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AC, mariage gay : même confusion et absence de scrupules

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Jérôme Serri, journaliste au magazine Lire, ancien directeur du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) d’Ile-de-France, propose une contribution originale au débat sur le “mariage pour tous”. Elle a retenu toute l’attention de notre blog. Nous la publions avec l’aimable autorisation de son auteur. Jérôme Serri a été commissaire de plusieurs expositions : Roland Barthes, le texte et l’image (1986) – Les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert vues par Roland Barthes (1989) – Bleu, blanc, rouge, les couleurs de la France dans la peinture française, de Monet à Picasso (1989) – Les écrits sur l’art d’André Malraux (1996). Il est le seul directeur de FRAC à avoir, en 1985, rompu avec l’État en demandant « moins d’argent, plus de liberté ». Membre du « Groupe de recherches André Malraux » de Paris-IV Sorbonne, il se bat pour que nos responsables politiques cessent de subventionner l’imposture et se mettent à lire sérieusement les textes de l’ancien ministre sans lesquels aucune politique culturelle digne de ce nom ne peut être conduite. H.B 

 

 

ART CONTEMPORAIN, MARIAGE GAY : MÊME CONFUSION, MÊME ABSENCE DE SCRUPULES

Par Jérôme Serri

 

 

  Comparer les méthodes de certains collectifs d’artistes contemporains et celles de certains lobbies homosexuels  est instructif ; on est étonné par la similitude de leurs parcours et leur manque inquiétant de scrupules. On aimerait que les principes de liberté et de tolérance qui caractérisent notre démocratie ne se laissent pas exploiter par un militantisme habile à les retourner contre elle.  Le sens du doute, de l’interrogation, est la noblesse de notre démocratie, c’est aussi son talon d’Achille. Aussi nos politiques devraient-ils redoubler de vigilance. Or, nombre d’entre eux, soucieux de prendre la pose de l’homme de progrès, s’empressent d’acquiescer, avant tout examen sérieux, aux revendications  les plus absurdes de ces minorités agissantes.

 

  Nombre d’artistes contemporains, critiques vis à vis de l’institution du musée, veulent exister ? On met en place pour eux, au début des années quatre-vingts, les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC). Certains homosexuels, autrefois critiques  vis-à-vis de l’institution du mariage, veulent une reconnaissance sociale ? On met en place pour eux, à la fin des années quatre-vingt-dix, le Pacte civil de solidarité (PACS).

 

  Nombre d’artistes contemporains souhaitent que la notion de culture s’ouvre à des pratiques qui n’ont que peu de rapport avec elle ? Qu’à cela ne tienne, le ministère Lang est là pour les subventionner. Certains homosexuels souhaitent que la notion de mariage s’ouvre à des revendications que celui-ci ne peut par nature satisfaire ? Qu’à cela ne tienne, le ministère Taubira est là pour y remédier.

 

  Alors qu’ils avaient les FRAC, nos artistes contemporains ont obtenu la construction de musées. Alors qu’ils avaient le PACS, une minorité déterminée d’homosexuels veut obtenir désormais l’accès au mariage.

 

  Farouchement opposé hier à ce que les FRAC deviennent des musées d’art contemporain, Claude Mollard, l’ancien conseiller de Jack Lang, se félicite aujourd’hui de voir s’en ouvrir plusieurs dans nos régions et justifie son revirement de la façon suivante : « J’avais l’intuition que la création de ces fonds sans lieu aboutirait inévitablement, par leur vitalité, à la création de lieux spécifiques. C’était une stratégie. »  Farouchement opposée hier au mariage homosexuel, la ministre de la justice, Élisabeth Guigou,  approuve aujourd’hui le texte gouvernemental et justifie son revirement en laissant entendre qu’il s’agissait également d’une stratégie : « À l’époque, l’important était de faire passer le PACS. Il y avait une résistance farouche au PACS à l’Assemblée, mais aussi dans la société avec des manifestations, des débordements verbaux inadmissibles… Donc, l’important, c’était de dissocier le PACS du mariage, sur le plan légal et sur le plan symbolique. »

 

“Ne ratez pas à nouveau le train de l’histoire” !


