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Alain Rémond, ses heures saintes, son livre reposoir

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Schubertien. J’ai honte du cliché. Qualifier de musical le style d’Alain Rémond paraît tellement plat. Mais c’est ainsi. Sa prose simple a quelque chose de La Jeune Fille et la Mort. Familière désormais de ses petits livres tristes et beaux, je me suis laissé surprendre une fois encore par les lignes pudiques de l’ancien chroniqueur vedette de Télérama. Oui, disons-le, bizarrement pudiques.

 

Si comme les précédents livres Ce qui reste de nos vies annonce un récit autobiographique, si comme le miroitant Chaque jour est un adieu ce nouvel opus annonce bien des pages disant « je », il ne révèle jamais de « moi » poseur. Alors qu’il ouvre plus grand, et avec d’infinies précautions, les vannes de l’intime, celles-ci pourtant laissent délicatement bien des mystères béants, laissent l’énigme d’une vie toujours plus profonde. La gageure étonne, grosse de redites jamais identiques, répétitions-leitmotive obsédantes. Lignes chant.

 

Les méandres de ces mémoires intérieurs ont leur source. Tout commence par un hangar, une ferme abandonnée, par ces papiers éparpillés, jetés là. Est-ce profanation que de lire en étranger ces bouts de vies offerts à tous ? Oui, bien sûr. C’est entrer par effraction quoi qu’en dise l’air du temps. « Je sais bien qu’aujourd’hui tout se lit, tout se dit à tout le monde, tout est envoyé à tout le monde, tout le monde peut lire ce que tout le monde écrit sur son ordinateur, tout le monde dit tout de soi à de parfaits inconnus ». Mais, concernant Alain Rémond, cela n’arrivera pas. Promis. « Mes lettres resteront cachées, elles resteront secrètes ». Tout est là dans une entreprise qui n’a guère d’exemple. Écrire une autobiographie, mais rester secret ; révéler sa vie, mais ne pas lever le voile. Livre-mystère.

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit

 

Comme Jean d’Ormesson qui écrit de sa vie Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, Alain Rémond ne veut pas dire tout. La difficulté lui fait mal car comment s’y prendre quand on ne veut pas en même temps que tout s’envole. D’où la force du verbe « reste » dans le titre, maître-mot du récit. Comme une urgence. Comment laisser une trace humble de vérité ? Faire émerger ce qui demeure quand tout est fini, est-ce même possible ?

 

Qu’on ne se méprenne pas. Alain Rémond ne cherche pas à conjurer la mort, à créer de toutes pièces un anti-destin à la manière d’artistes maniérés, non. Il dessine une trace par ce qui pèse, par ce qui vaut cher, par ce qui est précieux : l’amour. Et l’amour, comme il y en a dans le cœur de l’auteur ! Par « une pluie de fin du monde », il chante cet amour en une « litanie des saints » à lui : son père, sa mère, sa sœur Agnès ». Il « ressuscite des vies disparues » en les passant au tamis d’un cœur amoureux qui pense et se souvient, au filtre du temps qui certes décante comme un vieux vin mais qui en cruel ennemi efface. Il ressuscite, artistement sans styliser.

 

L’alcool avait fait son œuvre de mort dans un bonheur sans nuages, avait  déclaré une guerre sans merci entre le père et la mère, « mort de l’amour, mort à l’œuvre » [1]. Trouver les mots avait été si difficile pour le dire. Il n’est donc pas trop d’une fin d’un monde, d’une fin de son monde qu’est toute mort qui approche pour faire œuvre de vie. Pour dire du père ce qu’on n’avait pas encore dit. « C’est à cela que servent les mots, à cela que sert l’écriture : rendre justice à toutes nos vies précieuses, ne rien oublier, jamais. Garder les traces, comme des braises que l’on peut réveiller d‘un souffle »


Ce qui reste de nos vies ? Comme un lied  avant l’aurore. H.B.


[1] Chaque jour est un adieu, p. 60.

 

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Lire également, sur le site de Marianne, “Alain Rémond, Le papier et la vie”, chronique de Guy Konopnicki.

 

Écouter

Alain Rémond était l’invité de Fance culture le 7 avril dernier.