Recherche sur embryons, intervention de Dominique de Legge
Nous copions ci-dessous l’intervention du sénateur Dominique de Legge prononcée le 4 décembre dernier au Sénat lors de l’examen du texte de la proposition de loi cherchant à lever l’interdiction de la recherche sur embryons et sur les cellules souches embryonnaires, votée à la dérobée, de nuit, avec date de discussion avancée. La question préalable demandée par le sénateur ne sera pas adoptée. H.B.
Monsieur le Président,
Madame le ministre,
Mes chers collègues,
La loi de bioéthique du 7 juillet 2011, avait été précédée d’un large débat public sur tout le territoire.
D’abord des avis et rapports avaient été commandés par le gouvernement d’alors, pour approfondir la réflexion : je veux parler du mémoire du Comité Consultatif d’Éthique, et des rapports de l’Agence de la Biomédecine, et du Conseil d’État.
Ensuite, le gouvernement avait pris une initiative innovante, démocratique et républicaine en organisant les « États Généraux de la Bioéthique », qui s’étaient déroulés sur tout le premier semestre 2009. Il s’agissait d’élargir le débat bioéthique au delà du cercle des spécialistes, en donnant aux citoyens la possibilité de participer à des forums régionaux, en compagnie de médecins, de juristes et de philosophes, pour alimenter la réflexion sur les enjeux éthiques qui engagent notre avenir commun. La contribution finale a ainsi permis de donner la parole à l’opinion publique, de nourrir le débat, et de confronter les experts aux questions et réflexions très pertinentes des citoyens.
Ce n’est qu’ensuite que le Parlement, éclairé par la synthèse de ces travaux, a été saisi du projet de loi. Les rendez-vous de la bioéthique organisés dès 2009 par Mesdames DINI et HERMANGE, de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, avaient déjà engagé la réflexion, pour que chacun d’entre nous puisse se confronter, avant le vote, aux questions de fond. Les auditions sénatoriales du rapporteur Alain MILON, ont par la suite complété cette consultation en profondeur des responsables concernés.
La discussion en séance, longue et fructueuse, avait permis à chacun de s’exprimer en son âme et conscience, notamment sur le sujet crucial de la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches qui en sont issues.
On le voit, c’est un long chemin démocratique, et des débats d’une ampleur sans précédent, qui ont conduit à la loi du 7 juillet 2011.
Le texte auquel nous étions parvenus tenait tout à la fois compte de l’état de l’opinion et de l’avis de la communauté scientifique. Il a du reste été salué par beaucoup d’observateurs comme un « texte équilibré » et de compromis.
Le vote final du Parlement avait tranché en faveur du principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain, assortie de dérogations.
Certes, d’aucuns auraient préféré le principe d’une autorisation assortie d’un encadrement, et c’est le sens de la proposition de loi qui nous est soumise.
S’agit-il d’une modification mineure ? Assurément non.
Il est clair qu’un régime d’autorisation assorti de restrictions, a une portée très différente d’un principe d’interdiction assorti de dérogations. On peut supposer que dans les deux cas, il y a une même volonté de protéger l’embryon, et d’éviter les dérives. Il n’en est rien. L’interprétation juridique, comme l’a souligné le rapporteur Barbier, sera toujours différente : dans le cas de l’interdiction, la possibilité de déroger est d’interprétation stricte, dans le cas de l’autorisation, c’est la condition qui restreint la liberté de la recherche qui est d’interprétation stricte. Poser le principe d’autorisation de la recherche sur l’embryon humain, signifiera évidemment une accélération des autorisations de protocoles accordées par l’Agence de la Biomédecine. Et nous sommes bien là au cœur du sujet.
La proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à notre examen, propose donc de revenir sur la philosophie même de la loi, en établissant un régime d’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon humain.
Il s’agit d’un revirement à 180 degrés, portant sur le cœur même du texte de la loi de 2011 ! Je crains qu’une telle approche, exclusivement à la main d’enjeux scientifiques voire financiers, ne constitue pas un progrès.
Rouvrir le débat dix-huit mois après, cela mérite de s’interroger sur les éléments scientifiques nouveaux susceptibles de justifier l’examen par le Parlement de cette modification majeure qui nous est proposée…
Je note tout d’abord que très peu d’auditions ont été organisées pour préparer ce texte, et que beaucoup d’arguments renvoient aux débats antérieurs au vote de la loi de 2011.
Certes, je ne nie pas que ce qu’une majorité a fait, une autre peut la défaire. Mais en l’espèce, ont peut espérer que ce texte soit inspiré par d’autres considérations que celle d’un détricotage systématique des réformes adoptées sous la précédente majorité.
