais l’actuelle reste plus que consistante pour reprendre l’adjectif du chef de l’État concernant l’une des plus grandes manifestations de La Manif Pour Tous. Toutes les rédactions de journaux ou de télévisions le savent : un article, une émission sur La Manif Pour Tous génère encore une audience que beaucoup nous envient.

Au cours de l’émission Face à France, Frigide a lancé la phrase « Je/nous n’avons jamais été contre le mariage gay ».


Si je peux comprendre que derrière ce qui relève strictement d’une pirouette – affirmation de la seule défense de la filiation humaine passant par une union civile en lieu et place de mariage gay – je reste très étonnée d’une telle déclaration qui apparaît comme une volte-face plus que décevante. N’a-t-elle pas l’air d’annuler tant et tant d’engagements gratuits et de convictions vraies ? En une seule phrase, tant et tant de Français simples ne sont-ils pas bafoués ? C’est en tout cas, personnellement, ce que je ressens.

Derrière l’apparente palinodie, une vraie manipulation politique ?

Il y a une semaine, j’assistais à un pot de rentrée de La Manif Pour Tous à Paris. Ludovine de La Rochère, comme au début présidente, est intervenue pour annoncer les futures mobilisations, entendant plus que jamais peser dans les débats pré-électoraux : Régionales 2016, Primaires des présidentielles, Présidentielles 2017, Législatives et même Sénatoriales. Le cap reste le même : grand respect des personnes mais détermination entière quant à l’abrogation rapide d’une loi mauvaise. Des juristes s’attellent en ce moment-même à l’écriture d’un livre blanc. Rien de difficile, semble-t-il à la réécriture d’une loi. Cela se fait tous les jours. Pourquoi pas en cette matière…

Comme beaucoup, je regrette la scission intervenue entre Frigide et Ludovine, mais après ce que j’ai vu hier soir, elle me semble plus que jamais évidente et définitive. En repassant dans ma mémoire tant de discours, tant d’interventions y compris les plus douloureuses, jamais je n’aurais imaginé une telle variation d’arguments de la part de Frigide. On a le droit naturellement de changer d’avis, mais faire croire que les arguments de départ étaient autres que ceux pour lesquels on a manifesté, cela je ne peux pas l’admettre. Réécrire l’histoire, surtout avant des échéances électorales, me paraît de surcroît plus que dangereux. Sauf si, à tort, on croit pouvoir mettre au pas des manifestants à la mémoire oublieuse. Sauf, si à tort, on espère donner une tournure plus politiquement correcte à un débat que des candidats ne veulent pas voir venir sur le devant de la scène, à des engagement que des candidats ne veulent pas voir rappelés. Une idée nous effleure alors. Et si derrière cette palinodie aussi théâtrale que médiatique, il y avait la vraie manipulation politique qui nous attend ?

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Photo : H.B.

Ma playlist “En suivant La Manif Pour Tousà ce lien.