Gaspard-Marie Janvier provoque : Débaptisons le dimanche !
Les lecteurs de ce blog connaissent bien Gaspard-Marie Janvier, nominé l’année dernière pour le Prix Goncourt (Quel trésor ! Fayard, 2012). En pleine actualité du travail le dimanche, la nuit, les jours fériés, l’auteur du Dernier dimanche (Mille-et-une-nuits, 2009) nous envoie cette semaine une tribune décalée. On se souvient de la première page de son roman annonçant le paradoxe moderne du premier jour de la semaine : « “Ouvert au public du lundi au samedi, de 9h à 18h, Fermé les dimanches et jours fériés”. Panneau à l’entrée d’une église du Perche. »
Débaptisons le dimanche !
Relevé des conclusions de l’assemblée générale extraordinaire de l’Association pour les nouvelles théologies, réunie en séance exceptionnelle le dimanche 29 septembre dans le grand hall commercial de Bricoland.
1. Les églises et les temples chrétiens se vident, le clergé se raréfie, les Français se disent de moins en moins concernés par la religion de leurs grands-pères ;
2. Les expériences d’ouverture de grandes surfaces le dimanche sont approuvées massivement par de nouveaux dévots processionnant sur les routes, dans les fumées sacrificielles de l’or noir venu d’Orient ;
3. Les prêtres ne tiraient que trois sous de la quête, les nouveaux clercs se félicitent de voir leur salaire gonfler en célébrant l’office dominical ;
4. Dans les pays de tradition catholique, les commerces familiaux environnant les églises ont obtenu l’autorisation d’ouvrir le dimanche afin de faciliter la vie de quartier ; il serait injuste de n’accorder point aux gros ce qui fut concédé aux petits ;
5. L’Allemagne a sanctuarisé le repos dominical en l’inscrivant dans sa constitution, montrons aux Allemands ce qu’est le droit à la française : dérogeons encore, complexifions toujours ;
6. Par un miracle incompréhensible, les Allemands, malgré cette disposition simple et rétrograde, réussissent à obtenir la croissance dont nous rêvons ; il est pourtant parfaitement vrai que la suppression du repos dominical ne peut que déclencher la croissance ; il faut croire que nos voisins germaniques travaillent en cachette le dimanche ;
7. Pour vaincre les résistances au progrès, rendons toujours plus complexe notre législation sur le repos du dimanche ; viendra bien un moment où, de guerre lasse, les Français seront prêts à accepter n’importe quelle loi, pourvu qu’elle apporte la simplicité et qu’on n’en parle plus ; Freud a théorisé cette vérité anthropologique sous le nom de pulsion de mort ;
8. Les musées, les jardins publics, les associations, les organisateurs de rencontres sportives profitent de l’obligation du repos dominical pour détourner les citoyens de la production et de la consommation ; fermons les musées et les jardins publics, supprimons les compétitions sportives, empêchons les associations de se réunir, ou plutôt, ouvrons tous les magasins et les centres commerciaux le dimanche afin de mettre ces pratiques désuètes dans l’impossibilité de se perpétuer ;
9. Le poulet du dimanche n’est plus qu’un lointain vestige d’une organisation familiale révolue ; les nouvelles familles s’éclatent ; éclatons-les un peu plus en leur enlevant toute possibilité de rencontre régulière ; rendons aux juges des affaires familiales la tâche impossible en désynchronisant les emplois du temps des parents ;
10. Toutes les études le montrent, la grande surface a véritablement pris le pas sur l’église comme lieu de sociabilité : disciples de l’offre du mois, sectateurs du bon coup de la semaine, zélateurs de la promo boum boum, se retrouvent désormais par millions, que dis-je, par milliards, sur les parkings de centres commerciaux de ce monde ;
12. L’amour divin, le souci de la famille, la recherche du sens de la vie, n’ont suscité que fort peu d’élus pour beaucoup d’appelés ; ils paraissent de ce fait opposés aux principes égalitaires de l’hyperdémocratie consumériste ;
13. Le peuple a besoin d’opium et n’en trouve plus dans les églises ; il y en a plus qu’il n’en faut dans les centres commerciaux ;
14. L’amour du profit, le souci de soi, la recherche d’objets inutiles et perpétuellement nouveaux, forgent des individus illettrés mais dociles, abrutis mais policés, avides d’appareils leur permettant de rester enfermés en repos dans leur logis sans songer à leur misère ;
15. Les partis de droite comme de gauche ont enfin renoncé aux idées politiques et n’espèrent plus qu’en un miracle, sollicité par l’échange désormais rituel dans les congrès et manifestations :
– La Croissance soit avec vous !
– Et avec votre Crédit.
– Élevons notre Compte.
– Nous le tournons vers nos Valeurs.
16. Notre président, comme le précédent, a renouvelé clairement sa foi dans le dogme croissanciel ; n’affirme-t-il pas régulièrement qu’il « croit » en la reprise de la croissance ; aidons-le à tenir religieusement ses promesses ;
17. La banalisation du dimanche est une révolution ; aucune véritable révolution ne s’accomplit sans une réforme radicale du vocabulaire : il convient que « dimanche », dont l’étymologie désigne le « jour du seigneur », soit rebaptisé « Eurodi ».
Amis de la perceuse et du karcher, dimanche est mort, vive eurodi !
Minutes recueillies par G.-M. Janvier, sous-secrétaire général de l’Association pour les nouvelles théologies.