Par

« Esclavage sexuel » : prêtres accusés, sœurs renvoyées

Ce n’est sans doute pas un hasard : alors que la sortie du film Grâce à Dieu relatant l’histoire de l’abbé Preynat se rapproche et que les avocats de ce dernier font légitimement recours pour en reporter la sortie, comme si la barque n’était pas assez chargée, un autre dossier brûlant et très scandaleux de l’Église est tristement mis sur le devant de la scène : les agressions de religieuses par des prêtres. Après la révélation de la pédophilie dans l’Église avec l’excellent Spotlight, ce blog très sensible à la question de l’innocence défigurée avait également analysé la passion vécue par des religieuses violées dans le très beau film d’Anne Fontaine, Les Innocentes.

Mais aujourd’hui s’ajoute donc une horreur supplémentaire : l’agression de religieuses non par de barbares laïcs en temps de guerre, mais par des prêtres. Alors que de toutes jeunes filles vouent leur vie à la chasteté dans une obéissance et une pauvreté héroïques, voici que des prêtres ayant autorité, nient de manière sacrilège ces appels de vie exceptionnels, abusent de leur vulnérabilité. Une sœur carmélite a déjà osé parler par un livre et des interviews sur des plateaux de télévision : ancienne carmélite, Claire Maximova déchire “la tyrannie du silence”.

La conférence de presse du pape

Dans l’avion qui le ramenait des Émirats hier, le pape François se livrant à sa traditionnelle conférence de presse a ainsi dû répondre à la question d’une journaliste, Nicole Winfield d’Associated Press.

N. W. – « Le Saint-Siège va-t-il affronter la question des abus sexuels commis par des prêtres sur des religieuses ? »

Pape Fr.  – « C’est vrai c’est un problème. Je commence plus largement : la maltraitance des femmes est un problème. J’oserais dire que l’humanité n’est pas encore mûre : la femme est de seconde zone. Il faut commencer par là. C’est un problème culturel. Ça peut aller jusqu’au féminicide. Il y a des pays où la maltraitance des femmes peut aller jusqu’au féminicide. Et avant d’arriver concrètement à la question, je vous livre cette curiosité que l’on m’a dite. Mais faites une enquête pour savoir si c’est vrai ou non. On m’a dit que le début des bijoux féminins est venu d’un pays très ancien de l’Orient où il y avait la loi de la répudiation de la femme, on la chassait. On la congédiait. Mais si le mari disait dans ce pays – je ne sais pas si c’est vrai ou pas – lui disait Va-t-en !,  alors elle devait partir tout de suite, avec ce qu’elle avait sur elle, sans rien prendre d’autre, Et c’est là que les femmes ont commencé à se faire des bijoux d’or et de pierres précieuses de façon qu’elles aient quelque chose pour survivre. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas, mais c’est intéressant. Faites l’enquête ! Maintenant votre question.

Il est vrai que dans l’Église, cela a concerné des clercs, et dans certaines civilisations plus que dans d’autres. Ce n’est pas quelque chose que tous font, mais il y a eu des prêtres, et aussi des évêques qui ont fait cela. Je crois que cela se fait encore. Parce que ce n’est pas le genre de choses qui disparaît comme cela dès que l’on s’en rend compte. Les choses continuent. Cela fait longtemps que nous travaillons là-dessus. Nous avons suspendu plusieurs clercs qui ont été renvoyés en raison de cela. Je ne sais si le processus est terminé mais nous avons dissous quelques congrégations féminines qui étaient très liées à cela, à cette corruption. Je ne peux pas dire : «  Dans ma maison il y a rien ! Non tout cela est vrai. Doit-on faire plus ? Oui ! Avons-nous la volonté ? Oui ! Mais c’est un chemin qui a commencé avant nous. Le pape Benoît XVI a eu le courage de dissoudre une congrégation féminine qui était arrivée à un certain degré dans ces problèmes parce que cet esclavage des femmes s’y était immiscé, un esclavage qui allait jusqu’à l’esclavage sexuel des femmes de la part des clercs ou du fondateur. Tant de fois le fondateur a pris leur liberté, vidé la liberté de ces sœurs en faisant ce genre de choses. Le pape Benoît XVI – et je veux le souligner – est un homme qui a eu le courage de faire tant de choses là-dessus. » (Transcription vidéo KTO)

