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Cloclo : « Je suis qui, moi ? »

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Bien sûr, il y avait l’homme aux paillettes, l’homme-star entouré de ses clodettes ou de ses mannequins à demi nus, l’idolâtrie qu’il suscita auprès de fans hystériques, le sage madison des débuts oublié pour des transes fiévreuses. Il y eut Monte-Carlo, Saint-Tropez, Paris, le Royal Albert Hall à Londres. Il y eut Janet, France, Isabelle, Sophia et les autres, ce turn-over de femmes toutes désirées, toutes lassées de sa misogynie, de ses colères, de sa jalousie pathologique, de ses infidélités, de ses folies outrancières. « Cinglé », l’homme que les sirènes d’Alexandrie ont séduit pour toujours ? Non, il était plus que tout cela. Comme tous les hommes qui sont bien plus que la somme de leurs actes. C’est ce qui fait le succès du film Cloclo. Rien de ces clichés connus de tous dans la narration haletante de Florent-Emilio Siri, mais une juste biographie qui fait entrer dans le mystère d’une personne attachante malgré les zones d’ombre et les contradictions intérieures. Ici moins qu’ailleurs, les apparences sont trompeuses. Remarquable Jérémie Rénier !

Le geste fatal est là, dès le début. Maniaque, la main redresse déjà l’ampoule torsadée d’une lampe qui clignote dans la loge du chanteur. Insignifiant mouvement de main car l’heure est à la rencontre avec France Gall énamourée d’un Claude tout juste séparé de sa femme soufflée par Gilbert Bécaud. Tout paraissait plus lumineux que sombre dans ces débuts de vie ; pourtant le tragique du destin de Cloclo s’insinue, persistant. Le marc de café n’avait pas tout annoncé à la mama d’origine italienne, possédée par le jeu, croyant jusqu’au bout ce que lui avait dit la voyante sibylline : la vie de son fils serait écrite en lettres de feu. Feu oui, fulgurance aussi.

Grande réussite en tout cas qu’un film à la gloire d’un chanteur pour midinettes révélant un homme plus profond que ses chansons. Mieux, la vie de Cloclo jette du sens sur ses chansons qui paraissent subitement moins plates. « Je suis le mal-aimé », « Comme d’habitude » ou « Reste » émergent, phares, dans ces mélodies issues de drames personnels, d’amours résolument malheureuses, parlant à tous et faisant de lui le chanteur populaire de ces années soixante, soixante-dix.

Dans les yeux des fans à défaut d’être dans ceux du père

La formidable volonté de réussir est sans doute le grand axe du film, la clé d’une vie, force une certaine admiration, peut être même leçon. Elle dynamise tout dans le film, en particulier la quête d’un père qui n’a plus voulu parler au fils saltimbanque. Chez les François, en Égypte, dans la belle demeure flanquée de soleil, les jouets doivent être rangés, on travaille, on joue du violon, on mise sur l’éducation. Le jeune François voussoie son père, l’admire en aiguilleur de tankers dans le canal de Suez. Chez les François, on ne chante pas, on ne danse pas. Mais l’Histoire en a décidé autrement : l’exil, la pauvreté, la faim parfois obligent à des choix improbables, laissent également des traces indélébiles, « tout pouvant toujours, du jour au lendemain, être remis en question ».

La blessure du départ, de l’humiliation familiale, ne se refermera jamais, justifiera la course effrénée au succès ; ne plus mordre la poussière c’est pour l’homme aux soixante-huit millions de disques vendus se hisser à la première place et ne plus la quitter. Las ! Alors que Frank Sinatra le croise des yeux et semble ne pas le reconnaître, Claude n’ose pas l’aborder : il n’est « qu’un petit Français », « qui je suis, moi ? ». Il fut, contre les volontés paternelles, saltimbanque se laissant dévorer par la foule des admirateurs pour un seul qui ne le regardait plus. Rien n’a semblé résister à celui qui ne laissait aucun détail de côté. « Dieu est dans les détails ! » hurle-t-il de colère au jardinier qui n’aligne pas bien les fleurs au Moulin. S’est-il finalement pris pour Dieu dans sa course à la gloire ?

Les débuts, tout laborieux qu’ils furent, révèlent l’opiniâtreté exceptionnelle avec laquelle Claude François a fait de sa vie un destin, une aptitude hors pair à écouter les conseils pour s’adapter aux modes musicales. L’envie de lumière, celle que le jeune Claude avait approchée quasi parfaite en Égypte, le tenailla toujours, le poussera à se revêtir de paillettes, de ce faux des apparences crues, pâle reflet de la lumière tant aimée.

« Pour l’amour de mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs »

Mais en lui, le mal tenace fait son œuvre diabolique, le rongeant chaque jour un peu plus, le rendant invivable : la famille éclatée lui déchire le cœur. Les images finales, flashback poignant, voudraient justifier cette vie frénétique d‘hybris : Claude électrocuté sous la douche dans une scène hitchcockienne, plongeant dans la mort, n’est-il pas encore l’enfant en culotte courte rouge plongeant au bout de la jetée ? ou l’enfant dans les bras de son père ? Sur l’écorce de l’arbre en Égypte, quatre noms gravés : « Cloclo, Jojo, Lulu, Mémé ». Claude, Josette, Aimé, Lucia. Les enfants, les parents. Le temps des sourires tendres et du bonheur a fui trop vite. « On ne change pas, on met juste /Les costumes d’autres et voilà /On ne change pas, on ne cache /Qu’un instant de soi … On a  toujours un geste qui trahit qui l’on est » Ces paroles de Jean-Jacques Goldman pour Céline Dion n’ont jamais, dans le cas de Claude François, été aussi vraies. Le « marteau du courage », « cloche de la liberté » faisant tinter le « bonheur », nul doute qu’il a sonné des heures incandescentes et kitsches mais que Cloclo l’a tenu toute sa vie, désespérément. H.B.

Bande annonce du film 

Avis personnel : Pour adultes.

Interview de Jérémie Rénier sur Europe 1 ici.