Inquisitio sur France 2 : et pourquoi pas un boycott ?
Que toute organisation humaine, fût-elle religieuse, ait un examen de conscience à opérer, en tous les cas les hommes qui la composent, c’est une évidence. Pas de progrès moral sans cela. L’Église n’a jamais rechigné à le faire, comme l’ont fait nos papes de la modernité, vrillés par l’état de l’Église et de la faute de ceux qui la forment. Jean-Paul II, Benoît XVI ont demandé pardon à Dieu, publiquement. À côté de l’antisémitisme, de l’esclavage, les péchés d’une certaine Inquisition ont été nommés.
Le jubilé de l’an 2000, souvenons-nous en, a été préparé pendant trois ans et fut l’objet de cérémonies réparatrices pendant toute une année. L’événement est déjà loin, et nos jeunes n’ont sans doute pas idée de ce que cela a pu représenter dans le monde entier pour nous, les moins jeunes. Malgré toutes les déviances et les horreurs commises au nom de Dieu, la foi nous enjoint de croire que l’Église est sainte. Et elle l’est, en vertu de la Sainteté de Celui qui la porte, le Christ « témoin insurpassable d’amour patient et d’humble douceur » mais dont la colère a également été sainte comme nous le dit l’épisode des marchands du Temple chassés à coups de fouet. Si l’irascible de Jésus de Nazareth fut parfaitement finalisé, lui vrai homme et vrai Dieu, il n’est pas dit que celui des hommes le soit toujours. L’histoire l’a hélas montré à chaque époque. Et nos jours actuels auraient sans doute à révéler que les déviances sont de toujours.
Avec la saga d’Inquisitio diffusée ce soir et sur plusieurs semaines, France 2 adapte plus que librement un moment de l’histoire de l’Église qui ne peut pas laisser indifférents ceux qui l’aiment. Qu’on veuille falsifier, sous couvert de romanesque, l’histoire d’un temps troublé et complexe comme celui de l’Inquisition, rien de plus attendu, vulgaire même. Les ingrédients glauques du fantasme sans cesse remotivé sont là pour scotcher un spectateur volatile à un écran qu’il déserte de plus en plus. Il faut bien surenchérir pour le fidéliser au prix d’effets manipulatoires. Les ficelles sont énormes sur fond, qui plus est, d’affaire VatiLeaks et de schisme lefebvriste. Un borgne, une rousse, un nain comme le résume très justement une vidéo de détournement de la bande annonce. Ne pas voir ces ficelles, relève d’une bêtise indécrottable. Les vacances aidant, le discernement manquera encore plus.
Ne pas renier le pardon demandé en l’an 2000
Qu’on veuille peut-être, à l’inverse, justifier l’indéfendable, défendre des hommes qui ont persécuté, torturé, généralisé les peines infamantes, mis à mort, n’est pas mieux. Que le film de France 2 doive faire l’objet de critiques fondées, bien sûr. Des historiens [1] s’y sont essayés dans la presse depuis plusieurs semaines. Écoutons-les. Mais qu’à la faveur de ces mensonges de masse, de ces constructions télévisuelles malveillantes, on ne veuille pas reconnaître ses responsabilités et le honteux des pratiques de ces époques reculées, n’est pas davantage admissible ; ce serait renier un pardon tellement attendu. Nous ne sommes plus en croisade. Ne réagissons pas en assiégés d’une forteresse en danger.
Le mot INQUISITION a comme racine étymologique un verbe latin quaerere qui signifie chercher, enquêter. L’institution du même nom fut créée, il est vrai, dans un contexte de très grave crise cathare et d’attaque de l’unité de la foi catholique. La mission du pape et des évêques en premier lieu, même si c’est peu connu aujourd’hui, est de préserver le « dépôt de la foi ». Mais ce qu’ils firent à cette époque, ils le firent au nom de l’intérêt général, pas seulement de l’Église. « L’hérésie cathare mettait en péril, non seulement l’unité de la foi, mais aussi l’ensemble de la société (refus du serment, du travail, du mariage).[2] » Bien des démocrates modernes, encore faudrait-il qu’ils le sachent, n’admettraient sans doute pas la collusion des hérétiques cathares et d’une certaine aristocratie élitiste cherchant à distiller son venin dans toute la société dans une vision manichéenne du monde.
