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“Ainsi soient-ils”, III et IV : sens et cohérence d’un choix

Ainsi soient-ils

Ainsi soient-ils, épisodes 3 et 4. Nous voilà donc déjà rendus à la moitié de la série d’Arte. Difficile de crier à la nullité ou à l’ennui : professionnalisme et palpitant de l’histoire sont objectivement au rendez-vous. Gérard Leclerc dans sa chronique radiodiffusée du 16 octobre citaient des chefs-d’œuvre cinématographiques mettant en scène des prêtres pour confondre la médiocrité d’Ainsi soient-ils et rappeler de grands rôles qui révélaient « la grâce d’un sacerdoce qui dépassait » ceux qui l’embrassaient. Je rajouterais volontiers à une si juste liste Le Curé de Tours de Balzac que Jean Carmet (avec Michel Bouquet) a si bien incarné devant la caméra. Mais nous sommes en 2012, et n’en déplaise à certains, cette grâce du sacerdoce existe toujours. Sans doute rayonne-t-elle d’une autre manière dans Ainsi soient-ils. Restons-en donc à l’œuvre, pas aux intentions supposées du réalisateur.

 

Les père Bosco et Cheminade


La grâce du sacerdoce rayonne en effet, avec par exemple la figure du père Bosco, l’intransigeant de la Parole de Dieu. Il compose des « sermons bouleversants », lui en effet que son sermon du dimanche tourmente comme le supplicie la destruction du Temple et les persécutions des disciples du Christ. C’est l’anti-père Cheminade, ce vieux père Honoré si naïvement et si réellement remis à la Providence, « lys des champs », et qui dans l’ambulance s’interroge platement sur la voiture qui le conduit, « diesel ou essence ? ». Belle scène que son cours sur la réconciliation, « coup génial souvent imité jamais égalé », « un acte d’aujourd’hui », « de ressaisissement de soi ». Si tout le sacrement de pénitence ne saurait bien sûr se résumer à ces quelques mots de vulgarisation, entendre cela à la télévision, à une heure de grande écoute, laisse pantois.

 

Le père Fromenger


La grâce rayonne par le père Fromenger également, sous le coup d’une visite pontificale. On le voit dessinant avec patience des idéogrammes chinois, imperméable aux coups bas de sa hiérarchie qui « fait sauter la journée de vocations pour se venger de lui », ne cherchant même pas à se défendre d’abus de pouvoir caractérisés. Ce qui l’intéresse ce sont les « échos mystérieux entre chinois et hébreux » du Cantique des Cantiques. Ce qu’il demande c’est qu’on éloigne de lui « ces misérables querelles de sa petite chapelle » qui lui font honte. On pressent que tout n’est pas bien clair dans ses finances, qu’il s’en tire au prix « d’un numéro acrobatique » mystérieux mais l’emporte, dans ses épisodes le caractérisant, un sentiment d’honnêteté foncière et de bonté. Il refusera le deal du visiteur pontifical  repoussant in extremis la retraite dorée à Shanghai pour en rester au service rude du Christ et de son Église.

 

Figures repousssoirs


Et comme repoussoir de cette belle âme, un cardinal Roman tout occupé à se dépatouiller trivialement d’une grève d’éboueurs d’une commune communiste. Elle pourrait si bien mettre à bas la campagne d’action contre la misère organisée jusque-là au cordeau. L’enjeu de sa réélection à la tête de la Conférence des évêques de France devrait-il passer au second rang des urgences ?


Et comme repoussoir de cette belle âme encore, un inimaginable cardinal Gandz au Vatican, éloigné des préoccupations de ses prêtres, n’écoutant rien du plaidoyer de Bosco en faveur de Fromenger : « Je reprendrai le dossier, aucune décision n’est prise en hâte ; mais vous, mon fils, vous n’existez plus pour moi ; je ne veux plus entendre parler de vous, à Rome, à Paris, nulle part ; votre psaume le dit très bien “Leur langue a provoqué leur chute” ! Hors d’ici ! ». Fiction ? Espérons-le !

 

Cortège de noirceurs ?


Bien sûr, ces deux nouveaux épisodes ont leur cortège de noirceurs, celles de vies lourdes que les scénaristes ont su très bien croquer, les paroles osées des deux chansons rock, l’aveu de l’expérience homosexuelle, le baiser à l’ancienne liaison, l’avortement de la jeune sœur du séminariste. Mais à chaque fois, ce n’est pas gratuit, c’est l’occasion de réactions profondes, Yann se refusant à faire l’apologie du suicide, Raphaël regrettant le baiser adultère dans son surmoi affolé – scène de sexe un peu trop dramatisée convenons-en mais désamorcée par l’humour  –, Guillaume pleurant sur le « sancta Maria » d’un Ave Maria poignant. Ce dernier n’a pas pu faire changer d’avis à sa sœur mineure. Le séminariste s’est effondré lourdement sur son fauteuil à l’hôpital : leur mère n’a-t-elle pas, toute sa vie durant, montré que ses enfants étaient en trop et la gênaient ? À qui la faute ?