  Tentant d’intimider ceux qui s’irritent d’une plaisanterie qui n’en finit plus, les tenants de l’art contemporain usent d’un argument aussi navrant que celui-ci : « Vos arrière-grands-parents  ont manqué les impressionnistes, ne répétez pas aujourd’hui leur erreur d’hier en passant à côté d’un Jan Fabre qui installe un chaos de dalles funéraires sur les parquets du Louvre au pied des Rubens ou d’un Andres Serrano qui expose une photographie d’un crucifix plongé dans un verre d’urine ». Tentant d’intimider les sénateurs qui préfèrent au mariage homosexuel une union civile, les défenseurs du texte gouvernemental invoquent une même nécessité historique : « Par le passé, le Sénat a refusé le droit de vote aux femmes, ne ratez pas à nouveau le train de l’histoire en refusant de voter le texte du Gouvernement ».

 

  Dans l’un et l’autre cas, la bévue des pères condamne les fils à dorénavant ne plus rien refuser. Plus besoin pour ces derniers d’exercer leur jugement ! S’ils approuvent le mariage homosexuel ou ces installations qui fleurissent jusque dans les hauts lieux de notre patrimoine, ils se comportent en progressistes pleinement de leur temps. S’ils les désapprouvent, il ne tient alors qu’à eux de retourner, comme un gant, leur désapprobation pour connaître de manière infaillible ce que sera le jugement de l’histoire. (Rappelons tout de même que ce sont les radicaux qui refusèrent par trois fois, à la fin des années vingt, le droit de vote aux femmes.)

 

  Curieuse, cette conception du débat selon laquelle il serait inutile d’inviter les citoyens à s’interroger  sur ce qui leur est proposé et sur ses conséquences, sur la pertinence des arguments avancés et sur le sens des mots utilisés ! On auditionne certes, mais l’affaire est déjà entendue. Il s’agit de se rendre à l’ « évidence » de sophismes qui, depuis longtemps, ont supplanté toute pensée rigoureuse.

 

  Il y a, bien entendu, une histoire douloureuse de la condition homosexuelle. Comme il y a une histoire douloureuse, quoique différente,  de la condition de certains artistes au XIXème et au XXème siècles. Mais « le sang des martyrs, comme disait Nietzsche, est le pire ennemi de la vérité », il n’a jamais rien prouvé. Aussi la souffrance des uns et des autres ne doit-elle en rien nous retenir de réfléchir sérieusement en posant correctement les termes des problèmes. 

 

  Lorsqu’un de nos grands professeurs de littérature française moderne et contemporaine du Collège de France, explique que « derrière les mots » du décret précisant la mission du ministère d’André Malraux « se tenait une conception élevée de la culture » et que l’on est passé, en trente ans, de la « culture cultivée » au « tout est culturel » de Jack Lang, lorsqu’il reproche à ce dernier sa réécriture du décret fondateur du ministère, que lui répond l’intéressé ? «  Selon moi, ce décret fut improvisé et rédigé entre deux portes ; je n’en suis pas particulièrement fier et je ne crois pas d’ailleurs à l’utilité de ces textes ». Lorsque d’éminentes personnalités se sont exprimées de manière critique sur la question du mariage homosexuel, certaines avec une hauteur de vue et une humanité remarquables, le même Jack Lang, dans le documentaire Homopoliticus de Jean-Luc Romero diffusé sur la chaîne parlementaire, tient les propos suivants : « Un homme politique, c’est quelqu’un qui doit ouvrir le chemin, qui doit éclairer l’avenir et non pas suivre le dernier chien qui passe. » Tant de désinvolture à l’égard de la réécriture d’un décret qu’il n’a pas le courage d’assumer, tant de mépris à l’égard de personnalités qui ne partagent pas son point de vue sur le mariage homosexuel laissent pour le moins songeur.

  Il n’y a jamais eu de véritable débat public sur l’art contemporain. Il a même été refusé quand, dans les années quatre-vingts, il fut demandé. Devant un « art » dont la puérilité et la dérision très médiatiques finissent par monopoliser tout l’espace de la liberté d’expression, un tel débat s’impose. 