1) Alors qu’y a-t-il de nouveau sur le fond pour qu’on légifère une nouvelle fois toutes affaires cessantes ? Je constate aujourd’hui que l’actualité conforte le vote de 2011, et confirme ce que l’état des recherches laissait déjà apparaître.
La communauté scientifique internationale, en couronnant les travaux du biologiste anglais John GURDON, et du médecin chercheur japonais Shinya YAMANAKA par le prix Nobel de médecine, vient de reconnaître que la transformation des cellules adultes en cellules souches, constitue une alternative efficace à la recherche sur les embryons humains, désormais évitable.
Le comité Nobel a indiqué que « ces cellules adultes peuvent être reprogrammées pour devenir pluripotentes, donc dotées de la capacité de se différencier en plusieurs types de cellules. Leurs découvertes ont révolutionné notre compréhension sur la manière dont les cellules et les organismes se développent ». Ces cellules « reprogrammées » pourront ainsi régénérer différents tissus humains, et permettre de traiter certaines maladies dégénératives, notamment nerveuses, sans le recours, éthiquement délicat, aux embryons humains Cette avancée scientifique a été saluée par de nombreux scientifiques : le professeur Marc PESCHANSKI y voit une « excellente nouvelle », le professeur écossais Ian WILMUT, « père » de la brebis clonée Dolly, a rejoint l’équipe du professeur YAMANAKA, abandonnant ses travaux sur les cellules souches embryonnaires, et le scientifique Axel KAHN, directeur de recherches à l’INSERM, parle d’une « méthode plus prometteuse » qui « bouleverse la discipline ».
Enfin, le lauréat John GURDON lui-même se réjouit « de voir comment une recherche purement fondamentale, s’est révélée avoir des perspectives claires dans la santé humaine ».
Je note que Madame le ministre ne disait pas autre chose en octobre.
Face à ce concert d’avis unanimes émanant de spécialistes d’horizons différents, nul besoin de bagage scientifique particulier pour mesurer le bouleversement décisif et prometteur causé par ces faits récents.
Dans ces conditions, le texte dont nous débattons ce soir est-il un texte innovant ?
À la lumière d’une telle actualité, les dispositions de la présente proposition de loi, somme toute conformistes, semblent bien décalées, et contredites par les évolutions de la Science elle-même. Je regrette que ce texte envoie un message à contre-courant, au risque d’aggraver le retard de la recherche française sur les cellules souches non embryonnaires. Certains chercheurs comme Madame Éliane GLUCKMAN, présidente de l’association Eurocord, avaient d’ailleurs déclaré dès mars 2011 au Sénat, lors de la table ronde sur les cellules souches organisée par la commission des affaires sociales, qu’ils craignaient que « nous n’ayons pris beaucoup de retard sur les États-Unis et l’Asie » dans le domaine des cellules souches pluripotentes induites (iPS).
Dans un article récent du Quotidien du médecin (32), M. Alain PRIVAT, ancien directeur d’unité à l’INSERM, et Mme Monique ADOLPHE, faisaient également état du « retard considérable que la France a déjà pris dans le domaine de la recherche sur les iPS, faute d’un financement adéquat ».
L’argument majeur que les auteurs de la proposition de loi avancent volontiers pour justifier leur démarche, est de permettre à la recherche française de ne pas être en décalage par rapport à la recherche internationale…
N’est-ce pas précisément l’effet inverse qui se produirait, en cas d’adoption de ce texte ? Inciter la recherche sur l’embryon humain, les crédits disponibles n’étant pas extensibles, c’est de fait pénaliser la recherche d’avenir que constitue la recherche alternative sur les cellules souches adultes. Dès 2002, à l’annonce des travaux du professeur YAMANAKA, le Japon avait d’emblée compris leur intérêt, créant un institut de recherches. Dix ans plus tard, en 2012, alors que ces travaux sont internationalement reconnus et salués, vous nous proposez d’élargir et de favoriser les recherches sur l’embryon humain…Avouez que la démarche est rétrograde, voire « à côté de la plaque » !
Adopter la présente proposition de loi, ce serait creuser encore davantage l’écart à notre détriment, et constituerait un message désastreux envoyé à la communauté scientifique internationale. Ce serait placer notre pays à la traîne des progrès thérapeutiques et de la recherche mondiale qui s’engage dans le sillage des découvertes du Nobel.
Sur le fond, cette proposition de loi ne répond donc pas à un impératif scientifique.
2) Par ailleurs, sur le plan de la méthode, nous nous élevons contre la manière dont ce texte, dont la discussion s’apparente à un véritable parcours du combattant, a été inscrit à l’ordre du jour.
