Dimanche : le rapport de l’Institut Montaigne sur la sellette
L’Institut Montaigne, think tank indépendant dont la vocation est « d’élaborer des propositions concrètes dans les domaines de l’action publique, de la cohésion sociale, de la compétitivité et des finances publiques » a publié le mois dernier un rapport sur le temps de travail diminuant selon lui « dans des proportions inquiétantes ». Rappelons que l’Institut est financé par quatre-vingts entreprises telles que LVMH, BNP Paribas, EADS…
Le rapport « Temps de travail : mettre fin aux blocages » propose notamment des “pistes pour favoriser l’ouverture des commerces le dimanche”. Contrairement à ce que l’Institut avance c’est loin d’être un sujet mineur dans ce rapport. Son approche traduit une étude particulièrement poussée des rapports qui ont été remis sur cette question.
Tout semble commencer assez bien. Le rapport prend en compte dès les premières lignes le facteur structurant de l’idée d’un repos commun à la société, l’importance de sa synchronisation. Vincent Lecourt, avocat au barreau du Val d’Oise, a bien voulu répondre aux questions que la lecture de ce rapport faisait surgir. H.B.
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Un bon début donc ?
Oui mais après avoir posé ce principe qui n’est pas sans rappeler sa réaffirmation dans la Loi Mallié qui y avait pourtant apporté de nouvelles et importantes dérogations, le rapport s’en détache pour procéder ensuite par affirmations grossières et quelquefois gratuites avec des erreurs qui me paraissent caractériser une certaine mauvaise foi.
Des erreurs ?
Oui assez grossières et je m’étonne qu’elles n’aient pas été relevées.
« Sans aller jusqu’à “supprimer le principe” », énonce le rapport et montre qu’il y pense malgré tout en préconisant toujours plus de dérogations qui le vident de sa substance. Proposer de ne pas limiter le pouvoir de dérogation du maire est un parfait exemple de la méconnaissance des mécanismes de compétition existant entre différentes communes pour attirer à elle une enseigne qui voudrait s’implanter et des effets de la déconcentration du pouvoir économique sur les maires. Cela ne tire pas assez les enseignements de la complaisance avec laquelle certains élus ont accordé par le passé des dérogations.
Vous avez des exemples ?
Dans mon département, on l’a vu avec la commune de Franconville et d’Herblay lorsqu’Ikea a voulu s’implanter dans le Val d’Oise. On l’a vu à Montsoult où le Maire s’est entendu avec l’enseigne Leroy-Merlin, gros employeur de sa commune à qui il a accordé une dérogation permanente sans même en avoir le droit. On l’a encore vu à Cormeilles en Parisis avec Castorama et à Eragny avec les enseignes du centre commercial Art de Vivre.
Mais c’est le cas dans d’autre départements, comme à Orgeval avec Bricorama qui a menacé de quitter la zone commerciale pour s’installer plus loin si elle ne parvenait pas à obtenir un PUCE qu’elle a finalement obtenu du Préfet.
Cette pratique est généralisée et on ne compte plus les enseignes ayant menacé de supprimer des emplois si on ne les autorisait pas à faire travailler leurs salariés le dimanche.
D’autres erreurs ?
Dire que la règlementation européenne ne prévoit aucune restriction au travail du dimanche est une méconnaissance totale du sens de la jurisprudence de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne (ex-CJCE)) qui a simplement dit qu’il n’appartient pas à l’Union Européenne de fixer une journée de repos mais à chaque État Membre de le faire, en fonction de ses propres considérations sociétales.
C’est un problème de « compétence » ?
Naturellement. L’Europe s’est déclarée incompétente au regard des textes qui la régissent pour fixer au dimanche le jour de repos commun des salariés. Elle n’a pas dit que c’était bien ou mal mais juste que ce problème n’est pas de son ressort. En revanche, elle a déclaré que la fixation au dimanche d’une journée de repos commun ne contrevient pas à la règlementation européenne. Bref, le rapport est ici particulièrement “mal renseigné”.
Des erreurs plus factuelles ?
