Jean-Marc Ayrault : l’opposant farouche au travail le dimanche
Une bonne nouvelle ? Si l’on en croit les médias, Jean-Marc Ayrault est germanophile. Ancien professeur d’allemand, le nouveau Premier ministre de la France connaît bien la langue et la culture d’un pays qui protège le dimanche jusque dans sa constitution. Pour nos voisins européens, le dimanche est « jour d’élévation spirituelle ». L’article 139 de la WRV repris sous l’article 140 de la GG stipule :
Der Sonntag und die staatlich anerkannten Feiertage bleiben als Tage der Arbeitsruhe und der seelischen Erhebung gesetzlich geschützt. — Le dimanche et les jours fériés reconnus par l’État demeurent en tant que jours de repos et d’élévation spirituelle sous la protection de la Loi.
Jean-Marc Ayrault, plus que tout autre, savait donc qu’empêcher le travail le dimanche ne contrariait pas la croissance, n’avait pas l’influence sur la consommation qu’on voulait faire croire pour imposer une loi inique ; le pays donné en modèle à la France, la RFA, n’était-il pas celui qui précisément avait, concernant ce jour tout autre, les contraintes de protection les plus sévères ? L’on se rappelle que le chef du groupe socialiste à l’Assemblée est toujours monté au créneau pour défendre avec force le repos dominical. Que ce soit au moment des débats de la loi Mallié en 2009 où tous les thèmes politiques chers au député de la Loire Atlantique sont présents, ou ensuite dans la bataille du toujours plus de dérogations, ce radical s’adresse au-delà de l’appartenance partisane, « aux femmes et aux hommes qui n’appartiennent pas à cette tradition de la gauche mais qui se réfèrent à la démocratie chrétienne »,
Jean-Marc Ayrault est resté inflexible sur la question du dimanche chômé et sa récente prise de position avait agacé le gouvernement, notamment l’un de ses ministres Frédéric Lefebvre. Nicolas Sarkozy n’avait-il pas lui-même fustigé certains « maires qui, par dogmatisme (…) y compris à Noël vous empêchent d’être ouverts le dimanche » ? Noël tombait en 2011, comme le 1er de l’an 2012, un dimanche. Et l’un de ces maires, c’était le maire PS de Nantes, Jean-Marc Ayrault. Espérons que la ligne du nouveau Premier ministre soit toujours, sur cette question, la ligne du Président François Hollande. “Un impérieux devoir”. H.B.
Extrait de la discussion du 7 juillet 2009 à l’Assemblée Nationale
« Le débat qui nous occupe est infiniment (…) profond » … « Nous sommes bien face à un choix de société qu’il nous faut trancher »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
il y a quelques jours – Jean-François Copé vient d’y faire allusion –, je me suis adressé à chacune et à chacun d’entre vous par écrit. Je crois que, sur certains sujets, notre conception de la vie en société ne coïncide pas toujours avec les frontières habituelles qui délimitent majorité et opposition – en tout cas, je veux l’espérer.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui n’est pas simplement technique et ne se limite pas à décider comment régler des exceptions plus ou moins larges à une règle qui demeurerait celle du repos dominical. Il est infiniment plus profond. Puisque vous voulez un débat, monsieur le président Copé, je vous dis : chiche ! Je vous donnerai donc mon point de vue, et je tenterai de resituer ce débat dans sa pleine dimension.
Comme l’a excellemment démontré M. Eckert ce matin, le texte qui nous est présenté constitue bien un changement de cap en ce qu’il généralise le travail le dimanche. Première évidence : dans sa rédaction, ce texte ouvre une brèche dans notre droit du travail. C’est Jean Leonetti, vice-président du groupe UMP, qui l’a implicitement reconnu en évoquant le flou de la loi et la nécessité de sécuriser et de délimiter les zones concernées. Cette situation n’est pas le fruit du hasard : si le Gouvernement avait pris ses responsabilités, mes chers collègues, il aurait déposé un projet de loi. Au lieu de cela, le texte nous est venu sous la forme d’une proposition de loi, ce qui a permis le contournement du dialogue social préalable – règle que vous aviez vous-même instituée.
