Le travail le dimanche n’est pas la bonne réponse à la crise
Eric Heyer, économiste OFCE
… L’Allemagne a bien essayé de se poser la question. Le travail le dimanche et le travail le soir, c’est bien plus contraignant en Allemagne qu’en France.
Les Allemands ont essayé de desserrer la contrainte en 2003 (ndlr. du repos dominical strict). Ils en ont fait un bilan en 2006 et ils ont vu que cela n’avait rien apporté en terme de consommation macroéconomique. Ils ont plus ou moins laissé tomber cette idée-là. Cela n’a rien fait car le seul canal par lequel ça transite, c’est les touristes. Il faut qu’une part des magasins soit ouverte pour les touristes, mais d’un point de vue national, ça ne fait pas plus consommer car la contrainte pour consommer c’est la contrainte budgétaire qui prédomine avant tout, voire la contrainte d’épargne à plus long terme mais pas la question des magasins ouverts ou pas ! C’est en effet de second ordre. Ça peut avoir des effets sectoriels forts : quand vous ouvrez dans certains secteurs, il y aura plus de consommation dans ce secteur mais moins dans d’autres, globalement ça ne fait pas plus de consommation, ça a juste réparti différemment. Donc comme les Allemands sont bien plus tenaces que nous sur le travail le dimanche pour des raisons historiques, ils sont un peu revenus en arrière. Pour le coup, si on veut suivre le modèle allemand, on devra durcir un peu plus le travail le dimanche…
… À mon avis, ce n’est pas une question économique. C’est vraiment une question de société. Ça ne crée pas d’emplois l’ouverture le dimanche. Il y a 30% de salariés qui travaillent le dimanche – en fait 14% qui travaillent de façon récurrente, 14% qui travaillent de façon occasionnelle. On a désormais du recul pour savoir si ça a créé de l’emploi ou pas. Il y a un rapport du Sénat qui fait office de référence montrant que ça crée des emplois dans les grandes surfaces, ça en détruit plutôt dans le petit commerce. Et puisque la productivité est supérieure dans les grandes enseignes que dans les petits commerces, ça a plutôt détruit des emplois. Globalement, ça ne fait pas plus d’activité, pas plus d’emplois. C’est relativement neutre…
… C’est un vrai choix de société. C’est un choix pour le consommateur. C’est un choix pour le salarié. C’est un choix de synchronie des temps sociaux : est-ce qu’on a envie de jouer tous au football ensemble ? ou d’aller tous au théâtre ensemble le dimanche ? « En lâchant cette contrainte (du repos dominical) la consommation, vous allez voir, va repartir ? » Non ! Si on est en crise économique aujourd’hui, c’est parce qu’on est soit au chômage, soit qu’on n’a pas d’augmentation de salaire, mais pas parce que les magasins ne sont pas suffisamment ouverts…
… Si on consomme le dimanche, on consommera moins les autres jours. C’est la contrainte budgétaire qui nous rappelle que nous ne pouvons pas consommer à l’infini…
Éric Sherrer, comité de liaison intersyndicale du commerce de Paris (Clip P)
… Qu’on arrête cette espèce de course à l’échalote, entre des entreprises puissantes qui ont la capacité de prendre le pas sur d’autres. En réalité le bien-être des salariés pour ces entreprises, elles en ont strictement rien à faire, y compris les clients. Ce qui les intéresse c’est prendre des marchés à des concurrents qui ne peuvent pas courir aussi vite qu’elles et en mettant en danger des salariés, les obligeant à travailler la nuit. Aujourd’hui on vous met en avant le volontariat, c’est une chimère car même chez Sephora – on l’a vu au tribunal – le volontriat n’existe pas dans leur contrat de travail contrairement à ce qu’ils affirment. S’ils ont apporté un mieux récemment aux salariés travaillant la nuit, c’est depuis que nous avons entamé les procédures car avant il n’y avait rien. Ils rentraient en métro et ils n’avaient pas de valorisation…
… On ne peut même pas en vouloir aux entreprises. Elles sont en train de pousser leur avantage. Ce sont-elles – je parle des très grandes entreprises – qui violent les décisions judiciaires (j’insiste tout de même là-dessus parce que c’est ça la réalité) et elles poussent leur avantage au détriment d’autres et également de leurs salariés parce qu’elles font croire à des salariés que s’ils sont volontaires, ils ont des avantages… Si demain, on mettait une règle, tout ça (compensation et volontariat) c’est fini. Ils travailleront normalement, une journée comme une autre, une soirée comme une autre…
… Aéroville ouvert le dimanche ? Pas encore garanti…
Transcription : H.B.
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Lire également sur le blog de Bertrand Delanoë “Dimanche à Paris”
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Et toujours
1. Mon livre À Dieu, le dimanche ! (Éditions grégoriennes, 2010) en ebook (4,99€)
2. Le dossier
Retrouvez tout le dossier “Oui au repos dominical !” ici ou ici
Retrouvez l’argumentaire et la liste des notes ici
3. Le débat sur newsring : 4,2 K votes, 67% contre le travail le dimanche.