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“Soumission” : Houellebecq, déserté par l’esprit ?

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Note parue hier vendredi 30 janvier 2015 sur le site de Liberté politique.

 

Faut-il se soumettre au succès de Soumission ? Le dernier roman de Houellebecq n’est pas le plus puissant, mais il a fait mouche avec d’autant plus d’acuité que l’actualité a semblé lui donner raison : la France libertaire et nihiliste va-t-elle se livrer à l’islam ? Pour autant, la complaisance de l’auteur dans la description de la débauche écrase son message. Ce que ne manquent pas de relever les critiques qui s’indignent de son diagnostic cru sur la montée de l’islam en vomissant un style dont ils chérissent les causes. Il reste que l’obscénité littéraire, qui serait en l’espèce une sorte de preuve par le sordide, n’a jamais vaincu le désespoir des débauchés et la lâcheté des tièdes. C’est l’avis d’Hélène Bodenez. LP


ON S’ÉTAIT DEJA BIEN FAIT DUPER par Le Royaume d’Emmanuel Carrère (Plon, 2014). Grand battage médiatique, explosion téléguidée des ventes, buzz sur les réseaux sociaux… Carrère adoubé grand écrivain de son temps, qui l’eût cru ? Même stratégie pour Michel Houellebecq qui n’aura, quant à lui, pas eu le temps d’écumer les plateaux : les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher l’ont obligé à se retirer fissa dans la montagne. Patrick Cohen sur France inter aura eu de la chance, comme David Pujadas sur France 2 encensé par ailleurs dans le livre. Les deux journalistes avaient dégainé à temps pour recevoir l’oracle visionnaire. Bien leur en a pris. Désormais, sécurité oblige : chique est coupée à Houellebecq. Mais de manière inversement proportionnelle aux apparitions médiatiques de son auteur, les ventes de Soumission (Flammarion, 2015) s’envolent. Michel serait même  en passe de devenir immortel !


On peut se payer d’analyses savantes et tordues, y compris chez des critiques catholiques, instrumentaliser Huysmans en agitant tout un réseau pour le faire publier dans la Pléiade, rien ne me convaincra : Soumission m’a ennuyée. Ennuyée ferme ! Si je ne voulais pas écrire cette note, j’en aurais laissé tomber la lecture à la page soixante-dix. M’est avis que c’est ce qui se passera chez de nombreux lecteurs. Et ils auront bien raison.


Rien de nouveau


Valeurs actuelles approche l’affaire de manière juste cette semaine avec Camille Pascal qui s’interroge : « Faut-il lire Houellebecq ? » Il conclut : « Soumission ne nous apprend rien. C’est peut-être là, d’ailleurs, ce qui caractérise le tout-lisant d’une époque donnée. » Quant à François Bayrou, il y voit « une opération commerciale » et ne cache pas son dégoût concernant le héros du roman, ce « mec impuissant affectivement et sexuellement ». Pour l’agrégé de lettres classiques, « le livre s’explique en une page ». La véritable soumission dont il est question, c’est « la femme soumise à l’homme et l’homme soumis à Dieu ». Y voir un règlement de comptes parce que Bayrou joue la figure malheureuse du soumis dans le livre, Premier ministre moqué car composant avec le président musulman élu en France en 2022 ? Sûrement, mais il n’empêche : je partage entièrement son analyse.


Dans une écriture sans attrait, truffée de verbes être, de phrases banales [1], de dialogues attendus des milieux réacs, de tartines, le lecteur suit vite dégoûté, un narrateur qui dit « je », un certain François, professeur d’Université et spécialiste du décadent J.-K. Huysmans. Sa caractéristique, outre d’enseigner accessoirement et mollement quelques heures en fac, est de coucher avec certaines de ses étudiantes qui le quittent toutes invariablement au bout d’un certain temps « ayant rencontré quelqu’un ».


