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L’éducation, une idée difficilement neuve en France

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Ma note publiée sur Liberté politique

La réforme du nouveau lycée [1] lancée en septembre 2010 se met en place avec difficulté, selon un rapport de l’inspection générale du ministère (Le Figaro, 16 mars). De réformes en réformes, l’Éducation nationale donne l’impression d’éviter les vrais problèmes. L’Institut de France planchait le 1er mars dernier sur les nouveaux défis de l’éducation. Les académiciens ont-ils des idées neuves ?

Luc Châtel, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, était présent à cette séance solennelle inter-académique présidée par Gabriel de Broglie. Invités : grands experts en éducation, grands témoins des mouvements des sociétés  grands acteurs de la transformation qui s’opère sous nos yeux, hommes de lettres et hommes de sciences pour réfléchir à la situation grave qui ne s’est pas arrangée depuis l’élection présidentielle de 2007.

Comment l’aurait-elle pu ? Le diagnostic mis au premier plan de la campagne a vécu, celui de la seule réforme qui vaille, d’une école où l’on apprenne aux enfants à lire, écrire, compter. Après le renvoi et le désaveu [2] de Gilles de Robien qui s’était pourtant attelé courageusement à la tâche [3], irait-on à Canossa ? Peut-être mais sans se hâter, comme un aveu d’échec que l’on serait obligé de faire du bout des lèvres.

Où est la raison ?

Xavier Darcos, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, de ces grands invités à prendre la parole [4], convient de l’urgence du retour aux fondamentaux dans la transmission, prompt cependant à rajouter une quatrième priorité à la triade lire, écrire, compter avec le verbe raisonner. Mais qu’on ne se méprenne pas. L’idéologie n’a pas l’air bien loin comme dans le rappel des missions d’une école qui chercherait aussi à libérer les intelligences et soucieuse d’éveiller les consciences. Lire, écrire, compter, raisonner. Étrange logique quaternaire qui ressemble plutôt à une mainmise.

Le vernis culturel ne saurait masquer le malaise. Entre citations brillantes de Démosthène, de Rousseau ou de Renan, l’ancien ministre de l’Éducation nationale concède, non sans mal, le bien fondé des arguments de tous ceux qui ont depuis un certain nombre d’années stigmatisé la rupture de transmission [5]. Et par là même, remis en cause Xavier Darcos lui-même dans ses œuvres et dans ses saints. Difficile évidemment de reconnaître le fourvoiement de tant d’années, tellement collent à la peau du haut serviteur de l’État cette sûreté de soi et cette hauteur avec laquelle il toise la critique venue de la base [6]. Pour le ministre, la raison est d’un seul côté :

… notre pays souffre de la difficulté de débattre sur l’École sans tomber dans les idées reçues et la caricature. Les innombrables livres sur l’école, quasi tous dénonciateurs, esquivent souvent les solutions. La passion s’y rencontre davantage que la Raison, et c’est de cette dernière que nous avons le plus besoin. Que de textes ou de blogs j’ai pu lire qui répandent la théorie du complot et relèvent presque de la pensée magique : quelque part des méchants ourdissent la décadence de l’école. Qui sont-ils et pourquoi voudraient-ils l’échec des générations futures ? On ne sait. On sait seulement qu’il faut leur résister, qu’il faut leur jeter des anathèmes, et qu’ainsi la République sera sauvée… Tant d’incantations et tant d’imprécations laissent peu de place aux opinions raisonnables. Mais ce débat passionnel possède au moins un avantage : il montre que nous avons tous l’École en partage. Rien ne serait pire que l’indifférence. À tout prendre, le débat, même soumis à la tyrannie des invectives et des simplismes, est peut-être paradoxalement un signe d’unité.

