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Leçons d’un jeu risqué : fallait-il un compromis sur le dimanche ?

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Décryptage | Michel Fauquier*


 L’invalidation de l’élection législative de M. Jean-Frédéric Poisson dans la circonscription de Rambouillet après une première victoire sur le rasoir, et sa courte défaite lors de la partielle du 11 juillet dans une circonscription réputée imperdable, avec un taux que l’on n’ose appeler « de participation » (29,42%), illustre le désarroi des électeurs qu’aurait dû mobiliser le successeur de Christine Boutin. Une partie d’entre eux n’étaient sans doute pas prêts d’oublier son revirement à l’occasion de la loi sur le travail dominical (loi Mallié).

 

Ce n’est pas moi qui le dit, mais M. Poisson, entre les deux tours : « Cela fait 150 fois qu’on me parle de ça. Il appartient aux chrétiens de Rambouillet de savoir s’ils préfèrent un député de droite ou un député d’extrême-gauche. Je ne sais pas combien de fois on va me faire payer ça Il fallait faire quoi ? Laisser des entreprises payer 50 000 euros d’astreintes par dimanche ouvert ? Continuer à enrichir Force ouvrière qui gagnait systématiquement devant les tribunaux ?Il n’y avait pas de bonne solution. Quand j’en ai demandé une, personne ne me l’a fournie […]. Je suis allé au bout de ce que je pouvais faire sur ce texte de loi […]. Les chrétiens m’ont déjà fait payer la note en septembre dernier, il faut savoir solder les comptes… » (E-deo.info). À vrai dire, il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer que de nombreux électeurs ne suivraient pas M. Poisson dans sa stratégie de compromis.

Première erreur, la loi Mallié ne concernerait que les chrétiens : si elle les concerne au premier chef (le repos sabbatique devenu dominical est quand même un commandement divin), il est une évidence que la loi ébranle l’ensemble de l’organisation sociale en son fondement, ce que j’ai rappelé de façon argumentée dans ma Lettre du dernier des chrétiens au premier des Français, p. 24-29 (éditions Tempora, Perpignan, janvier 2009).

Aucun syndicat ne s’y est trompé et, pour ma part, je m’en réjouis. Je précise au passage que l’argument de l’enrichissement de Force ouvrière est à la fois inexact (même la CFTC gagne ses procès dans le cas d’espèce), et inapproprié, pour ne pas dire plus : je ne sache pas en effet qu’un syndicat fasse un procès pour gagner de l’argent, mais pour faire respecter un droit, celui du salarié. Léon XIII a dit deux ou trois choses sur la question qu’il serait bon de méditer : loin d’avoir désorienté son seul électorat chrétien, M. Poisson a certainement démobilisé ceux que les papes, depuis Jean XXIII, ont pris l’habitude d’appeler les « hommes de bonne volonté », lesquels sont, un peu comme les Patagons, plus nombreux que l’on ne pense.

Seconde erreur : « Il n’y avait pas de bonne solution. Quand j’en ai demandé une, personne ne me l’a fournie. » Je me rappelle pourtant, et je ne crois vraiment pas avoir été le seul, que j’avais discuté de ce point avec M. Poisson. La solution était très simple ; faire appliquer la loi (l’ancienne) en faisant fermer les magasins la transgressant, ce qui a été fait à Nantes avec un succès immédiat juste après le vote de la loi Mallié. Une grande enseigne vendant des meubles, ne reculant pas devant des méthodes de voyou tout en entretenant soigneusement la chimère de son « modèle social », avait en effet tenté d’ouvrir le dimanche en décembre 2009… contre l’avis du Comité d’Entreprise… et alors qu’elle n’était pas dans les tristement fameux PUCE (Périmètre d’usage de consommation exceptionnel) prévus par la loi (cf. Presseocean.fr) !

