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Fin de vie, mariage gay, école privée : le premier ministre s’explique

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Jean-Marc Ayrault, était l’invité de Radio Fidélité, radio associative chrétienne, ce lundi 4 juin à Nantes. Le premier ministre répond aux questions d’Antony Torzec, rédacteur en chef de la radio.


Antony Torzec : François Hollande a dans sa proposition 21 promis qu’on puisse « terminer sa vie dans la dignité ». Voulez-vous aller plus loin que la loi Léonetti et proposer une aide directe et active pour forcer la mort ?


Jean-Marc Ayrault : François Hollande n’a jamais employé le mot euthanasie. S’il ne l’a pas employé, c’est à dessein : c’est un sujet extrêmement grave et je comprends que les évêques et les catholiques expriment des interrogations, des réserves. Ils en ont parfaitement le droit.

   Je me souviens très bien comment était rédigée cette phrase. J’étais là lorsque l’on a rédigé le texte. C’est la formule qui a été retenue : « Terminer sa vie dans la dignité ». Effectivement, il y a des situations où des personnes se trouvent dans une grande détresse physique et morale. Il y a déjà eu des pas de faits qui sont très importants, qui sont dans la loi Léonetti, qui ont été d’ailleurs votés de façon consensuelle. Sur ces sujets, il n’y a pas de consignes de vote. En tous cas, quand je présidais le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, je n’ai jamais demandé à tel ou tel député de voter automatiquement comme on le fait d’habitude, par solidarité. Là, c’est une question de conscience.

  Mais en même temps, ce que nous voulons faire, c’est perfectionner la loi Léonetti. On connaît tous, les uns et les autres, vous dans vos entourages, dans vos familles, vos relations, des situations dramatiques qui n’ont pas été complètement traitées par la loi Leonetti. J’ajouterai pour vos auditeurs que, trop souvent, dans les établissements hospitaliers, il n’y a pas toujours l’information nécessaire aux familles. Il faut le faire davantage. Les soins palliatifs existent mais ne sont pas développés partout dans les mêmes conditions. Il y a toute une série de progrès à faire qui doit respecter la dignité de la personne et, en tout état de cause, respecter sa libre détermination.

  Je ne sais pas s’il faudra une loi, pour l’instant ça fait partie des textes des projets de François Hollande dont vous avez parlé. Il y aura de toute façon, sur ce sujet comme sur d’autres, une concertation. Nous écouterons tous les points de vue, c’est bien le moins pour des sujets d’une telle gravité.

  Je n’emploie pas le mot euthanasie et François Hollande ne l’emploie pas non plus. Il n’y a pas très longtemps, j’étais en Suisse, pour un déplacement officiel, je n’étais pas encore premier ministre. J’ai vu une publicité pour l’euthanasie dans un journal. J’ai trouvé cela choquant. Ce n’est pas un acte banal. Ça relève d’une décision extrêmement grave. Je pense qu’il faut aborder ces questions avec humanité, mesure, réflexion. Il s’agit de la vie d’un être humain, de sa souffrance.

   Mais en même temps,  je crois que même si la loi Léonetti doit être complétée dans l’esprit du projet de François Hollande, les décisions ne pourront pas être prises comme ça, sur simple décision, il y aura un collège de médecins, de personnes, et l’engagement de la personne concernée qui sera sa totale liberté et sa totale détermination.

  La Suisse et la Belgique, c’est un peu pareil. On va avoir une concertation. On va s’inspirer de ce qui existe dans d’autres pays. Même s’il ne s’agit pas de faire l’unanimité sur des questions comme cela, on peut tout à fait comprendre qu’il y ait des divergences parfois profondes. J’en ai discuté beaucoup, avec beaucoup de personnes de sensibilités différentes. Mais ce qui est important, c’est de toujours avoir une démarche qui soit celle du respect et de la dignité, et celle du dialogue.

 

Antony Torzec : Un autre sujet risque de susciter une réaction dans la communauté catholique. C’est le mariage pour les couples homosexuels. Le calendrier est-il établi ?

 

Jean-Marc Ayrault : Il n’y a pas de calendrier, mais l’engagement est pris et sera tenu, c’est-à-dire, la possibilité de se marier pour des personnes de même sexe, et la possibilité d’adopter. Là, il y a débat, je le sais aussi, je respecte les points de vue mais c’est un engagement qui est pris, d’autres pays démocratiques l’ont déjà décidé. Comme pour chaque projet de loi, chaque grande décision, il y aura information et puis concertation.

