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Piss Christ à Ajaccio : d’urine et d’outrages

piss christ

Le Musée Fesch à Ajaccio organise pour la première fois une exposition d’Andres Serrano et présentera cent vingt œuvres dont

Face au Piss Christ, deux antidotes pour entrer dans le mystère de la Croix

Jours déplorables, fulminerait sans doute Charles Baudelaire en entendant qualifier d’œuvre la photo Piss Christ [1] par quoi le scandale arrive et trouble l’ordre public [2]. Comme dans ce Salon de 1859 où l’auteur des Fleurs du Mal grognait à l’aube de l’essor de la photographie voyant « la société immonde se ruer, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal » !

Oui, jours déplorables ! À quelques jours des jours saints, sommet de la vie religieuse chez les catholiques du monde entier, il était décidément difficile de ne pas trouver choquante l’exposition de la photographie dégradante du symbole même de la foi des catholiques, symbole douloureux mais aussi glorieux : la Croix. Faut-il en parler de cette vieille idée aussi dégoûtante que sulfureuse apparue en 1987 ? Sans doute est-ce faire trop de publicité que de s’abaisser à la nommer, de ce nom ignoble de Piss Christ. Le vinaigre imbibé de l’éponge présentée à la soif du Christ en croix n’était donc pas assez âcre. Il fallait pire, trouver une gradation dans l’humiliation suprême. Et bien c’est fait. Subventionnée même, de surcroît, par des institutions dont les dirigeants sont probablement des baptisés…

Où est donc le problème ? opposera-t-on. Une sculpture baptisée Pieta, de Paul Fryer représentant le Christ mort sur une chaise électrique dans la cathédrale de Gap le 10 avril 2009 n’avait-elle pas ouvert la voie aux débordements les plus insensés et délié les esprits forts ? Avec bénédiction des autorités religieuses qui voulaient « que le choc provoqué nous fasse reprendre conscience du scandale de quelqu’un cloué sur une croix. Par habitude on n’éprouve plus de réelles émotions face à quelque chose de véritablement scandaleux, la crucifixion »… Ces mêmes autorités religieuses se réjouissaient alors « d’apercevoir un grand nombre de personnes, qui habituellement ne mettent pas les pieds dans une église, défiler à la cathédrale ».

Antidote théologique

La relecture de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin à propos de la Passion du Christ (IIa-IIae, 46) nous aide à comprendre avec toute l’intelligence de la foi l’adéquation de sa mise à mort, il y a deux mille ans, avec le mépris de la Croix qui se manifeste aujourd’hui. « Convenait-il que le Christ souffre sur la croix ? » se demande le Docteur angélique. Pourquoi pas par le glaive et par le feu ? Pourquoi une mort dégradante et ignominieuse des plus honteuse ? N’était-elle pas cette croix signe de malédiction ? Citant saint Augustin, Thomas répond : « Pour guérir notre misère, il n’y avait pas de moyen plus adapté. »

D’abord, aucune mort n’est à craindre depuis la Croix du Christ, pour l’homme à la vie droite, depuis cette mort la plus redoutable ; nouvel Adam, le Christ rachète le premier péché en étant attaché à l’arbre de la Croix. Saint Jean Chrysostome : « Le Christ a souffert sur un arbre élevé et non sous un toit, afin de purifier la nature de l’air. La terre elle-même a ressenti les effets de la Passion ; car elle a été purifiée par le sang qui coulait goutte à goutte du côté du Crucifié. » Et commentant ce verset de saint Jean (3, 4) : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé », l’Aquinate écrit : « Par “fut élevé”, entendons que le Christ fut suspendu entre ciel et terre, afin de sanctifier l’air, lui qui avait sanctifié la terre en y marchant. »Ne voit-on pas dans cet argument que le Christ est venu restaurer toute la création blessée par le péché ?

Mais c’est encore par la Croix que le « le Christ a préparé notre ascension au ciel ». Saint Thomas continue avec Grégoire de Nysse : « La figure de la croix, où se rejoignent au centre quatre branches opposées, symbolise que la puissance et la providence de celui qui y est suspendu se répandent partout. » Saint Jean Chrysostome dit encore : « Il meurt en étendant les mains sur la croix ; de l’une il attire l’ancien peuple, de l’autre ceux qui viennent des nations. »

Selon Augustin, encore : « Ce n’est pas pour rien que le Christ a choisi ce genre de mort, pour montrer qu’il est le maître de la largeur et de la hauteur, de la longueur et de la profondeur » dont parle saint Paul (Ép. 3,18). Et encore : « Ce genre de mort répond à de très nombreuses préfigurations [3] » mais la réalité n’est pas la figure. Le Christ n’est mort ni décapité, ni scié « pour qu’il garde dans la mort son corps entier et indivis, afin d’enlever tout prétexte à ceux qui veulent diviser l’Église ». Sur le bois de la croix, « au lieu d’un feu matériel, il y eut dans l’holocauste du Christ le feu de la charité ».

