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“L’ambition d’autres dimanches”

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Qu’y a-t-il donc de commun entre Juliette Gréco, Serge Lama et Erik Orsenna ? entre deux chanteurs et un académicien aux petites lunettes rouges ? Réponse : une même vision du dimanche, de ce jour de l’abstention de travail et de réunions de famille qui s’étirent dans l’ennui, de réunions étouffantes.

Invité au Centre culturel de Franklin le mardi 20 mars 2012, Erik Orsenna est venu parler de sa vocation d’écrivain et plus spécialement de l’origine de cette vocation. Au détour de la conversation passionnante qui se nouait entre le Prix Goncourt 1988, Emmanuel Macron qui l’interrogeait et une salle bien remplie, retenons une « sortie » sur les dimanches de son passé, un dimanche terne, monotone, un dimanche lourd de la répétition où l’on voyait, se souvient-il, toujours les mêmes gens.

Inscrivant cela dans le silence dont il souffrait, dans une famille qui ne se parlait pas, qui ne lui parlait pas, l’auteur de Sur la route du papier – Petit précis de mondialisation III, (Stock, mars 2012) critique avec justesse un dimanche que Juliette Gréco a, quant à elle, chanté en révoltée dans son célèbre « Je hais les dimanches », dimanche « prétentieux, qui veut paraître rose et généreux, qui s’impose comme un jour bienheureux ».


Jour paradoxal


« Jour paradoxal » comme peut l’être également le jour de Noël selon le psychanalyste Jacques Arènes, la haine du dimanche de certains révèle pourtant en creux une soif, le désir d’un autre visage du dimanche, une « ambition d’autres dimanches » comme l’a dit Orsenna en cette soirée riche et vraie.

L’écrivain voyageur reprend là le souhait de Gréco et son « espoir d’autres dimanches ». Quand Serge Lama chantait son dimanche en famille devant « l’éternel gigot » « où l’on rabâchera souvent », il crie une révolte compréhensible d’un dimanche en réalité dévoyé, devenu « le jour le plus bête de la semaine » selon les mots de Montherlant dans Le Songe.

Seulement, si l’on écoute bien Juliette Gréco, l’on apprend pourquoi elle vit un tel désamour à l’égard du dimanche : « Tu travailles toute la semaine et le dimanche aussi »… « Chéri, si tu étais simplement près de moi, je serais prête à aimer tout ce que je n’aime pas, les dimanches de printemps flanqués de soleil, qui effacent en brillant les soucis de la veille, les dimanches pleins de ciel bleu et de rires d’enfants, les promenades d’amoureux aux timides serments et de fleurs aux branches. »

 

“Y’avait qu’un dimanche par semaine, les autres jours c’était la graine qu’il allait gagner comme on peut”

 

Daniel Guichard ne chantait pas autre chose tout en nuançant quelque peu. Si ses dimanches étaient monotones » parce qu’« on ne recevait jamais personne », le constat est pourtant là «  ça n’ le rendait pas malheureux … [son ] vieux »… Le fils, quant à lui, rêvait d’évasion. “L’ambition d’autres dimanches”, l’expression d’Orsenna est donc bien trouvée.  À ceux qui goûtent, à nous qui goûtons la richesse des dimanches d’en montrer le précieux en jouant la carte de l’amitié entre les hommes, des retrouvailles généreuses dans une société hyper individualiste exhalant un ennui mortifère, « de faire envier un bonheur », celui « d’avoir des dimanches », « de croire aux dimanches », « d’aimer les dimanches ».

 

La joie du don


Mais plus encore que de le faire envier… il s’agit de le donner à tous, de le permettre à tous. La balle est assurément dans notre camp. L’urgence bien sûr est dans la joie du dimanche, une joie qui se voit et se partage. Une joie qui se donne parce qu’elle ne vient pas de nous. H.B.