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Sans le dimanche, nous disjoncterons !

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Repos dominical en berne ! Pétition de principe, affirmation cosmétique, noyau historique d’un modèle social et culturel révolu, oui tout cela est sans doute vrai. Regardons-le en vérité notre dimanche : n’est-il pas devenu finalement un jour de la semaine comme un autre ? À moins qu’il ne soit encore un jour à part, destiné à protéger au moins la santé, quand il n’existe plus pour préserver les consciences, pour rendre la société plus humaine, quand il n’existe plus pour la famille, pour la liberté, pour le bien-être ou pour la dignité humaine.


Au moins. Si les raisons supérieures d’encadrer le séculaire jour de repos hebdomadaire sont reléguées dans un passé repoussoir, au moins reste-t-il encore en effet une raison minimale, celle de la santé. Ne la méprisons pas trop vite. Jamais le dimanche chômé n’aura été aussi remis en cause mais jamais dans le même temps les journaux ne se seront faits paradoxalement autant l’écho des problèmes de santé liés au surmenage. À preuve, l’excellent dossier de L’Express cette semaine à propos du Burn-out.

« Avant les temps sociaux s’articulaient. Aujourd’hui, ils s’entrelacent. La toute-puissance du travail dévore le reste, jusqu’à s’immiscer dans la vie privée. En particulier chez les cadres, qui, pour la moitié d’entre eux, bossent à leur domicile le soir ou le week-end. (…) Seul mot d’ordre : s’adapter encore et encore à des contraintes toujours plus fortes qui font que l’heure est partout, le temps nulle part. (p.46) »

Commencent à remonter également, de plus en plus souvent, montrées du doigt, jugées comme grossières ou irrespectueuses, des pratiques intrusives comme ces courriels envoyés le dimanche pour montrer qu’on est toujours “sur le pont”. Intéressante notamment la fin de paragraphe qui démasque une novlangue de l’entreprise liée à  la “pression insidieuse de certains dirigeants” :

« Aujourd’hui le salarié se doit être disponible (travailler jour et nuit), “connecté” (répondre à ses mails sur le champ), “joignable” (laisser son portable allumé), “réactif” (obéir aux injonctions).

Dans un autre domaine, celui de l’enseignement, la réflexion n’est pas de reste et retourne aux sources. En témoignent certaines lignes de la chronique de Frédéric Gautier, directeur diocésain de l’Enseignement catholique de Paris dans le bulletin de l’APEL, s’interrogeant sur les liens d’une culture universelle, des loisirs et du temps, cet otium précieux que nos temps modernes voraces remplacent avec tant de légèreté :

« La paideia (pédagogie) des Grecs renvoyait au temps libre “skolè” pendant lequel la pensée se détachait des soucis de l’existence. Le terme de “skolè” signifie l'”arrêt”, la “pause”, et par conséquent le “loisir” qui permet à l’homme de se dégager de la vie quotidienne et de prendre son temps. Le sens second du terme sera l’occupation de l’homme qui consacre sa liberté non à l’oisiveté mais à la plénitude de la réflexion. »

C’était un grand acquis social qu’un repos encadré, synchronisé, qu’il soit quotidien, hebdomadaire ou annuel. Ce ne devrait pas être une “charge” que de le protéger. C’était auparavant compris comme une nécessité, le lot d’une société de progrès en amont desquels se trouvait d’ailleurs la volonté de grands patrons chrétiens. Faudra-t-il force crises cardiaques, burn-out, dépressions, cancers, accidents du travail ou allergies proliférantes pour que nous nous rendions compte que ce corps qui travaille n’est pas une machine, qu’il doit reprendre des forces, se ressourcer ? que ce corps qui travaille réclame des vivres pour son esprit et pour son âme auxquels il est si substantiellement lié ? Étrange Modernité que celle qui veut la prolifération des choses jusqu’à chosifier et rendre malade l’humain. Le nouveau matérialisme du XXIe siècle n’a décidément rien à envier au précédent : consumérisme et marchandisation des hommes font le même mauvais œuvre, inhumain comme jamais sous la façade grimaçante du progrès. Beau dimanche en vérité que ce dimanche anorexique et presque dépouillé de toutes ses raisons d’être. Gare ! Il n’en reste même plus qu’une seule, la plus petite des raisons. Alors tant pis, défendons le dimanche pour la santé. Au moins !  H.B.

 

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1. Vidéo-résumé de la IIe conférence internationale pour un dimanche chômé  en Europe, Bruxelles, 21 janvier 2014, European Sunday Alliance.

 

2. Vidéo : Le dimanche, un jour pour être !