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Pour quoi, pour qui la messe ?

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Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais parfois l’on assiste à de drôles de messes. Même les prêtres ne savent plus quoi faire ! Après une messe des plus éprouvante, me revient en tête un passage d’un roman bien senti, Le Dernier dimanche de Gaspard-Marie Janvier (Mille et une nuits). Je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager cette page savoureuse. H.B. 

 

         22e dimanche du temps ordinaire

         (2 septembre)

            Laissez venir à moi les petits enfants


La messe peut être une expérience sociologique. Après deux mois de retraite absolue dans mon royaume près de la mer, le retour à l’existence ordinaire, aux routes, aux ronds-points, à la vulgarité constitue une épreuve brutale, aggravée par l’exil du père Joris. Oui, il est bel et bien parti, mon bon pasteur, et je décide d’aller à l’office d’une petite église proche où je n’avais pas mis les pieds depuis longtemps. Un prêtre que je ne connais pas avance vers le lutrin, salue l’assemblée, se réjouit benoîtement de la présence nombreuse de petits enfants, sans comprendre que cette petite foule innocente et sympathique est précisément ce qui va ruiner, dans les minutes qui suivent, tout effort pour donner à la célébration une quelconque consistance spirituelle. Mon fils de neuf ans, debout à côté de moi, n’est pas long à le remarquer :

« Papa, on  se  croirait  dans  une  forêt  de singes… »

Je ferme les yeux. Couinements, glapissements, grognements, babils, jabotements, piaillements, piaulements retentissent. Le prêtre a beau disposer d’un micro et d’une sono, sa voix est couverte par le tapage. À ce régime, l’homélie n’est plus qu’une suite de phrases creuses et définitives : guérir un malade est plus important que respecter la loi, être le dernier à la table céleste vaut mieux qu’être le premier au banquet des hommes. Le magnifique « Celui qui s’élève sera abaissé, celui qui s’abaisse sera élevé » tombe à plat. On est vraiment un jour de rentrée. Le même bavardage continuel, la même attention flottante, la même indifférence à l’exigence intellectuelle prévaudra demain lundi dans toutes les écoles, dans tous les collèges de France et d’Amérique. Défaite du magistère, déconfiture de l’autorité, déroute de la langue elle-même, dans la subtilité de ses usages et de ses registres : triomphe d’une société commerciale qui n’a plus besoin d’esprits libres mais de clients compulsivement avides de ce qu’ils n’ont pas, assistés dans leurs lacunes cognitives par des prothèses machiniques. Au milieu du supplice, le chef d’une petite famille Le Quesnoy dont le benjamin n’a cessé de hurler se lève et vient dire une prière universelle « pour la prospérité de la France ». Ainsi se clôt la liturgie de la parole. Ce christianisme-là n’est plus qu’un vestige social de reconnaissance : ce sont toutes ces bonnes gens bien actives dans le processus de consumation universel qui viennent ici se donner le signe de l’élection. Depuis le début de la messe, la jeune épouse n’a cessé de tripoter, de lécher, de baiser ses petits que c’en était répugnant. Et après le Notre Père, au moment où le prêtre invite les fidèles à échanger une poignée de main en se souhaitant la paix du Christ, ils se la sont souhaitée entre eux, en circuit fermé, la paix du Christ ! Mais où souffle-t-il, le feu promis par le père Joris chaque dimanche? Combien de temps tiendrai-je à ce régime ?