On continuera de s’étonner que soient niés les arguments de raison, précisément, invalidant une école qui ne remplit plus sa mission, notamment l’école publique. Mais l’habileté rhétorique, pour brillante qu’elle est, ne cherche plus à cacher la misère de l’état des lieux. Ne boudons donc pas notre satisfaction, on entend l’essentiel : « Je suis profondément persuadé que l’enjeu de la justice sociale à l’École et par l’École est indissociable du socle commun d’enseignement, qu’il faut sans cesse réaffirmer et consolider. »

« Petite poucette »

Continuant de mettre en perspective la nature des problèmes en cause, en référence aux jeunes qui écrivent sur leurs smartphones avec leurs pouces, Michel Serres [7], de l’Académie française, va prononcer quant à lui un discours peu convenu, intitulé « Petite Poucette ». Le chroniqueur du dimanche soir sur France Info [8] se livre à un scannage pointilliste, lucide, pessimiste par endroits, d’un monde ancien qui s’en va et dans lequel ne pourra pas continuer d’évoluer longtemps le « nouvel écolier » qui « écrit autrement », qui ne « parle plus la même langue » et qui entre dans un nouveau monde. Énorme responsabilité des adultes qui lui laissent pour héritage la « crevasse » de la révolution numérique, et ces « mutations » qui requièrent l’invention « d’inimaginables nouveautés ».

Énorme responsabilité des philosophes qui, pour Michel Serres, n’ont pas préparé le choc ni pensé le contemporain :

« Rarissimes dans l’histoire, ces transformations, que j’appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large que peu de regards l’ont mesurée à sa vraie taille. Je la compare, je le répète, à celles qui intervinrent au néolithique, à l’aurore de la science grecque, au début de l’ère chrétienne, à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l’enseignement, au sein de cadres datant d’un âge qu’ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classe, bancs, tables, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires même, j’allais même dire savoirs… cadres datant, dis-je, d’un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu’ils ne sont plus. »

« Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître » se demande d’abord le philosophe. Peut-être s’agit-il de faire confiance malgré tout à notre capacité de connaître ce qui restera toujours le fondamental, au-delà de tous les conditionnements humains y compris ceux ayant atteint des sommets d’asservissement de la vérité ?

Sous la Coupole, rien de nouveau finalement. Des discours [9]. Experts du sérail en représentation. « Cela est bien dit » dirait Candide. Mais ces « grands témoins », après la formidable déroute de l’école, sont-ils les mieux placés pour s’essayer à cultiver le défi nouveau ? H.B.

[1] http://www.education.gouv.fr/cid49667/vers-un-nouveau-lycee-en-2010.html
[2] Inspecteurs, responsables de formation et autres régents de la pédagogie n’appliqueront pas les consignes ministérielles.  L’automatisation de la reconnaissance des mots nécessite des exercices systématiques de liaison entre les lettres et les sons et ne saurait résulter d’une mise en mémoire de la photographie de la forme des mots qui caractérise les approches globales de la lecture : j’attends donc des maîtres qu’ils écartent résolument ces méthodes qui saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d’accéder de façon autonome à la lecture.  http://www.education.gouv.fr/bo/2006/2/MENB0600023C.htm
[3] Sophie Coignard, Le Pacte immoral, Albin Michel, 2011. Gilles de Robien, succédant à François Fillon à l’Éducation nationale, avait mis en cause la méthode globale, p.155-160.
[4] Discours de Xavier Darcos, mardi 1er mars 2001, Les nouveaux défis de l’éducation, séance solennelle,  École et Nation .
[5] Laurent Lafforgue qui démissionna du Haut Conseil de l’éducation, auteur de La Débâcle de l’école : une tragédie incomprise (Éd. F.-X. de Guibert, 2007).
[6] Chacun l’avait déjà perçu dans le débat sur le travail du dimanche quand le ministre du Travail d’alors s’adressait aux partisans de la protection du dimanche chômé, lui du côté de la  raison , déjà, contre les arguments  irrationnels  de ses adversaires.
[7] Discours de Michel Serres, 1er mars 2011.
[8] Par exemple l’excellente chronique consacrée à l’amitié.
[9] Les professeurs n’attendent pas des discours pour agir comme dans cet exemple d’initiative pour réapprendre les bases de l’écriture rapporté par Le Figaro.