Pas de honte non plus en endurant l’humiliation de la Croix. Endossant la malédiction de la Croix, st Thomas nous dit que le Christ se faisant malédiction est mort pour nous sauver de la malédiction du péché.

Antidote mystique

Autre possible antidote efficace : se plonger dans Les Mystères de Jésus (Éd. Mille et une nuits), recueil de textes de Blaise et de Jacqueline Pascal « peu connus du grand public » et annotés par Gaspard-Marie Janvier. Trois textes « d’une qualité littéraire exceptionnelle » :

1/ « Le Mystère de l’agonie de Jésus » est un poème d’une « puissance unique », trouvé par les proches de Pascal après sa mort.

2/ « Le mystère de la mort de Notre-Seigneur », rédigé par Jacqueline à vingt-six ans, est la méditation d’une jeune femme qui se destine à la vie religieuse ; elle « confronte les quatre évangiles, en relève chaque détail qu’elle interprète et applique aussitôt à sa vie propre, à ce souhait de renoncer au monde qu’elle exaucera l’année suivante ».
3/« L’Abrégé de la vie de Jésus-Christ »est une vie de Jésus « remise dans la suite des temps », lignes denses s’il en est.

À lire d’urgence, la prose tonique de Janvier en postface : « La bonne et mauvaise foi », prose d’un écrivain admiratif de cet « effrayant génie » ou de ce « misanthrope sublime » selon que vous adoptez le point de vue de Chateaubriand ou celui de Voltaire. « Deux mots, une image, suffisent au poète Pascal pour dire la nature humaine : “roseau pensant”. C’est un roseau qu’on tend au couronné d’épines pour se moquer de sa royauté : la Passion résume l’homme et la poésie seule connaît l’homme ».

En définitive, signer des pétitions, faire des manifestations anti Piss Christ ? pourquoi pas… à chacun de voir comment il se sent appelé à défendre « le trésor de la Croix [4] ». Mais il y a mieux : entrer dans le mystère grâce à ceux qui, Anciens ou Modernes, l’ont contemplé longuement, avec la plus haute intelligence. / H.B.

Le langage de la croix

Chers jeunes, […] En cette année dédiée à saint Paul, je voudrais vous confier un second trésor, qui était au centre de la vie de cet Apôtre fascinant. (…) Beaucoup d’entre vous portent autour de leur cou une chaîne avec une croix. Moi aussi, j’en porte une, comme tous les Évêques d’ailleurs. Ce n’est pas un ornement, ni un bijou. C’est le symbole précieux de notre foi, le signe visible et matériel du ralliement au Christ. Saint Paul parle clairement de la croix au début de sa première Lettre aux Corinthiens. À Corinthe, vivait une communauté agitée et turbulente qui était exposée aux dangers de la corruption de la vie ambiante. Ces dangers sont semblables à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Je ne citerais que les suivants : les querelles et les luttes au sein de la communauté des croyants, la séduction offerte par de pseudo sagesses religieuses ou philosophiques, la superficialité de la foi et la morale dissolue. Saint Paul débute sa Lettre en écrivant : « Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers le salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Cor 1,18)…

 

Benoît XVI, « Salut aux jeunes », Parvis de Notre-Dame, Paris, Vendredi 12 septembre 2008.

 

 [1] Pourquoi ne pas oser l’imaginer, après tout, puisque d’autres avant moi s’y sont essayé de manière plus périlleuse, considérant que Léon Bloy aurait aimé ce Christ aux outrages… Étonnante assertion, en tous les cas, pour qui a vu les chefs-d’œuvre de la Collection Idemitsu à la Pinacothèque en 2008 retraçant aux côtés des œuvres la vie d’un peintre dont les amis étaient Gustave Moreau, Matisse, Léon Bloy précisément, Jacques et Raïssa Maritain, Ambroise Vollard et André Suarès. Léon Bloy aimant Georges Rouault et … Andres Serrano ? Rapprochement des plus incongru.

[2] On se demande comment les autorités publiques ont pu réitérer la faute de Melbourne en 1997, date à laquelle la photographie avait été déjà attaquée.

[3] Admirer par exemple les vitraux du déambulatoire de la cathédrale de Bourges, où dans un médaillon de la verrière La Nouvelle Alliance apparaissent les différentes figures dans l’Ancienne Alliance de la mort du Christ sur la croix, avec notamment l’épisode de la veuve de Sarepta.

[4] Benoît XVI aux jeunes à Paris en 2008 sur le parvis de Notre-Dame.

Image : Christ sur la Croix, vers 1270, Utrecht, Museum Catherijneconvent. Exposition “Primitifs italiens” au Musée Jacquemard-André (Paris), juin 2009. Très étonnante cette hâte du Christ à monter sur la Croix, hâte de sauver l’homme, nous avait alors dit le guide.