Pour ou contre le repos dominical : de droite, de gauche ?
Depuis la résurgence du débat sur le travail le dimanche, en 2008, force est de constater que ce n’est pas facile d’unir les forces d’opposition ! Souvenons-nous : le député Richard Mallié à la manœuvre pour la plus grande zone touristique d’Europe appartenait à l’UMP. Toute la droite emboîtait alors le pas à Xavier Bertrand ou à Xavier Darcos après la sénatrice Isabelle Debré qui avait cédé, une nuit dans l’hémicycle, au lobbying des magasins de meubles. Toute la droite ? Certes non, mais les « frondeurs » de droite d’alors furent peu nombreux à oser déroger aux ordres partisans. Hommage soit rendu par exemple au sénateur Lardeux qui lors du vote de l’été 2009 fut l’un des rares à dire avec force et grandeur que l’horizon du bonheur le dimanche n’était pas une promenade sous les lumières artificielles des centres commerciaux.
Depuis ce temps où, unie et vent debout, la gauche défendait le repos dominical contre la proposition de loi Mallié, la défense de ce sujet sent de plus en plus le soufre. Tenir bon sur le dossier du repos dominical comme nous le faisons depuis lors, que ce soit pour le site de Liberté politique que ce soit pour ce blog, avec les amis de la CFTC Paris et le Collectif des Amis du dimanche, n’est pas simple.
Depuis 2009, pour beaucoup, dont le raisonnement binaire pavlovien en politique laisse rêveur, défendre le repos dominical serait devenue une posture de gauche intenable. Défendre aujourd’hui ce noyau historique d’un modèle social et culturel avec, par exemple, des Martine Aubry, Gérard Filoche, Sandrine Mazetier ou Benoît Hamon serait tout bonnement impensable. Et tant pis pour la vérité des arguments avancés, ceux-là mêmes que nous nous époumonons à faire passer dans l’opinion depuis tant d’années.
Avant la fin de l’année
Sauf que le projet de loi pour la relance de l’activité vient à l’Assemblée avant la fin de l’année. Sauf qu’il faudra bien compter sur une opposition. Sauf que toutes les voix ne seront pas de trop, y compris celles que nous n’aurions pas voulues. Ne pas se leurrer : le gouvernement l’a compris en commençant à mettre au ban de son parti les voix discordantes.
Cette question du dimanche libre n’est ni de droite ni de gauche. Question de société transpartisane, elle réclame toute notre raison et notre courage pour l’approcher avec discernement. Les colossales puissances d’argent alliées aux énormes pouvoirs médiatiques ne sauraient nous décourager. Pas davantage les alliances politiques se recomposant à la va-vite pour le besoin qui vient. Ayons toujours ceci en mémoire de l’intervention de Joseph Thouvenel lors du rassemblement à la Bourse du travail (synthèse vidéo ci-dessous) citant Franck Margain (PCD) : « Les partisans du repos dominical sont très divers. Quelqu’un l’a écrit il y a quelque temps dans une tribune parue dans Le Monde. “ C’est encore une occasion de constater qu’il existe une ligne de partage idéologique dans le champ politique public, ligne de partage bien profonde, fondée sur une certaine vision de l’homme et de la société, et qui ne correspond pas forcément aux lignes de partage partisanes. ” »
Alors oui, nous citerons Martine Aubry dans sa récente conférence de presse, oui nous citerons Benoît Hamon, oui nous citerons même sans complexes des communistes et des cgétistes s’il le faut. Mais, nous citerons encore Franck Margain, comme Marc Le Fur et Jean-Frédéric Poisson qui semblent infléchir leur position obligée de 2009, nous saluerons un PCD uni qui ferraillera comme il l’annonce dans ses différents courriers. Personne ne sera de trop en cette fin d’année 2014.
Être prêt pour la nouvelle bataille âpre
C’est toute l’habileté d’un Étienne Neuville que d’avoir su rassembler au-delà des partis politiques quand il s’est agi de monter à l’assaut pour défendre le lundi de Pentecôte. Cette habileté-là, il faut la revivifier, la renforcer plus que jamais encore à l’aube de cette nouvelle bataille du dimanche qui promet d’être plus âpre qu’il y a cinq ans. Une chose est sûre : il n’est à voir que leur récent historique politique pour comprendre que ceux qui ont montré leur désaccord sur la question du repos dominical sont aujourd’hui tous ostracisés par une autre question. Logique ! H.B.
