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Travail dominical : Éric Brunet ou l’opération com’ qui fait flop !

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Nobody is perfect ! Et Valeurs actuelles moins qu’un autre ? L’engagement du journal d’informations en faveur de la famille et de la filiation avait pourtant été exemplaire ces dernières semaines. Nous le saluons ! Mais ne nous y trompons pas : le service d’un humanisme intégral est loin d’être total. À preuve, la question du repos dominical, cadet de ses soucis pour l’instant. Nous le regrettons tout en espérant faire bouger les lignes.

 

Valeurs actuelles défend les grandes enseignes à la manoeuvre


Sur twitter, l’hebdomadaire avait en effet montré des signes d’ouverture, avait associé ses abonnés aux conférences de rédaction, appelant au choix des thèmes à traiter. J’entrai dans le jeu et demandai que soit traitée l’affaire du dimanche. Aurais-je été entendue ? Je ne sais. Oui peut-être, car voilà deux semaines que le dossier du travail dominical est effectivement exploré … Non sans doute, car pas analysé du côté espéré, l’hebdomadaire s’engageant du seul côté des grands enseignes à la manoeuvre. C’est d’abord pendant deux pleines pages Bricorama traité en victime « Pari sur le dimanche ». Valeurs oublie au passage d’informer que Bricorama n’a rien dit lors des débats de la Loi Mallié à propos de la distorsion qui venait et qui la concernerait fatalement au premier chef. D’autre part, nous ne sommes pas dupes de l’enfumage en cours : il existe des Bricorama, (dans le XVe par exemple à Paris) qui ne veulent pas ouvrir le dimanche.


Ce n’est pas tout. Vint la semaine suivante et avec elle la chronique ubuesque d’Éric Brunet : « Quand je serai président de la république » Et là, la coupe déborde. Éric Brunet échafaude ainsi l’idée d’un autre programme présidentiel que celui de François Hollande. Se gardant bien de nommer l’enseigne française Sephora mais citant la désormais chinoise Marionnaud, le chroniqueur de RMC égrène ses réformes commençant – ô surprise – par la libéralisation du dimanche ! Cherchez l’erreur. Qu’a-t-elle donc de spécifique cette attaque contre François Hollande ? Aucune. Nicolas Sarkozy ne voulait-il pas bien avant lui la libéralisation du dimanche ? N’est pas Montesquieu qui veut.

 

Étienne Neuville monte au créneau


Que reprocher finalement à Valeurs actuelles sinon de donner audience à un saltimbanque quelque peu aboyeur en mal de signatures (celles de sa pétition), Brunet ressemblant en tout point au monsieur loyal Nicolas Doze de BFM TV. Éric Brunet mettra-t-il d’ailleurs en commun sa pétition – opportunément concomitante – avec celle on ne peut plus confuse de NKM, une barre d’outils mentionnant le “travail du dimanche” mais l’onglet ouvert ayant nom “travail le soir” ! (Notons que la candidate à la Mairie de Paris comme Éric Brunet dans sa vidéo y prend soin d’ailleurs d’éviter le mot “nuit” et emploie le mot “soir” qui n’a aucune réalité juridique…)

 

Les reproches donc il y en a, à la pelle même et le Collectif des Amis du Dimanche par la voix de son Vice-président Étienne Neuville, passablement agacé de tant de manipulations, s’en empare avec une certaine véhémence aujourd’hui en répondant point par point aux dix arguments qu’’Éric Brunet a envoyés au Président de la république. Nous vous en donnons lecture ci-dessous (en rouge). Nous vous conseillons pour plus de clarté de visionner également la vidéo ci-dessous concoctée par Éric Brunet pour soutenir ladite pétition. H.B.

Éric Brunet, avec un aplomb inversement proportionnel à la qualité de son argumentaire, a ouvert une pétition pour soutenir une lettre ouverte qu’il a envoyée au Président de la République.

Pauvre Éric Brunet : même soutenue par BFM, même avec une interview sur RMC, sa pétition a passé péniblement les 10.000 signatures. On a de la peine pour lui !

Ci-dessous, les dix points qu’il a envoyés à François, et nos commentaires, en forme de lettre ouverte (nous lui envoyons, et publierons sa réponse !).

Étienne NEUVILLE, Vice-président du CAD

 

1. La libération du travail répondrait à l’évolution des modes de vies et aux aspirations sincères et profondes de millions de Français. Le shopping est devenu un loisir, et une occasion de se retrouver en famille. Pour des millions de citadins, les courses sont plus rapides et plus simples à faire le soir et le dimanche.