 

Un Noël catalyseur de toutes les crises


Il leur en faudra du courage à nos cinq séminaristes pour continuer leur chemin, pour essayer de ne pas finir comme le Père Galzun qui les accueille pour Noël. Mais qui oserait jeter la pierre au prêtre méprisé, au prêtre abandonné ? Les bouteilles d’alcool, le fond de calva trop habituel, choquent bien sûr, mais le plus révoltant n’est-ce pas plutôt ces fidèles mesquins n’ouvrant pas leurs maisons, et n’invitant pas à partager un seul repas ? Noël devient dès lors le temps de toutes les crises. Le prêtre humilié fait grève, si l’on peut dire, de messe de minuit : notre équipe de séminaristes prend alors le relais, compatissante. Chacun tiendra son rôle, en aube. Emmanuel s’occupera de la procession des enfants, Raphaël lira l’Évangile, José fera le sermon, Yann présidera aux chants… Rien de choquant. La réunion de fidèles n’est même pas une adap, mais une simple veillée donnée sans rancune et généreusement à ceux chez qui ils n’ont pourtant pas trouvé à se loger. « Pas prévus au générique ! » Pour crèche, un grenier de fortune, étable toujours actualisée d’un Noël de pauvres. Bref, un vrai Noël…

 

José à part


Notre faible va à José, à l’ex taulard dont la vocation a l’air si forte, si intérieure. Des moments forts le concernant jalonnent ces deux épisodes : l’amphi se fait soudain AG revendicatrice. Sous le fallacieux prétexte de laïcité, les étudiants cherchent à extirper de force le danger obscurantiste que représentent les étudiants-séminaristes approchant un monde qui ne veut pas d’eux. José se lève malgré tout et force à l’écoute : « Si nous sommes parmi vous c’est parce qu’ici c’est le monde, le vrai, le lieu de tous et de chacun, et que le monde c’est vous ». À table, le moisi de la confiture ne le dégoute pas. Son sermon autour de l’actualité de Noël, du changement radical que vient opérer le Sauveur sonne on ne peut plus juste. Au petit Breton nostalgique de sa terre et de sa famille qu’il corrige, il lance : « Notre famille maintenant c’est les hommes, c’est eux notre famille ».

 

En hâte vers les épisodes 5 et 6


Le quatrième épisode s’achève et l’on pressent des drames à venir : que deviendra Guilhem responsable désormais de l’OPA illégale de son père ? Que deviendra l’amitié de Fromenger et de Bosco maintenant que les malversations financières de l’un sont connues de l’autre ? Une chose est sûre, la série met en valeur les archétypes des obstacles à la réalisation d’une vocation. Le monde moderne amoche salement nombre de personnalités. Les séminaristes n’ont pas été épargnés eux non plus et ont des luttes énormes à assumer. Mais les blessés de la vie, Dieu ne les a pas pour cela éliminés de son appel à Le suivre. Il ne refuse pas sa grâce à ceux qui disent simplement oui. Seraient-ils même, aujourd’hui, en raison des épreuves vécues, froment plus mûr pour le sacrifice, plus généreux à répondre que les autres ? Cela traverse l’esprit en regardant le film.

 

Les forums de discussion et certains blogs auront beau s’élever contre les incohérences de certaines scènes, cela sonnera faux à ceux qui auront vu ces quatre épisodes dans leur cohérence. Car, globalement, l’ensemble reste juste. Ça sent même très fort le vrai. Et cela, rien ne peut l’empêcher, comme si le scénariste en certaines occasions n’avait pas pu inventer un détail pareil. Le suspense s’élève grâce à un montage hors pair alternant, diffractant scènes au Vatican et scènes multiples en France. Les lumières de prises de vue léchées donnent un vrai cachet à l’ensemble, que ce soit dans les nobles espaces du Vatican, que ce soit dans des combles ou dans une simple cuisine.

 

L’amour de l’Église et de son mystère saint n’en est pas amoindri pour autant car le chrétien, plus qu’un autre, est lucide sur la part d’hommerie inhérente à toute communauté humaine. Manque ici sans doute la joie de suivre Jésus ; elle n’est pas suffisamment au rendez-vous. La fiction a fait délibérément le choix de la taire. Mais on le sait, pas d’histoire non plus sans aspérités, sans une certaine dose de malheur. Sans doute n’aurait-on d’ailleurs pas la même vision des choses dans une communauté nouvelle que dans un séminaire. Une communauté nouvelle, jeune, organisée pour la prière et pour l’étude, peut aplanir certaines difficultés et porter davantage. Le spectateur sent en tout cas dans ces quatre épisodes des hommes habités pris dans une mission qui aurait tant besoin que les luttes de pouvoir se taisent. Pour que la grâce rayonne à plein.

 

À suivre donc… Reste encore quatre autres épisodes. L’on me promet de tout côté du “gratiné”. Attendons de voir pour juger ! H.B.

 

Sur le site du diocèse de Paris 

Père Dupont-Fauville, Ainsi soient-ils, Décryptage, article paru dans l’hebdomadaire Paris Notre-Dame du 11 octobre 2012.
Père Didier Berthet, Ainsi soient-ils, “Autour d’un séminaire d’une série d’Arte… une fiction bien fictive“.

 

Sur le site du Figaro, version abonnés

Père Thierry-Dominique Humbrecht, o.p., “Les prêtres sont-ils ainsi ?”