***
DISCOURS du sénateur André Lardeux, 21 juilllet 2009, tribune du Sénat
“Je préfère les amateurs de vie spirituelle aux théologiens du marché !”
La parole est à M. André Lardeux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est décidément un pays formidable, dans lequel le vice vaut souvent mieux que la vertu, le premier étant souvent plus récompensé que la seconde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) On bafoue délibérément la loi en ouvrant en toute illégalité des magasins. Ensuite, on exige que l’on modifie la loi parce que les juges vous ont sanctionnés. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) C’est appliquer la loi de la jungle ou celle du far-ouest !
Je ne crois pas que le législateur s’honorerait en votant ce texte qui récompense la délinquance économique et sociale. Certes, on nous dit que la nouvelle mouture du texte est très édulcorée – et je ne mets pas en doute la sincérité du propos – mais, en fait, elle relève toujours de la même philosophie. Si tel n’était pas le cas, nous demander de discuter cette proposition de loi n’aurait pas de sens.
Pour moi, ce texte est la clé qui ouvre la porte à la banalisation, puis à la généralisation du travail le dimanche.
Les recettes sont connues. Il suffira de multiplier les cas particuliers et, si cela ne suffit pas, de faire comme aujourd’hui : violer la loi ! Je voterai donc résolument contre ce texte, d’autant qu’il est interdit au Sénat de le modifier.
Pour moi, il s’agit d’une question de principe. Ce qui est en jeu, c’est notre conception de la vie en société, à l’encontre de laquelle va ce texte. En fait, on nous propose un changement sociétal qui ne veut pas dire son nom. Certes, ce n’est pas un problème simple, mais pourquoi, au nom d’une pseudo-modernité, regarder tout par le petit bout de la lorgnette économique ? Ce n’est pas ainsi que l’on pourra répondre à la question éthique du rapport à l’argent.
Étendre l’obligation du travail le dimanche présente des avantages, pour la plupart hypothétiques, et des inconvénients, à peu près tous certains. Les termes de l’échange me paraissent particulièrement déséquilibrés. Ce n’est pas parce que 7 millions de Français environ travaillent déjà régulièrement ou occasionnellement le dimanche qu’il faut en augmenter le nombre, au contraire. Je suis donc opposé à cette proposition qui ne me paraît ni de bon sens ni respectueuse de la dignité des personnes.
Qu’on le veuille ou non, le dimanche n’est pas un jour comme les autres et j’ai au moins dix bonnes raisons de l’affirmer.
La première, c’est que c’est un acquis social qui, depuis plus de cent ans, a plutôt fait ses preuves. La loi du 13 juillet 1906, en instituant le repos dominical, mettait fin à plusieurs décennies de régression sociale. Le non-travail le dimanche a toujours pour objet le repos, mais évite aussi, me semble-t-il, l’accentuation de l’atomisation de notre société.
La deuxième est que le dimanche est favorable à la famille. En qualité de rapporteur du budget de la branche famille, cela me tient particulièrement à cœur. C’est le jour où les deux ou trois générations d’une famille peuvent se retrouver ensemble, quelles que soient les activités des uns et des autres. Les salariés qui ont de jeunes enfants seront confrontés à des problèmes de garde. Faudra-t-il payer double les assistantes maternelles qui travailleront le dimanche ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Faudra-t-il faire doubler aussi les aides de la caisse d’allocations familiales ? De plus, que devient une famille dans laquelle chacun vit à un rythme différent ? Cela risque de déstabiliser un peu plus les familles avec le cortège de difficultés sociales qui en résultent. Or, de nombreuses études le montrent, trop de parents et d’enfants ne passent pas assez de temps ensemble.
La troisième raison est que le repos du dimanche est propice au sport, au jeu et à la vie en société. Sans la présence des parents, beaucoup d’activités du dimanche – compétitions sportives, mouvements de jeunes, activités culturelles diverses – seront difficiles à organiser et de nombreux enfants en seront exclus. Ce serait un beau progrès !