Ça, M. Brunet, c’est bien le cœur du problème. Il est évident que si vous ouvrez tous les centres commerciaux le dimanche, vous allez contribuer à faire croire à une certaine frange de la population que le shopping est un loisir comme un autre, à la suite de Patrick le Lay, l’homme dont le métier consiste « à vendre du temps de cerveau humain à Coca-Cola ». Et ce sont les plus faibles d’entre nous, que vous allez, avec la complicité de la publicité agressive à laquelle ils sont soumis tous les jours, à réduire en consommateurs passifs. Vous n’aurez pas aidé à les grandir, mais à les abaisser. C’est votre option, pas la nôtre.

2. La libération du travail relancerait l’emploi. Dans un pays où le chômage frappe plus de 3,2 millions de Français, le travail en soirée et le dimanche constitue un réservoir d’emplois considérable. Au Canada, l’emploi a augmenté de 3,1% dans le commerce de détail à la suite de l’ouverture des magasins le dimanche. Aux États-Unis, la hausse a approché les 4,5 %. Appliqué à la France qui compte 1,7 millions salariés dans le commerce de détail, une telle hausse signifierait la création d’environ 80 000 emplois.

Soit vous êtes d’une ignorance abyssale en économie, soit vous vous payez la tête de vos lecteurs (ou alors, en bon gascon que vous êtes, vous racontez n’importe quoi, mais avec assurance). Vos prétendues études, dont vous ne citez pas les sources, datent d’une vingtaine d’années, si ma mémoire est bonne, et concernent des pays à l’époque en croissance. Il est évident qu’elles ne s’appliquent pas à notre pays en récession, où la demande est atone et la capacité de production sous-utilisée. Je vous mets publiquement au DÉFI de produire ne serait-ce qu’UNE SEULE ÉTUDE démontrant que le travail du dimanche crée des emplois en France. Tiens, commencez donc par nous monter les “dizaines de milliers d’emplois” que devrait créer la loi Mallié…

3. La libération du travail augmenterait le pouvoir d’achat des salariés. Le taux horaire des heures travaillées le dimanche est, en moyenne, majoré de 150 %. Par ailleurs, ces mêmes salariés bénéficieraient de compensations plus importantes en matière de repos hebdomadaire.

Non, elle augmenterait le pouvoir de CERTAINS SALARIÉS, uniquement.

Renseignez-vous d’un peu plus près sur les entreprises qui ont instauré le travail du dimanche, au lieu de vous limiter à la règle de trois dans vos analyses économiques : pour la plupart de ces entreprises, elles l’ont fait à masse salariale égale, en diminuant les horaires et/ou les salaires des autres salariés. Le travail du dimanche augmente la précarité.

4. La libération du travail augmenterait le chiffre d’affaire des commerces concernés. Les visiteurs étrangers n’iraient plus à Londres ou à Rome, mais resteraient en France pour leur week-end shopping.

J’aimerais que vous me disiez combien, parmi vos très chics amis, sont allés chercher un foulard Gucci à Rome à cause de la fermeture du magasin de Paris le jour où ils étaient en week-end chez nous. Zéro.

Cet argument traîne dans tous les argumentaires produits par les agences de communication, les Ateliers Corporate en tête, qui sont payées par les grandes enseignes pour faire la propagande du travail du dimanche, mais il n’a aucune réalité.

5. La libération du travail répondrait au désir de liberté de chaque citoyen. Le choix du travail dominical ou d’un travail en soirée, s’effectuerait sur la base du volontariat.

Votre conception de la liberté est celle d’un adolescent de la génération Y. Permettez-moi d’oser espérer attendre davantage de vous, qui avez un demi-siècle d’âge, si j’en crois Wikipedia.

D’autre part, à vous qui faites semblant de croire au “volontariat” des travailleurs du dimanche, je peux vous dire, comme patron et employeur de main d’œuvre, que dans mes entreprises, ce ne sont pas les salariés qui font les plannings. Et que ce n’est pas près de changer.

6. La libération du travail serait une mesure égalitaire: la réglementation des heures d’ouverture des commerces impose trop de disparités par branches et par zones. Par exemple, jardineries et magasins d’ameublement sont autorisés à ouvrir le dimanche, en revanche les magasins de bricolage doivent rester fermés. Autre exemple, dans les zones touristiques, c’est au maire de définir les quartiers concernés. Ainsi, à Paris, les Champs-Elysées et Saint-Germain-des-Prés sont classés « zone touristique » mais le boulevard Haussmann ne l’est pas… Les aéroports bénéficient d’une dérogation pour ouvrir le dimanche, mais pas les commerces situés dans les gares…  

