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Policiers : « Vous pouvez y aller, les Champs sont ouverts »

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Les médias ont largement parlé des débordements autour des Champs-Élysées jusqu’à éclipser la Manif du 24 mars elle-même et ses remarquables interventions relayées par écrans géants. Un jeune professionnel souhaitant garder l’anonymat (AN1), tenu à une réserve professionnelle, a vécu de près ces événements périphériques à la Manif. Voici son témoignage. H.B.

 

Vers 14h30 : Venu à la Manif depuis le XVIIème en scooter, j’avais derrière moi ma chère et tendre qui avait emporté un drapeau rose avec le sigle de la Manif Pour Tous, récupéré à la précédente marche du Champ de Mars. Aussitôt arrivés Place de l’Étoile ouverte par l’avenue de Wagram (pas un seul CRS pour nous empêcher d’y accéder), nous avons découvert le dispositif impressionnant de la police. Un haut-parleur a tout de suite hurlé: « Arrêtez-moi tout de suite ce scooter avec un drapeau ! ». 

 

Ma douce et moi regardons autour de nous : nous sommes presque seuls sur la place de l’Étoile, il s’agit bien de nous… Frappés par cet ordre qui sortait sans aucune sommation et avec une grande agressivité, nous fûmes assez surpris et ma belle, de peur, cacha illico le drapeau  – pour le casser en mille morceaux !

 

Notre tort ? Chercher à rejoindre le cortège mais nous étions apparemment arrivés du mauvais côté. Nous ne manifestions pas : nous roulions, avec un de ces petits drapeaux reconnaissables que nous avions emporté, à la recherche de l’entrée du cortège. Où était-il écrit qu’il fallait seulement venir depuis le périphérique et de l’Ouest parisien ? Où était-il écrit qu’il fallait cacher notre appartenance au mouvement tant que nous n’avions pas encore intégré le parcours officiel ? À la limite, un avertissement eût été compréhensible, mais là, à peine à la mi-journée, les CRS, s’ennuyant sans doute (je le répète, il n’y avait que quelques voitures sur la place de l’Étoile) ont préféré immédiatement donner l’ordre de nous arrêter. Accueil vif et surprenant. Heureusement, nous n’avons fait que passer sans demander notre reste et l’ordre est resté sans effet (ce qui est, au passage, rassurant sur la capacité des ordres à être obéis…).

 

Vers 15h : Ayant laissé le scooter à Kléber, nous avons pu rejoindre le cortège à pied, avenue Foch, par l’avenue Victor Hugo puis par l’avenue Bugeaud car les volontaires nous indiquaient que l’avenue de la Grande armée était déjà pleine.

 

Autour de 17h : À 200m environ de la place de l’Étoile, on commence à sentir avenue Foch des picotements aux yeux. On apprend que ce sont des bombes lacrymogènes.

 

Vers 17h40 : Alors qu’on s’est avancé jusqu’à un camion à frites, parce qu’on avait faim et froid, un peu avant le 1er bis de l’avenue Foch, à proximité des feux rouges environ, mon père (77 ans) qui en a plein les bottes, se met à pleurer à cause des gaz lacrymogènes. Il décide de partir avec ma mère car c’est irrespirable. On met des foulards sur la bouche : on n’est pourtant pas assez près des barrières pour voir que les CRS sont présents. On se dit que le vent doit être sacrément porteur des gaz ou qu’ils ont dû en user d’un sacré paquet. On se dit qu’avec nos foulards sur la bouche, si on nous filmait ça nous donnerait un peu un air de casseurs, mais bon, ça pique la gorge et les yeux cette affaire.

 

Vers 18h : Un petit char vert (au micro annonce qu’un petit garçon cherche ses parents ou inversement) organise des chorégraphies bon enfant. Un madison, et autres sympathiques joyeusetés. Personne ne cherche à forcer le barrage. Puis un bruit se répand : « Les Champs sont ouverts », « Marchons sur les Champs ». Il me semble même que le char vert reprend le slogan « On va aller sur les Champs ». On se dit que cela a dû être légalement ouvert. On se dit qu’on va rentrer tranquillement mais qu’on va quand même jeter un œil sur les Champs avant de repartir sans tarder (pour la messe des Rameaux qui prend son temps à 19h chez les Jésuites de l’Église Saint-Ignace).

