Mai 68, la voie d’eau ?
Il y a cinquante ans, mai 68. Un demi-siècle que mai 68 a vu sa jeunesse virer pop, se jeter à corps perdu dans le pouvoir des fleurs et planer sur l’île de Wight. L’enthousiasme échevelé faisait alors table rase de toute autorité. L’amour libre, l’amour fou était le nouveau monde à conquérir quitte à s’enivrer des paradis les plus artificiels et les plus mortifères. En 1992, Laurent Voulzy dans Caché derrière en témoignait dans les tubes de son album « On avait des projets pour la Terre/Pour les Hommes comme la Nature/Faire tomber les barrières, les murs/Les vieux parapets d’Arthur »…
Que reste-t-il de ce « rêve » ? Un paradoxal system qu’Alain Chamfort met à l’honneur dans son dernier opus, fort bien nommé, Le Désordre des choses. À Voulzy qui lançait encore sur le mode léger « Y a une idée pop dans l’air », le chanteur de Manu Reva répond en 2018 que « Tout est pop » de manière désenchantée. Dans une émission sur France 2, « 300 chœurs chantent les plus belles chansons des années 70 » (curseur à 02:10:51), l’affirmation monte en litanies « Tout prend l’eau et on écope ». Les rimes en [op] fusent et dans un jeu de miroirs travaillé les oppositions creusent la nostalgie grave d’un monde qui part à vau-l’eau et qui dérive.
Tout est fou
Habillé de noir et de beige, le chanteur dandy se dandinant, aux rides fines, n’arborait pas ce soir-là une joie débordante de hippie, ni d’euphorie triomphante. Le contraste avec la chorale de jeunes souriants aux tee-shirts colorés était alors saisissant comme s’ils n’avaient pas conscience de ce qu’ils chantaient (1). Lancinant, le mot pop rebondissait polysémique sans doute mais pour dire au fond que tout est fou dans cet immense espace d’autos tamponneuses qu’est notre monde sans sens. Gigantesque télescopage kitsch.
C’est donc, cinquante ans après, la chanson kaléidoscopique d’un naufrage qui sort concomitamment à l’anniversaire de mai 68. Car quand écope-t-on, et parfois jusqu’à l’absurde, sinon quand le bateau coule à cause d’une voie d’eau ? « Tout est pop, tout passe et puis s’en va » entend-on encore logiquement. Un immense sentiment de vanité monte en un crescendo à force de répétitions rythmées et monotones.
« Tube en puissance », tube classique dans son fond et dans sa forme, « Tout est pop » verra probablement nombre de jeunes, de manière parfaitement insouciante, danser sur cet air ciselé dont les références échapperont sans doute à beaucoup. Ce ne sera pas le moindre des paradoxes que cette méprise alors du mot pop…
ALAIN CHAMFORT Tout est pop – 300 Chœurs chantent les années 70 – Avec la Chorale Sankofa Unit from SU Videos on Vimeo.
(1) Un peu comme l’orchestre du Titanic continuant de jouer pendant le naufrage…
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“Les microsillons” extrait du Désordre des choses
“Exister” extrait du Désordre des choses
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Lire sur le site d’Ouest France “Chamfort est bien le roi de la pop française”
Lire sur le site du Monde “L’élégance existentielle d’Alain Chamfort”
Lire sur le site de Télérama “Alain Chamfort le désenchanté”
Lire sur le site de l’Express “Alain Chamfort est-il philosophe ?”
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