  Et en même temps nous sommes dans un état de droit. Nous sommes dans une démocratie. Les électeurs se prononcent.  Et une fois qu’un président de la république est élu – il est élu au suffrage universel, donc par tous les Français – le moins, c’est que les engagements qu’il a pris soient tenus. Sinon, que veut dire “promesse électorale” ? Cela ne veut pas dire, qu’avant qu’une loi soit votée, soumise au parlement, il n’y ait pas de concertation. Ce sera vrai pour ce sujet comme tous les autres.

  Il faut accepter de prendre en compte les évolutions. Vous savez, je ne voudrais pas m’immiscer dans la vie de l’Institution qu’est l’Église catholique, mais sur ces sujets, par rapport à l’homosexualité, l’Église a beaucoup évolué si on reprend les positions ou les textes d’il y a longtemps, ou parfois récemment… c’est dire que si l’Église catholique a évolué c’est parce que la société a évolué, la demande  sociale a évolué.

  Je ne veux pas porter de jugement, c’est aux catholiques, membres de l’Église catholique de le faire, en toute indépendance. Moi, je respecte l’indépendance. Je suis, en tant que premier ministre, garant des lois de laïcité de la république. Vous savez qu’Aristide Briand qui est né à Nantes, un grand homme d’État, a été rapporteur de la loi de séparation des églises et de l’État, mais c’était un pacificateur. C’est ainsi que les lois sont devenues des lois de concorde nationale, de paix civile. Qu’est-ce que dit cette loi ? Elle dit que l’État, la France, garantit le libre exercices des cultes qui en même temps respecte la liberté de conscience, liberté de croire ou de ne pas croire, et que l’État, lui, doit rester neutre. Ce n’est pas au gouvernement de se mêler aux débats internes à une institution religieuse ou à tel ou tel mouvement philosophique. Il doit garder sa neutralité, représentant de l’intérêt général dans le cadre des valeurs et des lois de la république.

 

Antony Torzec : En ce qui concerne l’enseignement catholique, partie intégrante de l’éducation nationale, dans un courrier adressé au CNAL, François Hollande se dit prêt à abroger la loi Carle, pour les forfaits de scolarisation versés par la commune concernant les enfants qui résident hors de la commune. Toujours dans ce courrier, le futur président promet que les 60 000 postes créés seront à destination de l’enseignement public parce que, en gros, le privé n’en a pas besoin. Vous confirmez ces propos aujourd’hui ?

 

Jean-Marc Ayrault : Vincent Peillon, le ministre de l’éducation nationale, a récemment évoqué l’utilisation des 60 000 postes, indiquant que l’enseignement privé, en fonction des besoins, aurait aussi sa part. On ne va pas rallumer la guerre scolaire. Ce n’est pas l’état d’esprit ni du président de la République, ni le mien, ni du Gouvernement. Il faut partir des besoins réels. Ça vaut pour l’école publique et pour l’école privée. On sait bien qu’il y a eu une dégradation ces dernières années, presque 80 000 postes détruits en cinq ans. C’est considérable, 14 000 la dernière année. Je pense que la société a des devoirs vis-à-vis de la jeunesse. Sa première responsabilité, c’est de préparer l’avenir de la jeunesse, une façon de préparer l’avenir du pays !  

 

Antony Torzec : Quelle est la place des religions aujourd’hui dans notre société française ?

 

Jean-Marc Ayrault : Qu’elles puissent exercer librement leur vie, leur activité, et dans le respect des lois de la république. C’est ce qui se passe heureusement dans notre pays, et dans le respect de la liberté de conscience des autres citoyens. C’est le grand principe de la laïcité. Je pense que c’est une chance et tous les pays n’ont pas cette chance. Donc moi j’ai envie, et je le répète – c’est ce que j’ai pratiqué comme maire de Nantes, et donc comme premier ministre je continuerai à le faire – c’est qu’on vive dans la sérénité, dans la tranquillité, dans la dignité, où chacun trouve sa place. Ce n’est pas par l’anathème, par la division qu’on y arrivera. On a trop souffert de cela. Il faut qu’on se rassemble. Se rassembler, ça veut dire accepter la diversité d’opinions, de religions, de philosophies, tout en respectant ce que nous avons de plus fort en commun, les valeurs et les lois de la république ! Si on fait cela, je pense que la France sera plus forte !

 

Transcription : H.B.