Les Clés du Palais sur LCI : le travail le dimanche selon la loi
Vendredi dernier, l’émission Les Clés du Palais a mis sous le feu de l’analyse juridique la question épineuse du travail le dimanche. L’émission diffusée sur la chaîne payante LCI en partenariat avec le Conseil national des barreaux, a été rediffusée, depuis, trois fois et s’est révélée très pédagogue. Hélène Lecomte, spécialiste Justice de LCI, avait invité pour l’occasion deux avocats censés s’opposer. Ce que révèlera l’interview que nous transcrivons ci-dessous, c’est que l’opposition entre les avocats apparaît peu, malgré les essais tranquilles de la journaliste à essayer de la créer : si Vincent Lecourt pousse in fine le pion un peu plus fort, celui de la sanction économique à l’encontre des enseignes qui enfreignent gravement la loi, réclamant contre elles la seule sanction qu’elles comprennent, la sanction économique, Hubert Flichy plaide, quant à lui, pour une prise en compte d’un changement de comportements des consommateurs. Le spectateur reste de son côté un peu surpris que les petits reportages insérés dans l’émission ne fassent intervenir que les pro-travail du dimanche, y compris la voix dissonante d’un délégué syndical local de la CFTC, étrangement du côté du chef d’entreprise de Leroy-Merlin. L’écran est parfois divisé en deux lorsque Maitre Lecourt ou Maître Flichy parle, des images d’enseignes de bricolage ouvertes illégalement défilent de manière parallèle aux deux discours. Une émission très intéressante, sobre et raisonnable. H.B.
Hélène Lecomte : Magasins de bricolage, parfumeries, petits supermarchés des grandes marques, ils sont tous dans le collimateur du Clip-P. Cet ovni intersyndical n’en finit plus d’obtenir gain de cause devant les tribunaux. Il lutte contre l’ouverture de ces enseignes le dimanche ou tard le soir. Son arme ? le code du travail, car les règles qui encadrent le travail nocturne ou dominical sont en effet assez strictes même si un système de dérogations vient brouiller les cartes. Nous avons donc voulu savoir si ces entreprises étaient bel et bien hors-la-loi.
Au sommaire donc : Qui peut aujourd’hui faire travailler ses salariés le dimanche ? Que dit précisément la loi ? Comment organise-t-elle les exceptions ? Notre débat oppose les avocats Vincent Lecourt et Hubert Flichy.
I.
Vidéo-témoignage I
Une caissière : « J’ai besoin de ça pour pouvoir vivre à la fin du mois, ça me permet de payer mes factures et de me faire plaisir. »
Un « Bricoleur du dimanche » (reconnaissable à son tee-shirt) « Si l’on en venait à fermer, personnellement sur mon salaire, c’est plus de trois cents euros net qui disparaissent. »
H.L. : « C’est un bras de fer désormais judiciaire entre les pro et les anti d’un côté, certains salariés et chefs d’entreprise qui défendent l’ouverture de leurs enseignes, le dimanche ou tard le soir. De l’autre, un comité intersyndical, grand pourfendeur de ces aménagements d’horaires : sa croisade, il la mène pour l’instant dans les prétoires. Pour l’instant, seules les grandes marques en ont fait les frais. Ce collectif assure qu’aujourd’hui une centaine de magasins parisiens au moins brave la loi. Alors justement, quelles en sont les règles ? Nous en parlons cette semaine avec deux avocats, Vincent Lecourt et Hubert Flichy. Commençons par la question du travail dominical : quel est aujourd’hui le texte de loi qui s’applique ?
Vincent Lecourt, avocat au barreau de Pontoise : « Le texte qui s’applique est très simple, le L3132-3 du code du travail qui précise que dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. C’est un principe posé par la Loi Mallié de 2009.
Hubert Flichy, avocat au barreau de Paris : « L’idée générale, c’est de pouvoir faciliter la prise de congé le même jour. C’est le dimanche qui a été choisi, tradition chrétienne de notre pays.
H.L. : « Le principe c’est l’interdiction et ensuite il y a des exceptions ? »
V.L. : C’est ça. C’est le principe de la synchronisation du temps social qui est un principe pas seulement français, mais un principe européen, et l’on essaie autant que faire se peut que dans toute l’union européenne le principe soit posé le même jour, le dimanche. Bien d’autres pays dans le monde ont choisi le dimanche alors qu’ils n’ont pas forcément d’ailleurs cette tradition chrétienne.
H.L. : « Aujourd’hui, il y a des secteurs dans lesquels on peut travailler le dimanche et cela de façon tout à fait légale ? »
H.F. : « Il est certain qu’un pays ne peut pas vivre sans sa police, il ne peut pas vivre sans ses hôpitaux, il ne peut pas vivre même avec une fermeture de ses hôtels le dimanche. Il y a un grand nombre d’activités – la liste est très longue ; elle est prévue par le code du travail – qui sont possibles le dimanche.»
H.L. : « On va préciser par ailleurs que les commerces ont la possibilité d’ouvrir légalement toujours cinq dimanches par an à leur convenance. Qui délivre ces autorisations ? Elles sont prévues par la loi ?
V.L. : « Non. Ce n’est pas à leur convenance. C’est le maire de chaque commune. On va privilégier la politique commerciale et la politique culturelle d’un maire qui va vouloir, que, à l’occasion de la fête – que sais-je ?… du taureau là où on fait de la tauromachie par exemple…, les commerces soient ouverts. On va apporter ce service-là au consommateur parce qu’on va être dans un cadre social, festif et culturel. Cette politique du maire, elle existe par exemple à Paris, – alors à Paris c’est un peu particulier parce qu’elle est exercée par le préfet de la Région de Paris qui va accorder aux grands magasins la possibilité d’ouvrir… Avant les fêtes de Noël, on va par exemple admettre que l’on privilégie l’intérêt du consommateur sur l’intérêt social du salarié.
