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Visages du dimanche : la fête du Corpus Christi

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Chaque année en juin revient cette très grande fête du jeudi du Très Saint-Sacrement – reportée souvent dans les paroisses au dimanche suivant – fête si grande qu’elle peut être fériée dans certains pays, comme en Pologne par exemple. Autrefois très solennisée par des processions, des parterres élaborés de fleurs, très célébrée par des mystères ou des auto-sacramentaux, cette fête avec des fastes moins ostentatoires reste encore aujourd’hui majeure dans le cœur des catholiques quoiqu’elle puisse sembler aux yeux profanes en perte de vitesse. Toujours en danger de ne retenir de la messe que le rassemblement fraternel avec des styles de vie freinant les communions, le fidèle ne voit plus toujours dans l’Eucharistie « cette manne cachée » primordiale, ce « caillou blanc » essentiel pour la vie chrétienne et celle-ci diminuant, c’est l’Église elle-même qui diminue. Faut-il s’en étonner ?

 

Dès les temps nouveaux inaugurés par Jésus de Nazareth que les catholiques reconnaissent comme le Messie le discours sur le Pain de Vie à la différence de tous les autres discours fut pierre d’achoppement, scandale. « Qui peut comprendre » en effet Celui qui dit donner son corps, sa chair en nourriture, son sang en boisson, vraie vie donnée à tous ? Comme le rapporte saint Jean dans son évangile au chapitre VI, nombreux furent ceux qui partirent alors même qu’il était précisé que cinq mille hommes sans compter les femmes et les enfants suivaient l’homme de Galilée. Cela avait commencé dès le miracle de la multiplication des pains, murmures et récriminations s’étaient élevés  parce que le Christ avait dit qu’il était le « Pain descendu du Ciel ». Les querelles sont donc immédiatement nées à ce sujet, car « la parole est rude » précise le texte. Rude, elle l’a été également dans les siècles passés, en particulier pour nos frères séparés qui ne veulent pas jusqu’à croire dans le mystère de la transsubstantiation. Pourtant, et en dépit de ces coups de l’Histoire, la modernité n’a pas réussi à définitivement modeler le mystère à son aune rationaliste et scientiste.

 

Sentant le danger croissant, les papes depuis le Concile ont invariablement réaffirmé que l’Hostie est Corps du Christ, présence réelle. Le Christ ne se donne pas sous le seul mode symbolique mais également sous un mode de présence. Mystère de Foi ! Le pape Jean-Paul II n’a cessé de revenir sur l’Eucharistie, sur sa nécessité pour le catholique, « source et sommet de toute vie chrétienne », comme Benoît XVI (Sacramentum caritatis) ou encore aujourd’hui le pape François lors du Regina Coeli rappelant la place centrale de l’Eucharistie dominicale. Retenons ce passage extrait de Ecclesia de Eucharistia [vivit : L’Église vit de l’Eucharistie]

 

Deux mille ans plus tard, nous continuons à réaliser cette image primitive de l’Église. Et tandis que nous le faisons dans la célébration de l’Eucharistie, les yeux de l’âme se reportent au Triduum pascal, à ce qui se passa le soir du Jeudi saint, pendant la dernière Cène, et après elle. En effet, l’institution de l’Eucharistie anticipait sacramentellement les événements qui devaient se réaliser peu après, à partir de l’agonie à Gethsémani. Nous revoyons Jésus qui sort du Cénacle, qui descend avec ses disciples pour traverser le torrent du Cédron et aller au Jardin des Oliviers. Dans ce Jardin, il y a encore aujourd’hui quelques oliviers très anciens. Peut-être ont-ils été témoins de ce qui advint sous leur ombre ce soir-là, lorsque le Christ en prière ressentit une angoisse mortelle et que « sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient jusqu’à terre » (Lc 22, 44). Son sang, qu’il avait donné à l’Église peu auparavant comme boisson de salut dans le Sacrement de l’Eucharistie, commençait à être versé. Son effusion devait s’achever sur le Golgotha, devenant l’instrument de notre rédemption: « Le Christ…, grand prêtre des biens à venir…, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle » (He 9, 11-12).