Oui mais des erreurs importantes malgré tout, comme sur l’équité entre les magasins traditionnels et les commerces à distance. L’idée est la satisfaction d’un besoin immédiat qui nécessiterait alors une livraison le dimanche par les commerçants à distance. En ce sens commander le dimanche pour recevoir au mieux le lundi et souvent le mardi ou attendre le lundi pour aller acheter sont deux modèles différents mais ni l’un ni l’autre ne sont en concurrence le dimanche puisqu’aucun ne permet la livraison ce jour-là. Opposer boutique physique et boutique internet est une absurdité au regard de l’évolution actuelle des secteurs marchands et du fait que les enseignes qui demandent ces ouvertures possèdent déjà leur site de vente en ligne.
Le travail le dimanche créera-t-il ces emplois que le rapport met en exergue ?
La création d’emploi avancée est une supercherie. Quels emplois ? Où ? De quelle qualité ? Plutôt que de se rapporter de manière non exhaustive à l’étude de modèles de pays différents, en oubliant par exemple l’Italie, on pourrait facilement ici regarder la création nette d’emploi en France dans les secteurs du bricolage et de l’ameublement. À ma connaissance, l’année 2014 a surtout été marquée par la faillite de l’entreprise Meuble Européen (n°4 français) exploitant les enseignes Fly, Atlas et Crozatier et la disparition au passage de plus de 2.000 emplois.
Le rapport prétend qu’ils profiteront essentiellement aux jeunes…
Il faut s’élever là contre ! Le travail le dimanche « profite » … à la précarité, par conséquent aux jeunes car l’emploi dominical repose d’abord sur la précarité. Un salarié ne peut pas vivre en ne travaillant que le dimanche. On s’adresse à un public captif. Surdiplômé par rapport aux besoins mais en décalage. En bref : Un étudiant en droit va vendre des pommes de terre pour étudier le reste de la semaine et quittera ce job au plus tôt, étant remplaçable…
La majoration du salaire ne peut être supportable que si elle repose sur l’assiette la plus basse possible. Le seul moyen pour un salarié de gagner plus n’est pas alors de travailler plus ou d‘évoluer dans l’établissement mais d’accepter des contraintes pour obtenir des compensations financières au détriment d’autres équilibres. Travailler le dimanche ne fait pas recette intrinsèquement, c’est obtenir la majoration qui constitue le moteur principal de ceux qui se soumettent à cette contrainte.
Et les étudiants ne sont pas les seuls à être visés par cette précarité. Il y a aussi les salariés à temps partiels, les salariés peu diplômés et suffisamment de chômage pour qu’un salarié vienne en chasser un autre qui serait un tant soit peu récalcitrant à l’idée de travailler le dimanche.
Cette compétition entre salariés empêche aussi la reconnaissance des qualifications des filières marchandes et de la spécificité de leur travail. Dans le bricolage, on a eu certaines années les trois premiers niveaux conventionnels sous le SMIC…
Quid du droit de tirage préconisé ?
Il ne me gêne pas mais doit être exercé branche par branche et non entreprise par entreprise car il suffit autrement à un groupe d’avoir plusieurs enseignes, comme par exemple le groupe Vivarte qui détient Chaussland et La Halle aux Chaussures, pour multiplier le nombre de dimanches ouverts par deux face aux concurrents. Et c’est encore plus vrai pour les magasins franchisés. Les franchisés sont souvent les plus mal lotis dans le secteur du commerce.
La discussion branche par branche est la pratique actuelle de la Préfecture à Paris où les dates d’ouverture sont fixées par branche après de larges consultations avec les organisations syndicales de salariés l’année d’avant. Les maires appliquent souvent ce même principe au plan local là où le dialogue social fonctionne.
Le droit au refus des salariés ?
C’est une négation de la réalité économique qui préside actuellement sur le marché du travail où un bac+3 en Arts plastiques se retrouve vendeur de vélos et craint de quitter un employeur qui le maltraite car il n’est pas certain de retrouver un emploi ailleurs car il ne pourra se reposer sur sa seule expérience pour retrouver un emploi, encore moins un salaire équivalent alors qu’il doit toujours faire face à ses charges.