Du côté de la bégueule


Les détails complaisants des passages relevant de la pornographie (p. 101, 105-106, 196-197…) la plus sordide émaillent le livre dans un crescendo vers la jeune juive Myriam, crescendo qui grossit encore jusqu’à l’épisode des deux escorts. N’est pas la Molly de Bardamu qui veut ! Vous ne pensiez trouver bien sûr ce genre de saloperies que dans des torchons avec avertissements préalables… Robbe-Grillet avait bien vendu l’un de ses derniers romans hard sous plastique. Ce n’est même plus la peine aujourd’hui. Un sous-SAS passe pour roman ! Peu de critiques s’attardent sur cet aspect du livre qui ne choque plus personne.


Se choquer, mon Dieu, ce serait d’ailleurs se discréditer, verser forcément du côté de la bégueule. Elle n’aurait toujours pas compris, la pauvre, que l’immoralité ou le sulfureux d’une histoire n’en fait pas pour cela un mauvais livre. S’y révélerait même un chef d’œuvre ! Dans Soumission, là est toute l’arnaque. Les saloperies de Houellebecq envahissent tout, jamais aspirées par une quelconque vision poétique. Plates saloperies. Beurk.

Description crue objectivisée de l’anatomie féminine, monologue à sa bite, fantasmes sur les culs, fellations répétées, enculages savants, tout dans ces lignes de passages à l’acte salaces transgressifs mais vécus comme ordinaires exhibe une vision basse, sale de l’union des corps. La femme n’est jamais une personne, un vis-à-vis, elle ne devient qu’objet de jouissance, avilie. Est-elle femme d’ailleurs ? Pas vraiment unions ces allures de relations hétérosexuelles, en réalité recherche du même dans l’autre.


On essaie naturellement de faire passer ces salopes qu’elles sont toutes comme consentantes, mais force est de constater qu’aucune de ces femmes ne demeure auprès de lui : François reste seul, destiné à finir désespérément seul, seul à pleurer sur son sort, devant la mort qui vient, seul à pleurer sur ces maladies de peau et sur ses hémorroïdes. Aucun sentiment, à part « penser à » de temps en temps. L’indifférence à la mort du père fait passer le « Aujourd’hui maman est morte » de Camus pour lyrisme torride.


Pas de roman


L’histoire est obsessionnellement portée par cette vision de la femme que la conversion à l’islam, après l’échec de la retraite catholique à Ligugé ou devant la Vierge de Rocamadour, légitime. C’est ainsi que l’accession à l’Élysée du Président musulman Ben Abbes n’apparaît donc en définitive que prétexte. La soumission à la religion du Prophète transpose de manière politique la soumission que François impose aux femmes mais qu’elles refusent définitivement. Ce qu’il n’a pas pu trouver dans la femme moderne, une ménagère « potable », une « femme pot-au-feu » à consommer sans modération, nouvel Arnolphe à « la femme potage de l’homme », il l’aura de manière « arrangée », par l’islam qui se charge de tout. Pas de choix, plus de liberté mais trois épouses. Que demander de plus… À quinze ans, les chairs ne tombent pas encore !

La fin du roman à ce titre se veut explicite : le credo en Allah n’a strictement aucune importance, l’octroi des femmes par la marieuse, si. La soumission de la femme à l’homme se révèle d’autant plus sordide et révoltante que celle de l’homme à Dieu est pure mascarade.


Les subtiles analyses politiques que les critiques littéraires se sont essayés d’écrire lors de la sortie de Soumission et dont les médias ont fait des gorges chaudes me font a posteriori bien sourire, la lecture de ces lignes bâclées terminée. Pas de roman. Pas de représentation du monde. Fantasmes à peine transformés « exposés » en une chronologie autofictionnelle. À cause d’une mère « putain névrosée » ? Ce n’est pas un roman alors qu’il faut écrire… Des séances chez un psy s’imposent…


Une chose est sûre, comme le disait un vieux père dominicain, « les extrêmes [ici, soumission de la femme et soumission à l’islam] sont dans le même genre ». François, « déserté par l’Esprit » ? Houellebecq aussi ! H. B.