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Fin de vie : l’acte médical assumé euphémise l’euthanasie

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   Dans son discours à la maison médicale Notre-Dame du Lac de Rueil-Malmaison, que La Vie retranscrit in extenso sur son site internet, le Président de la République a fait vibrer une émotion non dissimulée et montré une grande maîtrise à aborder des sujets de société complexes et difficiles. Des remerciements d’usage, sincères et appuyés, aux intentions affichées de favoriser davantage les soins palliatifs, au mot euthanasie jamais prononcé, au choix de la personnalité chargée d’une mission « Fin de vie », le professeur Sicard, Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, il y aurait sans doute, en ce 17 juillet, de quoi baisser la garde. La dose anesthésique via médias interposés a été forte. Nul doute qu’elle fasse son œuvre.

 

 

   Beaucoup d’endormis pourtant n’ont pas pu ne pas entendre la stridence du nouvel euphémisme, prononcé pour dessiner un au-delà des soins palliatifs, « l’acte médical assumé ». Il vise à atténuer, à leurrer en remplaçant le mot tabou, le mot tu, le mot transgressif par excellence, le gros mot imprononçable “euthanasie”. Grave, François Hollande se demande dans ce haut lieu pour « personnes fragiles », si l’on peut aller « plus loin » et si un tel acte n’est pas au fond légitime s’il était réalisé « au terme d’une décision partagée et réfléchie ». Certes, tout cela est formulé sous forme de questions. Toutes les questions doivent être, naturellement, posées. Mais elles sont habiles, elles voudraient sans doute laisser penser que rien n’est décidé en la matière, malgré la promesse nette du candidat à l’élection présidentielle. Le président reculerait-il devant le candidat ? Rien n’est moins sûr…

 

 

Ce n’est pas à la collectivité de décider de ce moment ou de le déterminer 


   Car deux points attirent néanmoins l’attention, outre l’ambigu du nouvel « acte médical assumé » annoncé. Écoutons d’abord, avant de les aborder, le paragraphe du discours qui fait problème après le balbutiement subtil du début sur les deux verbes « Faut-il », « peut-on ».

 

Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager des patients aux prises avec une douleur irréversible ? Et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? Poser cette question, c’est ouvrir une perspective qui elle-même entraîne un débat. Et les questions sont multiples : À quel moment l’issue peut-elle être considérée comme fatale ? Comment évaluer le caractère insupportable d’une douleur ? Comment recueillir le consentement d’un patient ? Et s’il ne peut être obtenu, sur quel autre fondement peut-on prendre cette décision ?  Le débat mérite d’être engagé. Il doit se faire dans l’apaisement, en refusant les caricatures, les polémiques et les batailles. C’est un débat noble et digne.

   Le premier point qui interroge est celui qui semble apparemment répondre à la question d’éthique posée : « Ce n’est pas à la collectivité de décider de ce moment ou de le déterminer ». Rien de plus vrai. On ne pourrait qu’acquiescer. Sauf que cette proposition se lirait bien aussi comme pure rhétorique. Si « acte médical assumé » il devait y avoir, si l’injection létale devait effectivement être réalisée, quelle valeur ces mots auraient-ils si l’on s’apprête à faire le contraire de ce qu’ils signifient, si l’on s’apprête à faire le contraire de ce que l’on dit ? Et le sceau de l’exceptionnel paré de toutes les vertus n’y changerait rien : la collectivité aura bel et bien décidé du moment fatal, l’aura déterminé.

 

Qui est raisonnable ?


   Le second point concerne l’atmosphère dans laquelle le débat « mérite d’être engagé ». Pourquoi des vœux s’élèvent-ils que ce débat se fasse « dans l’apaisement, en refusant les caricatures, les polémiques et les batailles » ? Ne retrouve-t-on pas ici les mêmes ficelles que dans d’autres débats de société où la posture de la raison irait avec une sorte d’apathie molle, où ceux qui monteraient au créneau passeraient pour les irrationnels, des passionnés habités par un fanatisme les discréditant de facto ? Gare ! La manœuvre est habile, le danger est bien là : en bonne philosophie, la passion n’est pas mauvaise en elle-même. Il faut au contraire toute sa force pour engager la bataille. Et bataille il y aura ! Pourquoi refuser a priori la lutte, refuser le combat en une affaire où les positions vont devenir irréductibles, positions qui engagent une vision haute de l’homme à défendre coûte que coûte ? Sans doute notre Président normal ne verrait-il pas d’un bon œil de possibles manifestations monstres, anormales…


   Il faudrait en tout état de cause prendre date aujourd’hui car les dés viennent d’être jetés. Le Rubicon est franchi. Depuis l’intervention de notre Président socialiste, tous les hommes de bonne volonté sont en réalité convoqués d’urgence à une bataille de conscience, bataille pour une liberté essentielle. Tous ensemble. En grand nombre. Dans la rue s’il le fallait. En gommant toute appartenance partisane, à commencer par la religieuse. Sans banderoles ni pancartes. En se prévalant du seul fait d’être Homme. La voilà la vraie lutte finale ! Raisonnable. Anthropologique. H.B.

 

Écouter également La Voix est libre, mercredi 18 juillet 2012 : débat animé par Louis Daufresne avec le Professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, Henri de Soos, Directeur des études d’Alliance Vita, Anne-Marie Trébulle, directrice des soins à la maison médicale Jeanne-Garnier à Paris, un représentant de l’ADMD (Association pour le Droit de mourir dans la dignité).