L’anglais à l’Université : “Menace mortelle pour la diversité !”
Le point sur la polémique – TV5 Monde : “Débattue à partir du 22 mai au parlement, la réforme de l’université française y permettra officiellement pour la première fois dans son histoire la mise en place de filières totalement anglophones. Destinée en théorie à améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français, la mesure suscite une mobilisation de nombreux intellectuels qui y voient un abandon et une évolution vers le tout-anglais.”
***
Interview lors du journal télévisé de Claude Hagège, par David Pujadas ce mercredi 15 mai 2013. Transcription H.B.. (Curseur 30’26)
David Pujadas – Bonsoir Claude Hagège. Vous êtes un linguiste renommé, professeur au Collège de France, et vous êtes opposé à ce projet de loi. Est-ce que ça ne fait pas partie du rayonnement de la France que d’accueillir davantage d’étudiants de ces puissances émergentes qui seront de toute façon immergées dans la culture et dans la langue française.
Claude Hagège – Cet argument ne serait convaincant que s’il était certain que c’est la raison principale pour laquelle les étudiants étrangers viennent en France. Or, la raison qui amène des étudiants étrangers dans un pays c’est, non pas la langue dans laquelle l’enseignement y est dispensé, mais la qualité de cet enseignement. Jusqu’ici, que je sache, dans un grand nombre de disciplines de pointe, la qualité de l’enseignement en France est excellente et reconnue mondialement. Premièrement.
Deuxièmement, le français, est une langue à vocation internationale depuis le XIIe siècle. Et par conséquent, la France est bien le dernier pays, qui peut – on peut l’admettre pour d’autres pays dont la langue ne rayonne pas dans le monde entier – qui peut vouloir ouvrir ses portes à l’anglais alors que le français est lui-même une langue à vocation mondiale. Pourquoi diable devrait-on se faire harakiri et pourquoi est-ce qu’on donne cet argument qui n’est fondé sur rien de sérieux selon lequel les Indiens et les Chinois… Les Chinois, parlons-en ! Il existe en ce moment mille quatre cents Instituts Confucius ! LaChine, par conséquent, développe des efforts considérables financés par des moyens énormes, pour répandre sa langue. Et nous, nous devrions, sous prétexte que nous accueillons des étudiants chinois, saborder la nôtre ? Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ?
D. P. – Mais est-ce qu’on ne risque pas d’avoir une Université cent pour cent en français, mais un peu marginalisée. Vous citez des étudiants chinois par exemple qui parlent le français mais ce n’est pas le cas de tous ces étudiants. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux les avoir en France même si leurs cours, et seulement leurs cours, sont parfois en anglais.
C.H. – Les étudiants qui viennent en France savent que la langue nationale et officielle de ce pays est le français. Et par conséquent si ce qui les attire c’est la vraie et bonne et seule raison, à savoir la qualité de l’enseignement, ils apprennent le français un point c’est tout ! Je ne vois pas pourquoi on devrait aller au devant de cette nécessité. À supposer que véritablement ça attire des étudiants.
D’autre part, si l’on veut vraiment s’assouplir en essayant de s’ouvrir à cette suggestion, il faudrait voir ce qui se passera de manière prospective dans les trois ou quatre ans à venir, c’est-à-dire tirer les conclusions de ce que cette loi – si elle était votée par le Parlement, ce qu’à Dieu ne plaise – aurait permis d’attirer comme nombre d’étudiants étrangers. Tant qu’on n’en sait rien, c’est un pur pari sur l’avenir. Pour le moment, si on se fonde sur le présent, la France a treize mille étudiants étrangers, et elle se place sur ce plan très très bien. Le ministère prétend qu’on pourrait passer à un rang encore plus avancé, plus près du premier, en donnant grâce à cette loi audience à l’anglais. En fait, on n’ose pas l’appeler l’anglais, on l’appelle langue étrangère. Jamais sous langue étrangère il ne s’agit, comme ça devrait être le cas, de l’italien, de l’allemand, du russe, de l’arabe, des langues étrangères. Il s’agit sous langues étrangère, de manière hypocrite, de l’anglais seul. Pourquoi voulez-vous que l’on soit ouvert à une langue qui a pour vocation un impérialisme absolu ? Ce pour quoi je lutte moi-même, cher Monsieur Pujadas, ce n’est pas pour le français seul, c’est la diversité. L’anglais est une menace mortelle pour la diversité. Nous luttons – ceux qui sont contre cette loi – non pour le français seulement, mais pour la diversité des langues, c’est-à-dire pour quelque chose qui permette à notre univers d’être autre chose qu’un univers absolument effroyable et fastidieux. L’anglais est une menace redoutable sur ce plan.
Lire également sur le site du Monde “Refusons le sabordage du français” par Claude Hagège.