Pour comprendre ce qu’est l’Inquisition, institution juridique qui n’a pas en ses débuts été si extrême qu’en Espagne sous le terrible Torquemada par exemple, il faut comprendre ce qu’est le poison d’une hérésie militante et publique, ne pas perdre de vue non plus le contexte historique où l’Église est plus que jamais liée au pouvoir temporel. Notre époque moderne qui met la liberté de conscience, le libre arbitre, la tolérance religieuse au cœur de ses fondamentaux, n’est donc plus vraiment en mesure de comprendre ce qui a pu motiver pareille entreprise punitive.
Ne regardons pas Inquisitio, ni en direct, ni en replay
Reste que l’arsenal juridique d’un instrument répressif jamais vu sous la chrétienté a atteint des sommets de cruauté et d’humiliations. C’est, redisons-le, une honte ineffaçable, une plaie de l’histoire qu’il nous faudra toujours réparer. « Il convient, disait le pape du grand pardon, Jean-Paul II, que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu. » La guérir, cette honte ineffaçable ? Est-ce possible ? Comment ? Laissons les Équipes Résurrection parler :
« Comment guérir les plaies de l’histoire ? Quelle que soit la part des responsabilités engagées dans de tels épisodes (le rôle de l’historien est de les exposer), la chrétienté et l’Église sont atteintes : ici, jouent la complémentarité et la liaison unissant les membres de l’Église. Le chrétien est le témoin du Christ, il engage une part de la responsabilité de l’Église : ses actes importent pour les non-chrétiens, contribuent à alourdir, s’ils sont mauvais, le poids du péché et sont autant d’obstacles à la progression du Royaume. Ces plaies de l’histoire, nous devons les accepter comme des épreuves et en prendre la responsabilité, tant morale que concrète, par fidélité au Christ et à l’Église : à nous, individuellement et collectivement, par la prière et la pénitence de participer à la rédemption de l’humanité ; rien sauf la grâce et la conformité au Christ, ne peut nous mettre à l’abri de telles erreurs »
L’inquisition a nom aujourd’hui Congrégation pour la Doctrine de la foi. Les grands Inquisiteurs ne portent plus ce nom trop entaché de sang et de violences. Mais leur juste mission continue, promouvoir et défendre la foi catholique. Leur vigilance est de tous les instants. Leurs moyens ne sont heureusement plus les mêmes. Mais sans doute serait-on étonné de ce qui reste encore possible et parfois sans doute appliqué. Le dialogue, la concertation, la vérité ont beaucoup de chemin à faire pour que les ravages de la désunion et du schisme ne l’emportent pas. Avec le bienheureux Jean-Paul II sur l’Île de Gorée, écrions-nous : « Qu’il est long le chemin que la famille humaine doit parcourir avant que ses membres apprennent à se regarder et à se respecter comme images de Dieu, pour s’aimer enfin en fils et filles du même Père céleste ! ».
Quant au film de France 2, ne le regardons pas, ni en direct ni en replay, il n’en vaut sûrement pas la peine. L’Index n’existe certes plus. Mais ce serait une façon vraiment libre d’honorer l’Église attaquée injustement ce soir. H.B.
JEAN-PAUL II, Lettre apostolique Tertio Millenio adveniente – 10 novembre 1994, (19).
Il est vrai que pour juger correctement l’histoire, on ne peut se dispenser de prendre attentivement en considération les conditionnements culturels de l’époque: sous leur influence, beaucoup ont pu considérer en toute bonne foi que, pour porter authentiquement témoignage à la vérité, il fallait réduire au silence l’opinion d’autrui ou au moins la marginaliser. De multiples motifs concouraient souvent à la création d’un terrain favorable à l’intolérance, alimentant un climat passionnel auquel seuls de grands esprits vraiment libres et pleins de Dieu réussissaient d’une certaine manière à se soustraire. Mais la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas l’Église du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et l’ont empêchée de refléter pleinement l’image de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable d’amour patient et d’humble douceur. De ces attitudes douloureuses du passé ressort pour l’avenir une leçon qui doit inciter tout chrétien à s’en tenir fermement à la règle d’or définie par le Concile : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. »

[1] J. Sévillia a répondu très clairement dans le dernier Figaro Magazine et recommande de Didier Le Fur, L’Inquisition, enquête historique. France XIIIe-XVe siècle (Tallandier).
[2] 100 Points chauds de l’Histoire de l’Église, Équipes Résurrection, (Desclée de Brouwer) 1979.