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Joseph Malègue : “Mon beau dimanche”

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“Le plus beau jour y était dimanche. Augustin le sentait, à maint indice, venir dès le samedi soir. Ce jour-là, la grosse Catherine nettoyait les carreaux du vestibule et les fenêtres de la salle à manger ; elle passait au tripoli les boutons de la porte ; elle n’oubliait pas la bouilloire ni les robinets. Toute la maison prenait un aspect lavé de frais, renouvelé. Des habits neufs, tirés de placards appropriés, apparaissaient sur les chaises de la chambre à coucher, gardant la forme qu’ils avaient dans des boîtes, aplatis par des plis soigneux. L’active petite maman portait dans les yeux une sorte de joie maîtrisée et étincelante, comme lorsqu’on attend silencieusement une belle fête, ou des parents qui viendront bientôt…

 

Bonheur de porter certain costume marin dans ces premières minutes vides du dimanche matin. Augustin se promène, plein de satisfaction grave, sur le dallage de pierre de ce fameux second étage. Il fait miauler ses souliers. Les petits gants de fil blanc sont déjà mis. Sa main y niche au large, tous doigts écartés. Le sentiment de la propriété individuelle lui monte jusqu’à l’épaule.

 

Par la fenêtre du vestibule, au-dessus du mur grisâtre et vert-lichen qui délimite la cour, fidèle au rendez-vous du dimanche, un grand morceau de ciel, mal coupé et d’un bleu tout neuf, tremble, frémit, craquelle et se retrouve intact après chaque coup des éclatantes cloches. Du vestibule, Augustin entend ouvrir et fermer toutes les portes. Leur écho évoque la salle à manger, la chambre où, lavée, changée, repue, dort la petite sœur. Toute chose exhale l’arôme subtil du dimanche, le frais lever du matin, le chocolat du dimanche, les habits du dimanche, les cloches du premier et du second coup ; tout prépare ces moments d’immobilité tendue qui précèdent le départ pour la messe.”

 

Joseph Malègue (1876-1940), Augustin ou le Maître est là, (1933).

 

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Lire sur le site du Figaro “Joseph Malègue sauvé par le pape François”

Lire sur le site de Liberté politique “Augustin ou le maître est là”