 

On suit le flot des manifestants qui ont l’air de rentrer chez eux (tout le monde est transi de froid et en a un peu assez) des manifestants qui se dispersent par la rue de Traktir et on voit des policiers, qui nous confirment que nous pouvons en effet aller vers les Champs. On s’y rend tranquillement décidés à n’y rester que cinq minutes « histoire de voir ». Les policiers le long de la marche nous dirigent tranquillement par la rue de Presbourg puis la rue Arsène Houssaye jusqu’à nous faire signe d’entrer sur les Champs par l’avenue Bertie Albrecht.

 

Certains policiers laissent même passer quelques manifestants curieux qui veulent très tranquillement aller directement sur la place de l’Étoile au niveau de l’avenue d’Iéna et Marceau. Ils leur demandent l’autorisation et les policiers les laissent passer en ouvrant les barrières, comme si tout était fini. Nous, nous avons suivi le flux le plus important jusqu’aux Champs, par Bertie Albrecht. Jusque-là nous n’avons fait que suivre les indications de la police.

 

Vers 18h15 : nous rentrons sur les Champs, et nous voyons du côté de l’Arc de Triomphe des estafettes de CRS qui se mettent en mouvement et qui semblent encercler ceux qui ont accédé tranquillement (pour ceux que l’on a vu rentrer par Iéna et Marceau) par le haut.

 

Ça sent le traquenard. On dit ça en rigolant et en se disant que ça n’est pas vraisemblable : il nous paraît impensable que la Police soit mal intentionnée.Nous rencontrons quelques dizaines de personnes sur les Champs, quelques jeunes qui rigolent et font mine de s’asseoir sur les Champs comme pour faire un sitting, se relèvent assez vite. Certains semblent décidés à faire quelque chose mais n’ont pas l’air de trop savoir quoi. Rien de préparé semble-t-il. Ils ont juste l’air contents qu’on leur ait enfin permis (je dis « bien permis » car les policiers donnaient le sentiment que c’était permis) d’accéder à ce lieu symbolique.

 

Puis nous souhaitons quitter les Champs. Nous rebroussons chemin vers Kléber, et là, d’un coup, les mêmes policiers qui nous invitaient à passer se durcissent, et ferment le cordon au niveau de Bertie Albrecht. On sort de justesse, mais une femme qui arrivait tout aussi tranquillement que nous se fait plaquer contre un mur et arrêter sans qu’elle comprenne pourquoi : elle marchait comme si elle quittait la Manif… Puis les autres, restés côté Champs qui veulent ressortir sont bloqués aussi. La nasse semble se refermer.

 

Ayant échappé à la nasse, on remonte chercher mon scooter à Kléber : la police semble d’un coup surexcitée. Elle course tout le monde. Avenue d’Iéna et Marceau les estafettes arrivent à toute blinde ; les CRS ont l’air paniqués : les gens rentrent chez eux mais se font admonester. Une estafette est à deux doigts d’écraser une rangée de manifestants (ex-manifestants ? Ils ont rangé leurs drapeaux et marchent vers la station de métro Kléber…). D’un seul coup on ne se sent plus en sécurité. Pas à cause de mouvements de foule, mais parce qu’on a le sentiment que où qu’on soit on va se faire arrêter et tabasser alors qu’on cherche juste à rentrer chez nous.

 

Bref, mon sentiment, quand je suis bienveillant, c’est que la Police a tout à fait paniqué face au nombre de personnes et certainement pas face à l’attitude de ces personnes : je n’ai vu aucune violence à l’encontre des policiers. Éventuellement une incompréhension entre les CRS et les policiers est possible (leur attitude était tout autre).

 

Mais je ne parviens pas à refouler ce drôle de sentiment, un peu amer, alors même que je travaille pour l’État, que j’ai toujours haï les réflexes des adeptes de la théorie du complot et que j’ai toujours eu confiance dans les institutions de mon pays, je ne parviens pas à refouler cette sensation à la fin de cette journée que les forces de l’ordre nous ont piégés. Elles étaient agressives dès la première heure. Le ton du haut-parleur lors de notre arrivée en scooter par l’Étoile était glaçant. Elles ne m’ont paru bienveillantes que pour mieux nous piéger sur les Champs-Élysées. Je n’aurais même pas eu l’idée de m’y rendre si des policiers (pas des CRS) ne m’avaient pas dit « vous pouvez y aller, les Champs sont ouverts ». /AN1

 

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Autre témoignage intéressant : « Pro mariage-Gay  aspergé de gaz  comme les  autres » sur le site du Figaro.

 

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Le opérations surprises continuent. Même après la Manif du 24. C’était au tour d’Erwann Binet d’être chahuté à l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines par un comité d’accueil de La Manif Pour Tous.