Deux mille ans plus tard, les attaques contre ce grand mystère n’ont pas diminué, ont même augmenté dans nos pays sécularisés, comme le moment qui voit sa célébration le réaliser, la messe, perdre de sa centralité. Seigneur du temps, le Christ le même hier, aujourd’hui et demain tel qu’on l’a proclamé lors de ce Grand Jubilé de l’an 2000 qui semble déjà si loin, donne des vivres pour la route mais ce don gratuit est méprisé, cette nourriture qu’on n’achète pas est niée, galvaudée. L’heure du consensus généralisé veut qu’on ne pratique plus en « messalisant », l’herbe des autres religions étant tellement plus verte, notamment celles qui ne portent pas ce mystère insondable, loin de toute mesure…


On cherche comment faire renaître les vocations ? Sans doute faudrait-il commencer par ne pas détruire ce qui existe déjà … Sans doute, faudrait-il ramasser les priorités pastorales au lieu de perdre son énergie dans des projets scabreux. Plus sûrement faudrait-il inviter à la table du dimanche, donner le goût de l’Eucharistie hebdomadaire qui ferait naître celui de l’Eucharistie quotidienne. « Ne perds pas une communion par ta faute » disait Charles de Foucault. Là est l’appel du futur prêtre, de la future contemplative, des adorateurs en esprit et en vérité. H.B.

 

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Photo H.B.

Détail de la Cène, Calvaire de Plougastel-Daoulas, XVIIe. Saint Jean repose sa tête sur le coeur du Christ qui tient le pain devant la coupe prête.

 

BENOIT XVI

Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis, 22 février 2007.

 

Vivre le précepte dominical


73. Conscients de ce nouveau principe de vie que l’Eucharistie apporte au chrétien, les Pères synodaux ont rappelé l’importance pour tous les fidèles du précepte dominical comme source de liberté authentique, pour pouvoir vivre tous les autres jours selon ce qu’ils ont célébré le « Jour du Seigneur ». En effet, la vie de foi est en danger quand on ne ressent plus le désir de participer à la célébration eucharistique où l’on fait mémoire de la victoire pascale. Participer à l’assemblée liturgique dominicale, avec tous nos frères et sœurs qui forment un unique corps dans le Christ Jésus, est requis par la conscience chrétienne et, en même temps, forme la conscience chrétienne. Perdre le sens du dimanche comme Jour du Seigneur à sanctifier est le symptôme d’une perte du sens authentique de la liberté chrétienne, la liberté des fils de Dieu. (206) À ce sujet, les observations concernant les différentes dimensions du dimanche pour les chrétiens faites par mon prédécesseur Jean-Paul II, dans la Lettre apostolique Dies Domini, (207) restent précieuses: le dimanche est Dies Domini, en référence à l’œuvre de la création; il est Dies Christi en tant que jour de la nouvelle création et du don que le Seigneur Ressuscité fait de l’Esprit Saint; il est Dies Ecclesiae comme jour où la communauté chrétienne se retrouve pour la célébration; il est Dies hominis comme jour de joie, de repos et de charité fraternelle.


Un tel jour se manifeste donc comme la fête primordiale, où tout fidèle peut se faire, dans le milieu où il vit, annonciateur et gardien du sens du temps. De ce jour, en effet, naît le sens chrétien de l’existence et une nouvelle manière de vivre le temps, les relations, le travail, la vie et la mort. Il est donc bon que, le Jour du Seigneur, les réalités ecclésiales organisent, autour de la célébration eucharistique dominicale, des manifestations propres à la communauté chrétienne: rencontres amicales, initiatives pour la formation chrétienne des enfants, des jeunes et des adultes, pèlerinages, œuvres de charité et différentes rencontres de prière. En raison de ces valeurs si importantes – bien que le samedi soir, à partir des premières Vêpres, appartienne déjà au dimanche et qu’il soit donc permis d’y accomplir le précepte dominical –, il est nécessaire de rappeler que c’est le dimanche en lui-même qui mérite d’être sanctifié, afin qu’il ne finisse pas par devenir un jour « vide de Dieu ». (208)


Le sens du repos et du travail


74. Enfin, il est particulièrement urgent, à notre époque, de rappeler que le Jour du Seigneur est aussi le jour du repos par rapport au travail. Nous souhaitons vivement que cela soit aussi reconnu comme tel par la société civile, de sorte qu’il soit possible d’être libre des activités du travail sans être pour autant pénalisé. En effet, les chrétiens, en relation avec la signification du sabbat dans la tradition juive, ont toujours vu également dans le Jour du Seigneur le jour du repos du labeur quotidien. Cela a un sens précis, constituant une relativisation du travail, qui est ordonné à l’homme : le travail est pour l’homme et non l’homme pour le travail. Il est facile de saisir la protection qui en découle pour l’homme lui-même, qui est ainsi émancipé d’une possible forme d’esclavage. Comme j’ai eu l’occasion de l’affirmer, « le travail est de première importance pour la réalisation de l’homme et pour le développement de la société, et c’est pourquoi il convient qu’il soit toujours organisé et accompli dans le plein respect de la dignité humaine et au service du bien commun. En même temps, il est indispensable que l’homme ne se laisse pas asservir par le travail, qu’il n’en fasse pas une idole, prétendant trouver en lui le sens ultime et définitif de la vie ». (209) C’est dans le jour consacré à Dieu que l’homme comprend le sens de son existence ainsi que de son travail. (210)