Par

La non-violence ? Aussi vieille que les montagnes !

non-violencenon-violence

La force de la résistance passive

Pour beaucoup d’entre nous, l’expression de « résistance passive » reste entachée de résignation, de passivité nonchalante propre, par exemple, à la jeunesse hippie. L’amalgame auquel leur vie morale débridée nous fait aboutir est désastreux pour comprendre cette belle notion.

Pratique de sages

En réalité, rien de tel dans la véritable « résistance passive » celle, en tout cas, que le Mahatma Gandhi, a théorisée et vécue. En Goliath trop sûr de sa domination, Churchill n’avait pas cru en ce nouveau David et à sa fronde dérisoire, et avait ainsi ironisé en traitant l’apôtre de la non-violence de « fakir séditieux qui grimpe à moitié nu les marches du palais du vice-roi ». Noble action, riche d’une dynamique paradoxale, la résistance passive, cœur de l’action non-violente, recèle en elle-même, une force redoutable dont l’énergie est entièrement fondée sur la dimension spirituelle de l’homme.

Martin Luther King l’a vérifié également, et l’on se souvient du discours de ce prix Nobel de la paix, un Noël de 1967, lorsqu’il osa cette envolée : « Nous répondrons à votre capacité d’infliger des souffrances, par notre capacité de supporter la souffrance. À votre force matérielle nous opposerons la force de notre âme. » Nos mémoires ont encore en elles, toute chaude, l’image de ce très jeune Chinois, fragile avec son sac à la main, faisant face à une colonne de six chars, place Tien an men, en 1989. Il n’avait rien cédé, ne bougeant pas d’un pouce, alors que les chars refusaient de tirer.

Dans son roman Siddhârta, Hermann Hesse narre un épisode de résistance passive exemplaire : Siddhârta essaie d’obtenir de son père brahmane de quitter sa famille, et par là même la caste à laquelle il appartient, pour rejoindre la vie pauvre et ascétique des samanas. Il ne convient évidemment pas à un fils de brahmane d’entrer chez les samanas. Le père refuse dans un premier temps, mais le fils ne fléchira pas, sans jamais pour cela lui désobéir. Il reste entièrement soumis à son père, sans rage et sans colère. Quelle stratégie Siddhârta met-il alors en place ? Se murant dans un silence tranquille de refus, il reste debout toute une nuit sans bouger. Le père se lève plusieurs fois cette nuit-là, sûr que son fils aura capitulé. Il n’en sera rien. Très digne dans la lumière de la lune, le visage chaque fois un peu plus pâle, le frêle Siddhârta entre dans une résistance passive qui le fait souffrir. Son immobilité le met à la torture, et le père le sait. Au petit matin, le père accorde l’autorisation. Son cœur de père a compris la vocation de son fils. « Patience et longueur de temps » …

Parler à ce qu’il de plus humain dans l’homme

« Vieille comme les montagnes », agression d’ordre moral, force du faible en même temps qu’ultime recours, la résistance passive, possède un levier efficace : la prise en compte de la conscience morale de l’adversaire, même enfouie, oubliée, anesthésiée. On a foi qu’elle existe quelque part dans son cœur. L’action entreprise va mettre en lumière un scandale, celui d’une injustice. Si elle atteint son but, l’agresseur se trouve discrédité. Ainsi la violence est-elle paradoxalement désamorcée par la non violence. Avec l’exemple fictif, il est vrai, de Siddhârta, mais largement confirmé par les actes célèbres de ces apôtres de la paix, bien réels, que sont Gandhi et Martin Luther King mais également Jésus de Nazareth, on prend conscience à quel point héroïsme et maîtrise de soi sont amont de ces actes forts de non coopération.

Comment décrire la non violence ? Tout le monde ne peut du jour au lendemain devenir non violent. La non violence, et la résistance passive qui en découle, naît d’un perfectionnement intérieur. Elle sert ses adeptes dans des cas très précis.

Premièrement, il faut que la cause poursuivie soit juste. Deuxièmement, il s’agit de préparer très minutieusement un acte dramatisé qui sensibilise fortement l’opinion publique. Troisièmement, le nombre des personnes mobilisées doit être énorme : cela donne à l’acte un caractère spectaculaire qui fait vaciller les positions d’en face.

