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Travail le dimanche : la QPC casuiste de Sephora

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Nous avions, dans une précédente note, averti que les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) étaient à surveiller de près. Depuis la bataille de Chaud Colatine contre une boulangerie artisanale du Morbihan (janvier 2011), les défenseurs du repos dominical savent que le danger peut subvenir sous un angle inattendu, disons-le tout net, sous un angle vicieux ! La vigilance est donc de mise. Sur ce dossier comme pour d’autres. Nicolas Sarkozy a de surcroît promis de siéger et de peser sur les décisions.


Le torchon brûle une fois de plus entre défenseurs du travail le dimanche et opposants. Dans des communes comme La Flèche (vidéo) mais encore dans des grandes villes comme Marseille ou Paris. Un communiqué de l’Intersyndicale du commerce à Paris vient de porter ces jours-ci sur le devant de la scène une affaire qui risque encore de faire des vagues.


Elle concerne les magasins Sephora. La chaîne de magasins de cosmétiques et de parfums, ainsi que le rappelle le communiqué du Clip-P « est à la pointe de la déréglementation du temps de travail dans le commerce ». L’intersyndicale qui regroupe actuellement les organisations du commerce à Paris (CFDT, CFTC, CGC, CGT, F.O. et SUD) a ainsi décidé d’attaquer le travail illégal du dimanche et de nuit de Sephora devant les tribunaux en assignant cette filiale de LVMH ce 18 octobre, pour ouvertures illégales de ses magasins, celui des Champs-Élysées et celui de Bercy.

 

La réplique de Séphora par une QPC


La société Sephora réplique et invite, quant à elle, le juge des référés, par le biais de son avocat Maître Néret, à transmettre une question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) à la Cour de Cassation. Elle porte sur la constitutionnalité de la disposition qui permet de suspendre les effets des dérogations préfectorales accordées sur le fondement du préjudice au public et de l’atteinte au fonctionnement normal de l’établissement, au regard de la liberté d’entreprendre d’une part, de l’égalité des armes et du droit au procès équitable d’autre part estimant que, du fait du délai devant le Tribunal Administratif, la dérogation ne produira jamais ses effets.

 

Ainsi, la QPC de Maître Néret ne porte-t-elle pas sur la constitutionnalité du repos dominical qui est archijugée. Elle porte sur le point de savoir si l’un des plaideurs peut en contestant une décision administrative empêcher qu’elle puisse s’appliquer à un tiers. Le vicieux dont nous parlions plus haut porte sur ce point précis.


Les syndicats vont répondre, par la voix de Maître Lecourt, et tablent entre autres, concernant cette QPC, que l’argument a déjà été utilisé dans le dossier du Millénaire pour être écarté. Il s’agissait alors de prétendre que cette suspension était contraire au droit au procès équitable tel qu’il résulte de la CESDH (exception d’inconventionnalité). Le juge des référés comme la Cour d’appel saisie par la suite ont alors suivi la position de l’avocat de l’intersyndicale.


Si de son côté l’enseigne argue sans vergogne de la liberté d’entreprendre et du droit au procès équitable, reprochant au tribunal administratif sa lenteur alors qu’elle-même ne présente pas tous les signes de la célérité attendue dans ledit dossier, le communiqué du Clip-P avertit :


Les magasins Sephora des Champs-Élysées, pour le travail de nuit et celui de Bercy pour le travail du dimanche, font partie d’une longue liste d’enseignes du commerce qui violent la loi : Franprix, Casino, Monoprix, Uniqlo, Abercrombie&Fitch. Tous les salariés du commerce sont aujourd’hui concernés par cette déréglementation sauvage, avec, à terme, la perspective d’une ouverture des magasins 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 qui se rapproche ! Cette perspective n’est pas un fantasme : en Italie, il y a quelques jours, les salariés du commerce manifestaient contre un décret sorti il y a un an, qui promettait de l’emploi contre une ouverture permanente des magasins. Le résultat, acquis aujourd’hui, c’est qu’aucun emploi n’a été créé et que les salariés sont désormais obligés de venir travailler tout le temps.  

 

Changement de majorité ? Nihil novi sub sole !

 

En attendant, naturellement, Sephora continue d’ouvrir le dimanche. Malgré le changement de majorité, on constate toujours la même complaisance de l’État face à ce que nous pouvons véritablement qualifier de délinquance, délinquance larvée, assumée, constante.

 

Qui l’eût cru ? Les parlementaires de la nouvelle majorité ne paraissent pas plus zélés que ceux de l’ancienne majorité à faire respecter la loi. Se laisseront-ils abuser de la livraison par Bricorama de caisses à outils auprès des députés ?

 

Rappelons enfin que les recours contre les nouvelles dérogations issues de la loi Mallié ne sont, quant à eux, pas suspensifs. Cela fait plus de trois ans que le Conseil d’État se penche sur la validité de l’arrêté du Préfet de la Région de Paris qui avait classé les communes du Vexin Français dans l’unité urbaine de Paris pour permettre au Magasin Leroy Merlin de Montsoult de continuer à se soustraire à la loi d’ordre public social, le repos dominical pour tous.

 

Et le Family Village d’Aubergenville nouvellement implanté de rejoindre la farandole des commerces ouverts le dimanche ! H.B.