Votre notion d’égalité est un peu au même niveau que votre notion de la liberté, et je n’y reviens pas. Vous mettez cependant le doigt sur l’effet domino que nous avions repéré une dizaine d’années avant vous. En effet, à cause de la porosité des activités commerciales, si on ouvre un secteur, l’ouverture s’étend mécaniquement aux autres. C’est pour cela que, la loi Mallié s’écartant du principe (limitation de l’ouverture aux activités nécessaires à la société), nous avons toujours dénoncé cette aberration. Pour ce qui est de la différence entre les Champs, zone éminemment touristique, et le boulevard Haussmann, zone éminemment commerçante, si vous ne faites pas la différence, je crains que vous n’ayez recopié sans réfléchir le courrier que vous a envoyé l’association Haussmann. Enfin, bravo pour avoir recopié aussi cette injustice intolérable constituée par la situation des commerces de gare, vous êtes allé quasi au bout d’une compilation exhaustive. Il ne lui reste qu’à lui ajouter de l’intelligence.

7. La libération du travail ferait évoluer une législation archaïque. Est-il normal que la loi de 1906 établissant le repos hebdomadaire le dimanche, soit encore applicable au XXIème siècle ?

Là, vous avez absolument raison. Et les exemples de cette sorte abondent, comme par exemple celle qui interdit de tuer son voisin, qui date de plusieurs millénaires. C’est scandaleux et révoltant, cet archaïsme. Cette vieille loi de 1906 qui, par son équilibre, a traversé le siècle quasiment sans aucune modification, comme c’est intelligent de l’avoir vérolée par un amendement Debré et une loi Mallié, qui ont mis un bazar tel que quelques années plus tard seulement, il faut revoir le dispositif complètement. Bravo, M. Brunet, vous devriez faire de la politique.

8. La libération du travail serait conforme aux principes de la laïcité : le choix du dimanche comme jour de repos fait écho à la tradition chrétienne. Or, dans notre république laïque, le dimanche pourrait être indépendant de toute tradition confessionnelle. Le choix du jour chômé serait du ressort de chaque citoyen.

Vous n’ignorez pas seulement l’économie, mais aussi l’histoire : j’insiste, vous devriez faire de la politique.

Juste deux mots, cependant. Le repos dominical a été mis en place dans l’Empire par Constantin, en 321. À cette époque, il jurait par Jupiter ou Bacchus, comme tous les Romains, mais pas par Jésus. Si les chrétiens ont investi ce jour-là, et qu’il a été supprimé en 1792 puis de nouveau en 1880, il a été rétabli en 1906 non pas par un quarteron d’évêques réactionnaires, mais par une chambre complètement anticléricale, à l’issue de luttes sociales menées notamment par les employés de grands magasins. Vous n’auriez pas voulu, quand même, que la Chambre instaurasse le repos hebdomadaire le mardi, et rétablisse le décadi, tant qu’on y est, puisque Dieu a créé le monde en sept jours ? se devait-elle d’effacer à tout jamais cette marque de l’obscurantisme ?

9. La libération du travail renforcerait l’attractivité touristique de la France. Il est paradoxal que notre pays, 1ère destination touristique mondiale, voit ses boutiques des Champs-Elysées, fermer à 21h ainsi que le dimanche. Les touristes sont particulièrement demandeurs de shopping dominical. Les villes de Bordeaux et Marseille se privent de la clientèle des croisières qui fait escale le dimanche. …

Vous savez quoi ? Les touristes ne viennent pas précisément en France pour acheter un parfum à deux balles à deux heures du matin.

L’attractivité touristique de la France, dont vous parlez si bien, repose sur la qualité de son patrimoine, la richesse de son histoire et de sa culture. Citez-moi un seul pays, M. Brunet, dans lequel vous êtes allé faire du tourisme à cause des heures d’ouverture de ses boutiques de souvenirs ?

10. La libération du travail harmoniserait la loi française avec celles de la plupart des pays européens. La majorité des démocraties européennes disposent d’une législation moins contraignante sur la question du travail en soirée et le dimanche. 

Encore une foutaise que vous avez recopiée sans réfléchir des argumentaires préfabriqués des agences de communication !

Vous oubliez allègrement, M. Brunet, que notre principal allié en Europe, après avoir tenté d’ouvrir le dimanche, est revenu rapidement en arrière. Il s’agit de l’Allemagne. Vous oubliez de dire qu’en Espagne, les grandes surfaces ont le droit d’ouvrir toute la nuit. Vous oubliez de dire qu’en Irlande, toutes les primes de dimanche ont disparu au bout de quelques années de pratique.

C’est cela, le modèle social que vous voulez pour la France ?

Dans l’espoir que vous prendrez en compte cette démarche qui peut améliorer le quotidien de millions de Français, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments les plus sincères.

Éric Brunet