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Travail de nuit : une proposition de loi “de circonstance”

La proposition de loi concernant les ouvertures des commerces la nuit venait ce 5 décembre en discussion à l’Assemblée nationale. Portée par Luc Chatel, rapporteur, elle avait été signée par plus de quatre-vingts députés de l’UMP dont Nathalie Kosciusko-Morizet, Frédéric Lefebvre, Pierre Lellouche. Encore toute groggy par la sortie du rapport Bailly et par son atteinte au principe du repos dominical, la gauche avait retrouvé malgré tout un peu de mordant dans son opposition à la dérégulation des horaires atypiques de travail. Les députés Sirugue, Braillard, Robilliard et Lepetit n’ont pas ménagé leur peine pour stigmatiser un texte “écrit à la va-vite… pour transformer une actualité judiciaire en faux débat électoral”. Pour Michel Sapin, il n’est pas “pertinent de bricoler ainsi à la va-vite des contreparties pour rendre le texte présentable. Le travail de nuit est un sujet trop sérieux pour les salariés concernés pour souffrir une telle improvisation.”

 

Si Nathalie Kosciusko-Morizet avait voulu un peu vite désolidariser le débat sur le travail de nuit du travail le dimanche, la majorité ne l’a pas entendu de cette oreille. Le député Brailliard débusque les coups retors : “Les arguments de nos collègues de l’UMP tendent à nous faire croire que cette proposition de loi n’aborde pas la question du travail le dimanche. C’est pourtant bien de cela aussi qu’il s’agit puisque la proposition mentionne le dimanche comme jour potentiellement ouvrable.” Le député Sirugue emboîte le pas de son collègue “L’article 1er autoriserait l’ouverture nocturne, quel que soit le jour de la semaine, donc aussi le dimanche” et encore le travail nocturne nuit à la santé des travailleurs, ce qui est la raison même de la condition d’exception”

 

Les questions de méthode ont également occupé bien des interventions. L’affaire Sephora est bien entendu en arrière-fond de cette proposition de loi de “circonstance” pour reprendre le mot de Michel Sapin, “cette dernière résulte de la seule situation d’un seul établissement dans une seule ville et même sur une seule avenue de cette ville ; cette situation n’est même pas établie définitivement sur le plan juridique”. Reproche largement repris après le ministre par le député Robillard : “légiférer entre une décision en appel et un pourvoi en cassation est pour le moins très discutable”

 

“Tout d’abord, votre proposition, chers collègues, est marquée par une certaine précipitation. L’arrêt Sephora a été rendu par la cour d’appel de Paris le 23 septembre 2013. Votre proposition a été déposée le 23 octobre, juste un mois plus tard. Elle a été examinée par la commission des affaires sociales le 27 novembre, et nous sommes déjà dans l’hémicycle. Nous avons le sentiment extrêmement fort que l’on entend la représentation nationale comme un juge de cassation, ce qu’elle n’est pas. De même, la façon dont les auditions ont été conduites – on a entendu « les parties », au sens de parties au procès – est assez désagréable et conduit à penser que l’on est dans la confusion des genres.”

Les arguments sont ainsi réfutés un à un : ceux qui tournent en boucle sur toutes les radios et télévisions sont laminés comme ici la réponse du député Sirugue, imparable à propos des touristes qu’on empêcherait :

 

“Tous les adeptes du travail nocturne, j’entends par là ceux qui veulent faire travailler les autres nuitamment et non pas s’y astreindre eux-mêmes, arguent que, si Paris n’ouvre pas ses commerces la nuit, les touristes n’y viendront plus. Paris est la première capitale touristique d’Europe avec un encadrement fort du travail nocturne. A-t-elle besoin du pouvoir d’attraction de Sephora pour aimanter des promeneurs sur les Champs-Élysées ? J’en doute.

J’entends partout que les touristes chinois ne nous visiteront plus à cause de cette décision judiciaire du 23 septembre dernier. Vous pensez donc, mes chers collègues, que nos amis chinois viennent sur les Champs-Élysées pour acheter dans une enseigne qui possède également 135 magasins dans quarante-sept villes de leur propre pays ? Ils viendraient donc chercher ici ce qu’ils ont en bas de chez eux ? Chacun a bien compris qu’il s’agissait là d’un élément déterminant de l’attractivité économique de notre capitale !”

Quant à Michel Sapin, l’occasion était trop bonne pour ne pas rappeler le pataquès de l’ancienne majorité avec le vote de la Loi  Mallié. Le ministre du travail n’est pas prêt, semble-t-il, à voter une loi catastrophe qui a embrouillé les choses. 


“D’une certaine manière, votre proposition m’en rappelle une autre sur ce terrain : elle portait sur le travail du dimanche. Cette loi, appelée « loi Mallié », entendait régler la situation de la zone commerciale de Plan de Campagne. Résultat ? Un désastre ! Cette loi fait aujourd’hui l’unanimité contre elle : non seulement elle n’a rien réglé, mais elle a même encore plus embrouillé les choses. Il va nous falloir y revenir – vous y avez fait allusion –, mais sérieusement cette fois-ci. Et, si je puis permettre – mais n’y voyez là aucune attaque personnelle –, cette loi n’a pas porté chance à son auteur !”