La quatrième raison est que le travail du dimanche est un leurre économique. Un gâteau partagé en sept n’est pas plus gros qu’un gâteau partagé en six. (M. Jean Desessard applaudit.) L’effet sur la consommation n’est qu’un déplacement, non un accroissement. Selon une étude de l’OSCE, ouvrir plus longtemps ne fait pas consommer plus. Ouvrir un jour supplémentaire ne permet une augmentation de l’activité que si les concurrents sont fermés au même moment. Les budgets des consommateurs n’étant pas extensibles, hélas ! surtout en ce moment, les dépenses faites le dimanche ne le seront pas les autres jours. Comme le montre l’exemple allemand, la législation sur les plages d’ouverture du commerce de détail a été assouplie en 2003 sans que cela modifie la consommation ou l’épargne des allemands. Les créations d’emplois sont incertaines alors que les suppressions de postes semblent assurées. Les commerces indépendants, notamment les plus petits d’entre eux, seront définitivement écrasés par la grande distribution. Je ne pense pas que l’objectif que nous avons les uns et les autres soit de faire disparaître les commerces de proximité.
La cinquième raison est que le travail du dimanche est un piège pour les salariés. En effet, cela conduira à la banalisation du travail le dimanche et, très probablement, à la déréglementation totale. Le salarié qui ne souhaite pas travailler le dimanche ne sera pas embauché et risquera, ensuite, d’être licencié le premier. Quoi qu’il en soit, il subira de très fortes pressions. La surrémunération de 100 % est alléchante, mais elle peut se faire au détriment de ceux qui ne travaillent pas le dimanche. Il est d’ailleurs assez surprenant que le travail le dimanche puisse être payé le double alors que la grande distribution, principal employeur des travailleurs pauvres, refuse très souvent d’accorder des augmentations, même minimes, sur le reste de la semaine. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Nous venons d’en avoir une illustration récente au moins dans deux grandes agglomérations de notre pays.
Il est donc hypocrite, à mon sens, de nous dire que le travail le dimanche serait une réponse aux difficultés des travailleurs pauvres. Cela constituera par ailleurs une solide base de revendication salariale pour tous ceux qui travaillent déjà le dimanche par nécessité de service public ou pour les usages de certaines activités.
Les arguments avancés montrent bien que ce sont les plus fragiles qui seront amenés à travailler le dimanche, quand on nous dit que c’est le souhait des femmes seules avec enfants ou des célibataires. Au demeurant, la situation familiale est extrêmement changeante : on peut, à vingt-cinq ans, vouloir travailler si on est seul et ne plus avoir la même volonté, deux ou trois ans plus tard, après s’être marié et avoir deux ou trois enfants.
On nous dit que les étudiants financeraient ainsi leurs études : est-on sûr que le travail dominical est une réponse au problème du financement des études supérieures ? (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.) Ces étudiants travaillent-ils uniquement pour financer leurs études ? De plus, un commerce ne fonctionne pas seulement avec des étudiants.
Enfin, l’argument de la surrémunération risque d’être mis à mal par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré, dans un arrêt du 31 janvier 2006, qu’un salarié travaillant habituellement le dimanche ne peut prétendre à une majoration de salaire. Ne tombons pas dans l’addiction au travail, n’en faisons pas une nouvelle idole ! Le travail doit participer à l’épanouissement de l’homme, non à son assujettissement ; aussi, ne créons pas de nouvelles formes de servage !
La sixième raison est qu’il ne faut pas tomber non plus dans l’addiction à la consommation, problème que des associations aux États-Unis essaient de traiter. Avons-nous besoin d’acheter sept jours sur sept ? On fera miroiter, à coup de crédits coûteux, des tentations auxquelles les plus modestes ne pourront céder, sauf à se surendetter. Même si on en a les moyens, la consommation doit-elle être l’horizon indépassable de notre société ? Ce serait avoir une bien piètre opinion de la personne humaine. L’argent ne peut pas tout et il n’est pas besoin d’être un pousseur de chariot pour être un bon citoyen ! Comment à la fois revendiquer la possibilité de consommer n’importe quand et fustiger, du fait de la crise, les dérives résultant d’une trop grande liberté des acteurs économiques ?