L’envoi de quelques CRS a tout fait rentrer dans l’ordre en quelques minutes… et le dirigeant de ladite enseigne n’a trouvé personne pour soutenir son attitude inqualifiable, certainement pas ses employés, déjà contraints de travailler deux soirs par semaine jusqu’à 21h30. Ces employés sont pourtant « volontaires » nous dit-on : pour ma part, quand je suis allé constater la situation sur place, je les ai trouvé plus fatigués que volontaires, et j’ai compté plus d’employés âgés de la trentaine ou de la quarantaine que de « jeunes étudiants finançant leurs études par des petits boulots du soir », ceux au nom desquels on a justifié la loi Mallié.

Troisième erreur : « Je suis allé au bout de ce que je pouvais faire sur ce texte de loi. » De toute évidence non, à moins de considérer qu’un député n’aurait pas le droit de voter contre un texte de loi présenté par la majorité à laquelle il appartient. Si tel était le cas, il faudrait alors admettre que les électeurs n’élisent pas des députés qui les représentent en défendant leurs intérêts, mais des godillots seulement destinés à capter leurs suffrages pour en apporter les dépouilles à leurs partis ou groupes parlementaires. La loi Mallié, qui pose déjà un grave problème social, pose donc de surcroît un problème institutionnel : comment notre système, supposé démocratique et reposer sur l’exercice de la liberté individuelle, peut-il régulièrement amener des députés à voter sous la contrainte des textes rejetés par une majorité écrasante de leur électorat ?

 

Compromis ou discipline de parti ?


Dernière erreur : les électeurs de la 10e circonscription des Yvelines auraient « soldé les comptes » en votant dimanche dernier pour M. Poisson. Ils n’avaient pourtant aucune raison de le faire, la position de M. Poisson n’ayant manifestement pas changé, puisque, à la veille du second tour, il semblait toujours estimer que la loi Mallié était un moindre mal. Or, loin d’être un texte amélioré par rapport au projet initial, la loi Mallié est le pire des textes qui ont été élaborés. Sait-on ainsi que la loi Mallié, présentée cyniquement par le législateur comme « réaffirmant le principe du repos dominical » (loi 2009-974 du 10 août 2009), contient, entre autres, cette disposition monstrueuse :

« Les autorisations [d’ouverture dominicale] prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 sont accordées au vu d’un accord collectif ou, à défaut, d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum […]. En l’absence d’accord collectif applicable, les autorisations sont accordées au vu d’une décision unilatérale de l’employeur, prise après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu’ils existent, approuvée par référendum organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical » (art. L. 3132-25-3).

En clair, la loi permet à l’employeur, moyennant une mascarade démocratique (un simple avis des employés), de s’asseoir sur l’opinion de ses employés (décision unilatérale de l’employeur). Comment un chrétien pourrait-il justifier une telle forme d’asservissement ?

Finalement, cette affaire est symptomatique d’une erreur d’appréciation qui fait des dégâts considérables : à entendre certains, la seule façon d’agir en politique consisterait à faire des compromis et, mieux, à justifier ces compromis, les électeurs qui n’avaliseraient pas cette tactique hasardeuse étant en dernier ressort les seuls coupables de l’élection d’« un député d’extrême-gauche. »

Mais, si on peut imaginer bien des domaines où les compromis sont pensables et même souhaitables (par exemple à propos d’un tracé d’autoroute ou d’un plan d’aménagement urbain), ceci reste-il valable pour une question aussi déterminante que le repos dominical ? En fait, ce que d’aucuns appellent un « compromis », s’apparente à une culture de la soumission à la discipline de parti. Les électeurs eux, n’élisent pas des partis, mais des hommes, et ils attendent que ceux-ci se comportent en conséquence. Si ces hommes font taire leur conscience, ils doivent s’attendre à ce que leurs électeurs fassent taire leurs suffrages.

 

* Michel fauquier est historien, auteur de la Lettre du dernier des chrétiens au premier des Français, Editions Tempora, Perpignan, 2009.

 

Sur ce sujet :
La droite unie perd Rambouillet (pourquoi regretter la défaite de J.-Fr. Poisson), Décryptage, 13 juillet.

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