Inscrite un lundi soir d’octobre, interrompue par les contraintes de l’emploi du temps, cette proposition de loi devait être reprise le 13 décembre, pour se voir brutalement avancée à ce soir, à 22 heures, en catimini, alors même que l’ordre du jour, dégagé par la loi de finances, permettait de fixer notre débat en journée… Convenez que la démocratie parlementaire s’en trouve passablement malmenée !
C’est notre responsabilité de législateur qui est en jeu, ne l’oublions pas. Effectuer des recherches sur des embryons humains n’est pas, en effet, un acte anodin. Autoriser ces recherches engage nos consciences à réfléchir sur l’essence de notre humanité.
Le rapporteur Barbier reconnaît lui-même qu’il s’agit d’une « disposition centrale » de la loi de bioéthique qui est ici en cause.
D’autant que l’annonce de nouvelles réformes sur ces sujets qui touchent à la bioéthique, dans le cadre des débats à venir sur le mariage pour tous et la Procréation Médicalement Assistée, n’est pas pour nous rassurer… Un « appel » de Cent députés, en faveur de l’élargissement du projet de loi sur le mariage pour tous à la PMA, vient en effet d’être adressé au président de la République… Comment imaginer revoir les règles de la PMA, au détour de ce texte, sans réviser les lois de bioéthique qui nécessitent précisément un vaste débat préalable ?
Il semblerait à l’évidence plus opportun, sur des sujets aussi graves, d’avoir une vision globale et de vraies consultations préalables.
Y avait-il une telle urgence législative pour procéder de la sorte ? J’avoue que cela me gêne et me choque. Je sais que ce sentiment est partagé par nombre de collègues, indépendamment de leur position au fond ou de leur appartenance politique. Cette méthode, qui traduit une volonté d’esquiver le débat, nous conforte dans l’idée qu’un tel sujet aurait mérité à tout le moins des consultations préalables.
Sur la méthode, cette proposition de loi nous semble donc inopportune.
3) Enfin, au regard de la procédure et du droit, l’examen de ce texte intervient au mépris de l’article 46 de la loi de bioéthique qui stipule : « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes, et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologique. A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que toutes ces étapes, votées en 2011, ont été allègrement ignorées. Nul débat public, pas la moindre consultation d’experts, aucune concertation d’élus, n’ont précédé la présentation de cette proposition de loi, qui n’a fait l’objet d’aucune publicité.
Le gouvernement, sur ces sujets de société, semble très frileux, redoutant la confrontation des idées et des points de vue, et préférant l’opacité. Lui toujours si prompt à créer des commissions théhodules ou à commander des rapports sur tant de sujets où les éléments du débat sont connus, est bien loin ici de la transparence réclamée et affichée comme une méthode de gouvernement ! Ce débat confisqué hypothèque considérablement la crédibilité du texte que nous examinons ce soir.
Le rapport de M. Barbier fait état de seulement quatre auditions ! J’insiste sur ce point essentiel, car de l’absence de concertation naît l’arbitraire, coupable sur un tel sujet. Nous sommes aux antipodes de la démarche consultative qui avait précédé l’examen de la loi de 2011 ! Et ceci me paraît insuffisant pour renverser toute la philosophie de la loi.
Lors de la Commission Mixte Paritaire sur la loi de Bioéthique, en juin 2011, les parlementaires présents avaient débattu du point de savoir s’il était opportun ou non de réviser la loi tous les cinq ans.
D’aucuns estimant qu’une révision valait désaveu, et qu’il ne fallait pas imposer de délai aussi arrêté sur des dispositions votées par le Parlement. D’autres au contraire trouvant qu’il était nécessaire de s’adapter aux réalités, notamment scientifiques.
Au final, un consensus s’était dégagé sur le point suivant : dès qu’il y avait nécessité de réviser la loi de Bioéthique, un débat était indispensable.
Oui, à l’heure où l’on prône la démocratie participative, la création de commissions d’enquête, la réunions d’états généraux, il est singulièrement paradoxal de glisser dans l’ordre du jour chargé d’actualité, sans aucun débat préalable, une proposition de loi destinée à légiférer sur un sujet éthiquement si sensible.
Sur le plan juridique, la proposition de loi est donc manifestement contraire aux dispositions préalables prévues par la loi de bioéthique de 2011, votée dans les règles, la transparence, et à l’issue de consultations ouvertes.
Pour toutes ces raisons, à la fois démocratiques, scientifiques, éthiques et juridiques, avec de nombreux collègues, nous avons pris l’initiative de déposer une question préalable. Celle-ci vise essentiellement à respecter la loi et permettre un débat sur un sujet éthiquement si important.
À nos yeux, cette question préalable constitue une mesure de sauvegarde, vis-à-vis d’un texte qui n’est à l’évidence ni scientifiquement opportun, ni juridiquement légitime, ni méthodologiquement recevable.