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Truculent : les “Minutes pontificales sur le préservatif” de G.-M. Janvier

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Décryptage | Hélène Bodenez

D’une fiction l’autre ? Encore sur la lancée éblouissante du Dernier dimanche (Mille et une nuits, 2009), la provocation du nouvel opus de Gaspard-Marie Janvier Minutes pontificales sur le préservatif, « fantaisie romanesque », pourrait bien piéger le lecteur catholique. Tout est fait pour. Brouillage maximum.

D’abord les couvertures : la première avec son aspect officiel rouge et or flanquées des armes du Vatican, le nom de l’auteur en tout petit, humble présentateur d’un simple « dossier » ; absence de nom d’auteur sur la tranche du livre ; et comme pour embrouiller encore plus une quatrième de couverture étrange, à la première phrase boulet de canon, signée de l’auteur lui-même, « Mais de quoi le pape se mêle-t-il ?… avec ses prises de positions scandaleuses… » et des pages liminaires relatant les « conditions dans lesquelles est parvenu [à G.-M. J.] ce document ».

Les propos du pape ayant l’air d’une « poule s’interrogeant sur l’utilité de l’Opinel » y sont qualifiés « d’intempestifs » : l’angle d’attaque a l’air net, Janvier viendrait grossir la horde de loups hurlant sur le chef de l’Église catholique. Un de plus ! Le fidèle catholique serait d’emblée pris à rebrousse poil. On se prend à se dire que décidément l’auteur qui nous avait séduits l’an passé sait bien surfer chaque année sur l’actu ; on est sur le point de jeter l’éponge et l’on se dit, dans une méchanceté idiote de dépité, oubliant l’énonciation, « Normal… il ne va plus à la messe le dimanche… sa chère épousée est repartie ».

Erreur ! C’est sans compter sur l’ironie et la truculence impitoyables, l’irrévérence caustique, le style saugrenu. Comme pour ce docteur Ralph dans les poches duquel on avait trouvé Candide, on se demande malmené à l’extrême qui est ce singulier Gaspard-Marie Janvier qui superpose sa plume à celle d’un pseudo dominicain transcrivant en greffier fidèle du Vatican les discours multicolores entendus lors de réunions et de colloques drôlissimes. Les voix se mêlent, la fantaisie se tisse, écriture fragmentaire, drolatique et décapante. Scabreuse sans doute jamais vulgaire. Se laisser faire vraiment par les mots : éclat de rire inextinguible assuré. La raison s’ouvrant quelque peu forcée à ce truculent bol d’air poétique respire enfin.

Décalage d’acrobate

Le génial de l’invention tient non seulement à un décalage d’acrobate qui déséquilibre à toutes les lignes un lecteur qu’on ne laisse pas en paix mais encore à l’unité qu’assurent les personnages caricaturés dans la structure éclatée de l’œuvre.

Orgasmologue, objectotérapeute, directeur marketing d’Erotek, expert IUFM à l’Action Jeunesse Technologies Sexualité et Laïcité, prostituée de Rome, couple sérodiscordant, Goneril… Marionnettes sympathiques sur ressort, ils animent le « Discours d’accueil du père Chef, modérateur du groupe de consultation », les « Minutes » elles-mêmes de ces consultations sur le préservatif, le « colloque » avec ses « pauses et rafraîchissements », jusqu’au « Discours de supplique au Saint-Père par le cardinal DB ».

Les pères quant à eux, non moins cocasses sont évidemment douze. Citons entre autres, le japonais père Habirato pas si en colère que cela, le très français père Dix, les frères flaubertiens biblistes Buvar et Cruchet, le père Montalte enfilant le pseudo de Pascal… les clés sont faciles à lever jusqu’au psychanalyste père Anacunda que chacun reconnaîtra évidemment.

La subversion est entière et les types de texte avancent, fausses vraies pages de roman, mensonges informatifs artistement déployés pour exposer la vérité crue, pour poser « les vraies questions » sur ce « bout de capuchon » qui divise autant qu’il dissocie, sur « le nouvel anneau des temps modernes » comme le nomme notre spécialiste en « cindynique ». Pour une aussi grave question, il fallait le burlesque et le hardi d’une parole habitée, « appeler un chat un chat » [1] ne pas se payer de mots, renvoyer tant « dos à dos « les vieux cons du français qui se perd » que les « cons neufs du français qui se parle » [2].