Accusation d’« esclavage sexuel »

Le journal Le Monde est revenu sur cette réponse en deux temps et a jugé opportun de ne pas se contenter des propos du pape mais de diffuser à grande échelle également des ajouts du nouveau porte-parole du pape. Nihil obstat ? En tout cas, si le pape n’a pas nommé de congrégations, le quotidien a cru bon de le faire et d’illustrer le propos en jetant l’opprobre sur une communauté particulière et un fondateur particulier.

« Le porte-parole du Vatican a précisé ultérieurement que le pape parlait, dans cet exemple précis, des Frères de Saint-Jean, congrégation fondée en France et dont les responsables avaient reconnu, en 2013, « les gestes contraires à la chasteté » de leur fondateur, le dominicain français Marie-Dominique Philippe, mort en 2006. »

Le pape parle-t-il de la Communauté Saint-Jean lorsqu’il parle d’”esclavage sexuel” (1) ? Le pape parle-t-il du Père Marie-Dominique Philippe quand il est question d’abus de religieuses par des prêtres ? parle-t-il du Père Marie-Dominique Philippe ayant eu des « esclaves sexuelles » ? Force est de constater qu’une seule communauté est donc citée, qu’un seul fondateur est mis en cause explicitement dans une opération de communication particulièrement officielle. Un régime de faveur médiatique admirable ! Si cela est vrai, des précisions de la part du Vatican s’imposent que l’on jugera sans doute plus urgentes que l’histoire – vraie ou pas – des bijoux des femmes répudiées en Orient.

Qui agresse ? Qui est puni ?

Des questions se bousculent alors. Si telle est la vérité, pourquoi est-ce alors à la communauté féminine d’être dissoute (2)? Les prêtres agresseurs ont-ils vu dans le même temps leur communauté dissoute ? Qui est victime ? Qui agresse ? Qui est châtié ? Beaucoup de questions décidément après cet article du Monde.

L’on ne peut que s’interroger sur les recours juridiques de prélats sur la sellette aujourd’hui (3). Dans le même temps les accusés de « seconde zone » – existe-t-il un droit de présomption d’innocence dans l’Église ? – sont sommés de se taire, d’obéir servilement en n’ayant pas accès à leur dossier. Ces accusés de « seconde zone » doivent offrir l’injustice en sacrifice en regardant comme modèle la grande cohorte de saints et saintes persécutées par l’Église, en viennent même à se suicider, accusés de « seconde zone » à qui l’on a dit sans ménagement « Va-t-en ! ».

Avec quels “bijoux” pour “survivre” ?

Ainsi, à la question posée par N. Winfield de savoir si le Saint-Siège allait s’attaquer aux abus des religieuses par des prêtres, l’on a donc une réponse par l’affirmative. Avec zèle et diligence et “depuis longtemps” donc, au moment où l’on prétend les défendre, Rome fait taire des sœurs et condamne lourdement d’autres sans les écouter selon le droit. On ne sait pas vraiment à quelles religieuses (4) justice a été en définitive rendue mais, que l’on se rassure, la question a été virilement traitée ! Et ce n’est pas le moindre des paradoxes, elle l’a été bien avant même la pédophilie des prêtres. Étonnant, non ?