Deuxième évidence : les engagements pris par M. Darcos sur le paiement des heures dominicales – engagements pris ici-même, monsieur le ministre – ne peuvent pas être tenus. C’est M. Méhaignerie, président de notre commission des affaires sociales, qui l’a reconnu avec honnêteté : il ne saurait être question du doublement des salaires pour tous les salariés du dimanche.
(…)
Oui, chers collègues, nous en parlons beaucoup ces temps-ci : le marché veut tout ! Tous les équilibres auxquels nous sommes parvenus à travers les siècles sont remis en cause. Aujourd’hui, le marché vous demande les dimanches ; hier, il vous a demandé la précarisation du salariat. Demain, c’est sur la vie elle-même qu’il cherchera à étendre son emprise. Le marché n’a pas d’autre objet que la rémunération de capitaux qui exigent un rendement, indépendamment de toute réalité humaine et sociale. Voilà ce qu’est le marché ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Dès lors, faut-il des règles et des protections ? Vous savez bien que le marché veut tout ; au contraire, nous voulons combattre le tout-marché – combat qui a structuré l’histoire du mouvement ouvrier. Puisque tout le monde se réclame désormais de Jean Jaurès, entendez sa voix qui a passé le siècle et qui vous adjure de ne pas renoncer à une grande loi qui, en 1906, a instauré le repos dominical obligatoire de vingt-quatre heures pour les ouvriers et les employés du commerce ! Aux femmes et aux hommes qui n’appartiennent pas à cette tradition de la gauche mais qui se réfèrent à la démocratie chrétienne, je veux rappeler que ce repos dominical ne fut pas la victoire de la seule CGT, mais qu’elle fut aussi la leur, puisqu’en 1880, une majorité a, par aveuglement anticlérical, abrogé la loi de 1814 qui permettait déjà de chômer le dimanche. C’est donc une loi de consensus national qui fut votée à l’époque, et qui fut une manière de protéger les travailleurs face au marché. Croyez-vous donc que les questions de l’époque étaient fondamentalement différentes de celles d’aujourd’hui ?
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Enfin, s’agissant du droit au repos – et nous pourrions ajouter à une vie familiale, culturelle, citoyenne et spirituelle –, ce texte sur le travail dominical le contredit de manière éclatante. Il vient après d’autres dérégulations : suppression de certains repos compensateurs, explosion des plafonds contingentant les heures supplémentaires, tentative de porter la durée maximale hebdomadaire du travail à soixante-cinq heures, élargissement des forfaits jours et heures.
Mes chers collègues, le modèle social français et la référence au Conseil national de la Résistance sont au cœur du débat sur le repos dominical, lequel appartient à ce bloc de droits acquis au début du siècle dernier, puis lors du Front populaire et de la Libération. Au-delà des mots, je veux relever la contradiction entre le discours et la réalité. Ces règles forment un tout : le fameux modèle social auquel tous se réfèrent, mais que tous ne défendent pas avec la même intensité.
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Le travail du dimanche, que le Président cherche à généraliser, est une liberté qu’il entend offrir à certains. Ainsi, quand il justifie l’ouverture dominicale par la nécessité de permettre à Mme Obama et ses filles de faire du shopping, il nous livre, par une forme de lapsus politique, ce qui guide sa volonté.
En effet, l’ouverture dominicale est un service rendu à une partie de la population active. Elle rend la vie de certains plus commode en leur permettant de choisir leur temps de consommation. Mais ce confort nouveau pour les uns a un prix : le labeur des autres ! Et, disons-nous les choses sans fausse pudeur, il s’agit du travail de personnes peu ou pas qualifiées dont la capacité à dire non est extrêmement réduite. Christian Eckert l’a remarquablement expliqué ce matin.
Cette césure entre deux mondes qui se côtoient sans se mélanger n’est pas acceptable pour un socialiste, pour un républicain, et c’est sans doute là notre différence. La généralisation du travail dominical accentue de fait la précarisation des conditions de travail des plus vulnérables, pour offrir plus de confort – je ne dis pas bien-être – à ceux qui n’auront jamais besoin de sacrifier leur vie privée pour trouver un emploi.
Le travail du dimanche sera sans aucun effet global sur la croissance et l’emploi. Les précaires n’auront pas davantage de travail, mais leur travail sera plus émietté, plus précaire.
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