H.L. : « On a vu que les magasins de bricolage avaient été la cible d’attaques judiciaires pour qu’ils ferment le dimanche. Pour ces commerces-là, la législation aujourd’hui, elle est très floue ? Comment ça se passe ?»
H.F. : « Dans ces commerces-là, il n’y a pas de dérogations expresses qui étaient prévues, il faut donc qu’ils puissent bénéficier de dérogations particulières.
H.L. : « Quelles sont les dérogations ?
II.
Vidéo-témoignage II
Jean-Claude Bourrelier, chef d’entreprise de Bricorama : « Ici c’est un magasin de centre-ville qui doit être fermé, qui n’a pas le droit d’ouvrir le dimanche. Et vous en avez un autre, qui est en haut de la côte, à deux, trois kilomètres qui est dans une zone commerciale, un très gros magasin dans une très grosse zone commerciale, qui est ouvert le dimanche toute la journée.
Jean-Marc Ciuto, Délégué syndical central CFTC Leroy-Merlin : « La Seine-Saint-Denis : quatre magasins, trois Autorisation, un Pas d’autorisation. Pourquoi ? On ne sait pas ! Périmètre ? 20 km. Incompréhensible ! »
H.L. : « Est-ce que vous êtes d’accord quand vous entendez que le problème de cette législation, c’est qu’il y a trop de dérogations, trop d’exceptions, et que finalement tout cela n’est absolument pas cohérent. »
H.F. : « Normalement le droit social s’occupe des rapports entre employeurs et employés. Mais là, vous voyez bien qu’on est sur un problème beaucoup plus large, un problème de société. Il y a, en même temps, la nécessité de s’adapter à une évolution des mœurs, des habitudes, de s’adapter aussi à une notion un peu différente du divertissement. Parce qu’on a toujours trouvé normal par exemple de pouvoir aller au cinéma le dimanche, de pouvoir aller au restaurant le dimanche. Mais aujourd’hui, on a admis aussi que la jardinerie était une activité qui était bien le dimanche. Mais le bricolage ? Est-ce que ce n’est pas le cas ? On voit bien que c’est une évolution de la société, une évolution des goûts. Ce qui rend la législation nécessairement un petit peu compliquée.
H.L. : « Travail dominical, on en a parlé. Travail nocturne. La loi n’est pas la même dans les deux cas ? »
V.L. : « Le code du travail dit : Le travail de nuit, c’est de 21h le soir à 6h du matin, avec une possibilité de décalage d’une heure en réalité par accord selon les activités, c’est-à-dire 22h jusqu’à 7h du matin. Cette fois-ci c’est calé sur la santé des salariés. Il y a une étude de l’INSERM en 2012 sur le fait qu’on estime que le travail de nuit est un facteur d’aggravation de risques de cancers. C’est également un élément et un facteur de pénibilité au travail. On parle actuellement beaucoup de la pénibilité et aussi d’isolement sociologique, psychologique des salariés qui sont confrontés à ce que l’on appelle des horaires atypiques.
H.F. : « On voit bien que le mobile n’est pas exactement le même. Pour le travail le dimanche, ce qu’on veut préserver, c’est une certaine vie sociale. Là, ce que l’on veut préserver c’est la santé.
H.L. : « La loi de 1901 dit que le travail de nuit doit être exceptionnel. Vous dites, vous, aujourd’hui, que les magasins qui ouvrent après 21h sont quasiment tous dans l’illégalité ? »
V.L. : « Les enseignes qui ont été condamnées faisaient travailler leurs salariés jusqu’à 2, voire 3h du matin. C’est une concurrence économique. En réalité, vous faites le choix des gros opérateurs économiques et ce sont les mêmes qui, parce qu’ils n’arrivent plus à avoir de nouveaux consommateurs, aspirent les consommateurs des petites enseignes qui ne peuvent pas suivre ce rythme. Sachant que, en période de crise, le salarié va accepter de plus ne plus les contraintes atypiques parce que cela va être pour lui le moyen d’améliorer son salaire et, par conséquent, d’accepter des choses qui n’auraient sans doute pas été acceptées. Est-ce qu’on peut considérer comme normal de terminer le soir à 22h ou à 23h pour, par exemple, un père de famille ou une mère de famille, et rentrer à son domicile pour ne pas voir ses enfants ? Les enfants, à ma connaissance, ils ne travaillent pas la nuit. À force de taper sur ces équilibres, en réalité, il y aura à un moment des catastrophes, des catastrophes sanitaires, des catastrophes scolaires, des catastrophes sociologiques… »
H.L. : « Ces enseignes, vous les avez attaquées devant les tribunaux. Les tribunaux leur donnent très rarement raison. »
V.L. : « Les tribunaux appliquent la loi en fait.
H.F. : « Il est probable que certains magistrats ne soient pas nécessairement convaincus ou satisfaits par cette règlementation, mais là encore, ce n’est pas au juge d’inventer la loi.
H.L. : « Il y a des enseignes qui résistent malgré les interdictions d’ouverture prononcées par les tribunaux. Qu’est-ce qu’elles risquent ? Les sanctions sont de quel type ? »
V.L. : « Économiques. C’est la seule chose que comprennent les enseignes. »
H.L. : « Merci beaucoup à tous les deux. Je rappelle également que pour tenter de déminer ce sujet le gouvernement a donné une mission de concertation à l’ancien patron de La Poste, Jean-Paul Bailly. Les conclusions sont attendues fin novembre.