 

Refus du débat approfondi


  Aujourd’hui les Français réclament un débat approfondi sur le mariage homosexuel. Il leur est à ce jour refusé. Devant le manque d’information et les contresens qui nuisent à la sérénité du dialogue entre les Français,  un débat national prenant son temps s’impose. Car du côté de certains homosexuels les choses sont claires. Il suffit d’écouter ce qu’ils disent dans le film de Jean-Luc Romero : « Les homosexuels n’ont plus qu’un seul objectif : l’égalité des droits et la conquête de son hétéro symbole le plus précieux : le mariage. » Mais où ces militants de la cause homosexuelle ont-ils vu, où ont-ils lu que le mariage était un « hétéro symbole » ? C’est eux qui, n’arrivant pas à faire abstraction de la question de l’orientation sexuelle, en ont fait un « hétéro symbole » ; comme si leur homosexualité les empêchait de comprendre que le mariage n’institue nullement une orientation sexuelle mais une réalité biologique incontournable qui contraint tout individu à avoir besoin de l’autre sexe pour engendrer – engendrement d’un enfant que l’un et l’autre ont nécessairement en partage, que cela leur plaise ou non. Devant cette impérieuse nécessité, tout individu, quelle que soit son orientation sexuelle, se trouve à égalité avec tout autre individu, tout citoyen à égalité de droits avec tout autre citoyen.

 

  Aussi le mariage est-il un droit ouvert, non pas aux couples, comme on le dit à tort, mais à l’individu qui est invité, en tant qu’individu libre, à donner librement son consentement. Le mariage  n’est donc en rien discriminant et n’institue en aucun cas une rupture d’égalité, comme on se plaît à le répéter à nos concitoyens en les trompant.

 

  Il est évident ensuite que des deux orientations sexuelles – mais pourquoi n’en retiendrait-on que deux ? – l’hétérosexuelle est, de loin, la mieux adaptée à cette réalité biologique constatée puis, partant, instituée par la loi. Rappelons que, instituer, c’est mettre en ordre, par la règle, des éléments propres à une certaine réalité de façon que ceux-ci soient fermement et correctement assemblés, non seulement dans la société mais également dans ses représentations, et ce afin d’en assurer la solidité.


  Compte tenu de ce destin biologique auquel aucun individu n’échappe, l’institution du mariage ne peut être, en ce qu’elle a de fondamental, modifiée. Sauf à n’être plus elle-même. On peut cependant imaginer d’instituer autre chose  qui serait non plus la réalité biologique mais l’orientation sexuelle. La première difficulté serait alors, pour le législateur, la question du nombre de partenaires. En effet s’arrêter à deux, c’est plaquer arbitrairement le chiffre de l’incontournable dualité homme/femme de la procréation sur la réalité de l’orientation sexuelle ; or, de par sa nature érotique, celle-ci, quelle qu’elle soit, n’est pas prisonnière du nombre deux ; elle peut multiplier les partenaires selon son bon plaisir. Si la logique généalogique de notre civilisation a pour enseigne le chiffre deux, c’est parce que ce nombre définit la réalité même de la relation procréatrice. Aussi retoucher cette enseigne qui a toujours désigné très clairement et sans aucune ambiguïté la spécificité de cette relation, et lui demander de désigner à l’avenir la plasticité d’une orientation sexuelle qui peut prendre différentes formes et multiplier à l’infini le nombre des partenaires, c’est tromper l’opinion publique. Ce n’est nullement introduire plus d’égalité dans notre société ; car, ainsi que nous l’avons montré, cette égalité devant le mariage est réalisée. Le mot « égalité » étant de ces mots qui, comme disait Valéry, « chantent  plus qu’ils ne parlent », les partisans du mariage homosexuel en usent à tort et à travers pour semer dans la société une confusion dont ils sont eux-mêmes, intellectuellement, les premières victimes. 

 

Engagements ? 

 

  « Ce mariage était un engagement du candidat François Hollande », nous répète-t-on à l’envi. Tiens donc ! Seuls, l’ancienne garde des sceaux, Élisabeth Guigou, et l’ancien conseiller du ministre de la culture, Claude Mollard, peuvent se permettre d’abandonner leurs engagements d’hier et les présenter comme des stratégies ?

 

   Monsieur le Président de la République, vous avez gagné les élections. Le mariage homosexuel était un de vos arguments stratégiques de campagne parmi d’autres. Passez maintenant aux choses sérieuses, organisez un grand débat national sur le sujet ! Et puis, demandez à votre Ministre de la culture, Aurélie Filippetti, de bien vouloir organiser celui sur l’art contemporain ! J.S.

 

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Image :
Anonyme XIXe siècle,  Allégorie de la République, coll. part.