La septième raison est que des temps de repos sont indispensables, sous peine d’épuisement ! La société doit se permettre de relâcher la cadence de travail et d’octroyer à ses membres un temps non soumis à l’économique. Les hommes ne sont pas que des producteurs et des consommateurs ! Ce temps de pause est nécessaire à la santé des adultes et des enfants. Se relaxer sur un terrain de sport ou dans la nature me paraît plus profitable que de déambuler dans une galerie marchande. Est-il normal que, pour gagner honnêtement notre vie, nous soyons invités à renoncer à une certaine qualité de vie ? On ne peut pas impunément remplacer le « Je pense donc je suis » par le « Je bouge donc j’existe » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, des études réalisées dans certains pays européens indiquent que la probabilité de développer une maladie est plus importante dans les entreprises où les salariés travaillent le samedi et le dimanche, puisqu’on avance le chiffre de 30 %.
Enfin, tout cela est-il conforme à l’intérêt écologique et positif pour le bilan carbone ? Il semble que le coût global, pour la collectivité, de l’ouverture le dimanche – j’appelle de mes vœux des études approfondies sur ce point – soit supérieur à ce que celle-ci est susceptible de lui rapporter.
Le fait que le repos du dimanche soit un repère pour l’homme constitue une huitième raison. Ce repère est inscrit dans toutes ses dimensions, notamment la dimension spirituelle. Notre horloge interne nous fait éprouver la nécessité de l’alternance entre-temps de travail et moments de repos. C’est le temps réglé qui permet le développement de la civilisation.
Qu’est-ce qu’une société sans rythme commun ? Une jungle déréglée par un individualisme exacerbé !
La culture du gain doit-elle passer avant celle de l’homme ? Dans ce cas, on fait de la personne un moyen ; on ne regarde pas si les âmes se perdent, on surveille si les affaires se font. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.) L’argent, valeur suprême, dévore les individus et réifie les salariés. C’est un appauvrissement spirituel sans enrichissement économique.
Tel est d’ailleurs le point de vue qu’a exprimé, au moins à deux reprises, le Président de la République. Le 20 décembre 2007, il a dénoncé, dans son discours du Latran, la frénésie de la consommation. (Rires ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Le 12 septembre 2008, quand il a reçu le Pape à l’Élysée, il a fait une déclaration à laquelle je ne peux que souscrire : « La croissance économique n’a pas de sens si elle est sa propre finalité. Consommer pour consommer, croître pour croître n’a aucun sens. Seuls l’amélioration de la situation du plus grand nombre et l’épanouissement de la personne en constituent ses buts légitimes ? »
La neuvième raison tient au fait que le repos dominical fait partie de nos racines. Ce serait un paradoxe de les gommer, alors que l’on semble se rappeler qu’elles ont une grande importance pour la cohésion de notre société.
Enfin – c’est la dernière raison – en tant que catholique, je ne peux pas ne pas évoquer le caractère sacré de ce jour, jour différent, jour de repos prescrit par Dieu. Je préfère les amateurs de vie spirituelle aux théologiens du marché ! (Mme Anne-Marie Payet applaudit.) Le chrétien se fait le promoteur de ce qui ne sert à rien, de ce que l’on croit à tort inutile. Il montre les limites d’un monde où tout s’échange, s’achète et se vend. Il rappelle que nous ne devons pas dépendre du caprice et du désir. Il souligne le sens du gratuit et la culture du don. Certains objecteront qu’en permettant la messe du samedi soir, l’Église a ouvert une brèche, puisque le jour liturgique va en principe de minuit à minuit. Or, comme l’a rappelé le Concile, il ne s’agit que d’une extension de la vigile : en souvenir du sabbat juif, la célébration du dimanche peut commencer dès la veille au soir. En somme, l’extension du travail le dimanche est non pas une affaire d’efficacité économique, mais un choix de société.
Qu’il faille remettre de l’ordre dans le maquis des dérogations existantes, soit, mais alors, il convient d’en supprimer un certain nombre au lieu de les étendre ! En effet, selon le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, aucun économiste ne peut dire que l’on a besoin d’ouvrir partout le dimanche.
Le travail du dimanche est non pas une liberté, mais un leurre, et il y a mieux à faire et à proposer à nos concitoyens que « métro, boulot, conso » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)