***

  • (1) L’expression est apparue récemment sous la plume de ceux qui dénonçaient les exactions de Daech.
  • (2) Quelques repères chronologiques de 2009 à 2014 concernant les sœurs contemplatives de Saint-Jean puisque ce sont elles qui sont systématiquement visées.
  • 6 juin 2009 : L’Évêque responsable des sœurs de Saint-Jean les convoque à la maison mère pour leur annoncer la déposition de la Prieure Générale et son remplacement par sr Johanna, nommée pour 6 ans avec mission de nommer un nouveau Conseil. La décision n’est pas motivée et sera annulée au mois de septembre suivant.
  • Août 2009 : une très grande majorité de prieures (30 sur 34) demandent un dialogue avec le Cardinal et dans l’attente d’une clarification, une cinquantaine de novices quittent Saint-Jodard et retournent dans leur lieu de retraite de l’été. Elles reviendront toutes en octobre quand la nouvelle maîtresse des novices le demandera.
  • Octobre 2009 : sur le conseil du Cardinal Rodé, les sœurs déposent un recours conforme au droit contre le nouveau décret pris par le Cardinal Barbarin le 24 septembre. Le décret porte cette fois la motivation de la mauvaise santé de sr Alix qui l’empêche d’exercer sa charge.
  • 8 juin 2009 : le cardinal Rodé, Préfet de la Congrégation des Religieux informe les sœurs que le motif principal de cette décision est « la déviation du charisme ».
  • Novembre 2009 : nomination de Mgr Jean Bonfils, évêque émérite de Nice, comme Commissaire Pontifical avec pour mission de gouverner l’Institut et de confronter les diverses tendances, tout en laissant vacantes les charges de gouvernement. Rome demande à 4 sœurs anciennement responsables, dont sœur Alix, d’être dans des lieux séparés hors de la communauté et de ne plus avoir d’influence sur les sœurs
  • Décembre et Janvier 2010 : quelques sœurs vont voir Mgr Bonfils et obtiennent la permission de partir pour le Mexique pour faire une nouvelle communauté sous la protection d’un évêque mexicain. Elles sont vite suivies par une centaine de sœurs. Fin janvier le Cardinal Rodé demande le retour de toutes en France contre l’engagement de la tenue d’une assemblée de Professes Perpétuelles à Lourdes en novembre suivant. Toutes obéissent.
  • Novembre 2010 : tenue de l’assemblée en présence de représentants de Rome. Les 4 sœurs punies sont sorties d’exil en mars mais n’ont pas la permission d’y assister. Au cours de l’assemblée, le rôle de sr Alix est clairement défini comme fondatrice et à l’issue, Mgr Bonfils propose un gouvernement mixte. Il remet ensuite sa démission.
  • Février 2011 : nomination de Mgr Henri Brincard comme nouveau Commissaire Pontifical. Celui-ci ne tient pas compte des conclusions de son prédécesseur quant au gouvernement de l’Institut, mais continue à interdire tous les engagements.
  • 29 juin 2012 : les sœurs empêchées depuis plusieurs mois ou années (parfois 3 ou 4 ans) de prononcer leurs vœux et ayant quitté légalement la communauté fondent « l’institut des sœurs de Saint-Jean et Saint-Dominique » dans le diocèse de Cordoue, en Espagne. Chacune va voir avant le Commissaire Pontifical pour avoir son autorisation de partir, et obtient un document écrit. Il essaie à plusieurs reprises de les inciter à rester (ce qui prouve bien qu’il n’y avait pas de problème de mœurs).
  • Juillet 2012 : 70 sœurs novices partent rejoindre cet institut.
  • Janvier 2013 : le Pape Benoit XVI dissout « l’institut des sœurs de Saint-Jean et Saint-Dominique ».
  • Mai 2013 : le prieur général des Frères de Saint-Jean révèle de sa propre initiative que le fondateur des frères et des sœurs de Saint-Jean, le père Marie-Dominique Philippe, avait « posé des gestes contraires à la chasteté à l’égard de plusieurs femmes adultes qu’il accompagnait ».
  • Août 2014 : conformément à la permission donnée par Rome des sœurs ayant quitté la communauté des sœurs contemplatives de Saint-Jean fondent la communauté «Maria Stella Matutina» dans le diocèse de San Sebastian, en Espagne.
  • Avril 2015 : élection de sr Paul-Marie Moulin comme prieure générale des sœurs contemplatives de Saint-Jean.
  • 1er juillet 2014 : lettre de Mgr Brincard faisant état des décisions précisée dans la lettre du 26 avril de Mgr Becciu, substitut du Pape : possibilité à des sœurs qui ont quitté la communauté de se constituer en une association de fidèles laïcs en vue de devenir un institut religieux et exclusion de la vie religieuse des 4 sœurs anciennes sœurs responsables, dont sr Alix Parmentier.
  • Février 2016 : décès de sr Alix Parmentier en Espagne.