C’est réussi. Bien vu assurément le prétentieux du discours scientifique qui tourne à vide des colloques et des émissions de télévision autant qu’un certain discours religieux sans force, reflets de la course à l’abîme du monde moderne du tout-préservatif. Il fallait peut-être cette force crue, indécente parfois, pour faire prendre conscience des jargons, « langue babélienne de la technologie qui fabrique un second monde qu’elle nous fait prendre pour une nature meilleure ».

Les plus ridicules…

Alors le pape attaqué ? Pas le moins du monde : « Quant au Saint-Père, nous ne connaissions pas ses intentions. Peut-être se cachait-il derrière la vitre fumée de la régie. Ou qui sait, comme la veille, sortirait-il de sa réserve, non pour s’interposer, mais pour tenter de réconcilier cet unique troupeau de brebis errantes – au risque de devenir lui-même le bouc sur qui tous s’acharnent ».

Alors l’Église attaquée en son clergé ? Pas si sûr. Les pères, «  vieilles barbes blanchies, clopinantes, mal entendantes et mal voyantes s’appuyant les unes sur les autres, « troupe » certes « boiteuse », sont quoi qu’on dise tout à fait au clair avec la « novlangue érotique » et tout « club de croulants » qu’ils sont ont l’air de devoir malgré tout empêcher le monde de s’écrouler ». S’ils donnent à rire, on les prend d’affection également et l’on s’incline devant la justesse des arguments que Janvier fait briller. Les plus ridicules ne sont donc pas ceux qu’on croit. C’est le tour de force de ce livre.

Concéder la faiblesse de l’Église en ses membres tout en en démontrant la lumière. Une note de G.-M. J. en date du 27 juillet 2005 éclaire la vision des choses en cours : « Néanmoins, je n’arrivais pas à me sentir inquiet. La situation avait-elle paru plus brillante, un certain vendredi au soir tombant, devant le spectacle d’un moribond expirant sur le bois du supplice. »

Les suppositoires de la Gnose

Un sommet que la fin ! la supplique du cardinal DB dit « père Chef » au Saint-Père qu’il appelle « très aimé père ». C’est sur cette voix que s’achève le livre. Le procès du préservatif à charge et à décharge trouve sa résolution. En procureur hors pair, mgr DB, tout « à l’écoute du monde » pourtant, condamne sans appel la libération sexuelle « qui gagne chaque année de nouveaux peuples, enseignant aux hommes par tous les canaux éducatifs, éditoriaux et médiatiques à sa discrétion, que la procréation est un mal à combattre, une responsabilité à éviter, une servitude animale dont la médecine et la technologie ont mission de nous affranchir. »

Coup de théâtre final, l’accusé principal qui a nom Gnose… l’autre nom de « l’Éros platonique » qui « hait le mystère de l’incarnation », qui « refuse hystériquement la propagation de la chair. ». L’attaque n’épargne pas une Église dualiste et puritaine quand elle « prône le mépris de la chair opposant corps et âme, le vice et la vertu, la concupiscence et la charité elle-même ».

Une des clés du renouveau qu’appelle de ses vœux le cardinal/ G.-M. J.? passera par la langue : une langue à inventer « chaleureuse et belle, affranchie de tous les suppositoires de la Gnose. Nous enfanterons cette langue d’amour dont manquent cruellement les jeunes de ce temps qui ne trouvent plus les mots pour décrire ce qu’ils éprouvent sinon dans les catégorie manichéennes du droit, de la technique et du sexe ».

Ils étaient quarante-cinq lauréats des prix de fondations convoqués lors de la remise des prix au Palais de l’Institut en 2009. Jean-Marie Rouart n’a pas manqué en remettant le Prix Mottart à Gaspard-Marie Janvier, pour Le Dernier Dimanche, de souligner son « étrange récit que sa conclusion place soudain aux limites de la Légende dorée et du conte fantastique ». Ni légende dorée, ni conte fantastique, la fin du Dernier Dimanche annonçait en vérité ces éclectiques Minutes pontificales sur le préservatif, et révèle le profond tourment d’un intellectuel inclassable qui devrait être notre tourment : « la signification évangélique de l’union de la femme et de l’homme ».

GASPARD-MARIE JANVIER
Minutes pontificales sur le préservatif
(Dossier Cundom)
Mille et une nuits, 2010, 238 p., 15 €
Le débat sur le préservatif dont la polémique sur les propos de Benoît XVI nous avait privés. (Quatrième de couverture)

[1] Le Dernier dimanche, Mille et une nuits, 2009, p. 142
[2] Gaspard-Marie Janvier, J’habiterai ma langue, Postface à La deffence et illustration de la langue françoyse , Joachim du Bellay, texte original et transcription en français moderne, Mille et une nuits, 2010.