Il y faudra du courage et de l’abnégation, sainteté de vie et d’actions pour que la vérité resplendisse ! Possible par la seule force de cette vérité même : celle de la cause juste de la personne humaine et de sa dignité. Possible si nous inventons ce geste fort et symbolique parlant à tous. Si nous sommes des centaines de milliers de Français à le vouloir, à le vouloir longtemps. Alors oui, la résistance passive sera technique de combat réaliste. Forme de vie spirituelle pratique, elle pourra convertir les intelligences et les cœurs et pourra grâce à cette manière légitime d’exister faire fléchir. H.B.

« L’un des plus grands débats philosophiques de l’histoire a porté sur la question de la fin et des moyens. Et il s’est toujours trouvé des gens pour prétendre que la fin justifie les moyens, que les moyens, au fond, sont sans importance, l’essentiel étant d’atteindre le but fixé.

  C’est pourquoi, disent-ils, si vous cherchez à bâtir une société juste, l’important est d’aboutir, et les moyens n’importent guère. Choisissez n’importe quel moyen pourvu que vous atteigniez votre but : ils peuvent être violents, ils peuvent être malhonnêtes, ils peuvent même être injustes. Qu’importe, si le but est juste ! Oui, tout au long de l’histoire, il s’est trouvé des gens pour argumenter ainsi. Mais nous n’aurons pas la paix dans le monde avant que les hommes aient partout reconnu que la fin ne peut être dissociée des moyens, parce que les moyens représentent l’idéal qui se forme, et la fin l’idéal qui s’ accomplit. En définitive, on ne peut atteindre des buts justes par des moyens mauvais, parce que les moyens représentent la semence, et la fin représente l’arbre.(…)

  Nous devons nous fixer des buts pacifiques par des moyens pacifiques. Tout cela pour dire qu’en fin de compte moyens et buts doivent être cohérents, parce que le but préexiste dans les moyens et parce que les moyens destructeurs ne peuvent aboutir à des fins constructives. 

  Permettez-moi de dire ce qui doit nous préoccuper ensuite, si nous voulons avoir la paix sur la terre et la bonne volonté entre les hommes : c’est l’affirmation du caractère sacré de toute vie humaine. Tout homme est quelqu’un parce qu’il est enfant de Dieu. Et ainsi, quand nous disons : «Tu ne tueras point » ce que nous disons en réalité, c’est que la vie est trop sacrée pour être supprimée sur les champs de bataille du monde… 

  …J’ai vu trop de haine pour vouloir haïr moi-même, j’ai vu la haine sur le visage de trop de shérifs, de trop de meneurs blancs, de trop de membres du Ku-Klux-Klan dans le Sud, pour vouloir haïr moi-même ; et chaque fois que je vois cette haine, je me dis au dedans de moi : la haine est un fardeau trop lourd à porter. Nous devons être capables de nous dresser contre nos adversaires les plus acharnés et de leur dire : « Nous répondrons à votre capacité d’infliger des souffrances, par notre capacité de supporter la souffrance. A votre force matérielle nous opposerons la force de notre âme. Faites de nous tout ce que vous voudrez, et nous vous aimerons encore. En conscience, nous ne pouvons ni obéir à vos lois injustes, ni respecter votre système injuste, car la non-coopération avec le mal est une obligation au même titre que la coopération avec le bien. Jetez-nous donc en prison, et nous vous aimerons encore. Bombardez nos foyers et menacez nos enfants, et aussi difficile que cela puisse paraître, nous vous aimerons encore. Envoyez vos policiers casqués, à minuit, dans nos quartiers, entraînez-nous sur une route écartée pour nous laisser à demi morts sous vos coups, et nous vous aimerons encore. Envoyez vos propagandistes dans le pays tout entier et publiez partout que nous ne sommes pas mûrs, au point de vue culturel ou autrement, pour l’intégration. Mais soyez sûrs que nous vous aurons à l’usure par notre capacité de souffrance. Un jour, nous finirons par conquérir notre liberté. Et ce n’ est pas seulement pour nous que nous conquerrons cette liberté, mais nous ferons tellement appel à votre cœur et à votre conscience, que nous vous conquerrons aussi, et que notre victoire sera une double victoire. »

Martin Luther KING, la Seule Révolution.

   Le texte date de Noël 1967. Martin Luther King, pasteur luthérien, apôtre de la non-violence, prix Nobel de la Paix en 1964, est mort assassiné le 4 avril 1968 à l’âge de 39 ans.