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Controverse du passé simple à l’école : réponse à Louise Tourret

passé simple

Louise Tourret, journaliste et productrice de l’émission “Rue des écoles” sur France Culture, commet un article sur Slate, prenant le contre-pied de la polémique récemment lancée à propos de l’effacement organisé du passé simple. Nous lui répondons.

Vous courûtes ! Nous bûmes ! Oui, chère Louise Tourret, le passé simple de courir ou de boire n’est finalement pas si compliqué à former. Puisque vous interpellâtes par deux fois votre lecteur adulte avec un dédaigneux soupçon, par ces deux verbes j’ose donc ici ouvrir ma réponse. Avec à mon tour une interrogation : que les adultes défaillent dédouanerait-il l’école de sa haute mission à l’égard des jeunes ?

Vous vous plaignez de l’énervement qui a suivi la parution de papiers concernant le trépas du passé simple dans l’apprentissage scolaire. Soit. Il y en eut, mais de légitimes. Concédez en tout cas que vous les renvoyez d’un revers d’article avec un énervement tout aussi grand. Injustifié à mon sens. C’est trop facile de stigmatiser un temps difficile quand en réalité il n’y a que cinq façons de construire le passé simple, cinq pas une de plus. Les élèves seront largement confrontés à plus difficile, je vous assure…

Première façon relative aux verbes du 1er groupe [a] : -ai/-as/-a/-âmes/-âtes/-èrent ; deuxième relative aux verbes du deuxième groupe [i] : -is/-is/-it/-îmes/-îtes/-irent ; troisième, quatrième et cinquième façon relatives aux verbes du 3e groupe : [i] : -is/-is/-it/-îmes/-îtes/-irent  ou [y] : -us/-us/-ut/-ûmes/-ûtes/-urent et enfin [ɛ̃] : -ins/-ins/-int/-înmes/-întes/-inrent. Oseriez-vous dire qu’il est difficile de faire comprendre à un élève comment l’on trouve le groupe d’un verbe ? L’emploi et les valeurs, c’est autre chose. Rien à voir d’ailleurs avec la soudaineté, vous le savez, quoi qu’en dise votre titre… Une question de rupture plutôt. Il est certain que si l’on n’apprend jamais les formes, ce sera peine perdue de s’essayer aux valeurs.

Pour un apprentissage systématique

Oui, bien sûr, je regrette que l’on apprenne à l’école le lundi la 1ère personne du passé simple des trois groupes, puis le mardi la 2e personne, le mercredi la 3e et ainsi de suite. Cocasse, n’est-il pas ? Je continue et continuerai, quant à moi, à faire comprendre à mes sixièmes la logique d’un système, celui des six personnes au lieu de tout déconstruire. Par imprégnation. Verbe après verbe. Groupe après groupe. Pendant toute une année. Un quart d’heure par semaine. Et je ne vois pas que mes résultats soient plus mauvais que ceux remportés par ces belles idioties qui consistent à n’apprendre que parties minuscules en les détachant d’un tout compréhensible.

L’accord du verbe avec son sujet

Apprentissage raisonné de la langue, nous assénait-on au début de ma carrière. Eh bien, je ne la vois plus trop la raison dans le galimatias de certains manuels ou de recommandations officielles. Quoi de plus raisonnable que de commencer par la 1re personne… et de finir par la 6e ?

Mais bien plus grave, déconstruire la conjugaison, du passé simple ou d’un autre temps, c’est surtout à terme ne plus rien comprendre, comme c’est déjà bien commencé, à l’accord du verbe avec son sujet, la grande règle de toutes les règles. Et de cela, l’on ne parle guère, de ces six personnes grammaticales et de ces deux nombres qui commandent les terminaisons capitales des verbes. Pas de conjugaison raisonnée ? pas d’intelligence du verbe dans la phrase ! Pas de phrase du tout.

Oui, je regrette que l’on ne focalise que sur les personnes employées le plus fréquemment au passé simple, soit la 3e personne du singulier et du pluriel. De ne jurer en réalité que par l’oral qui serait le seul usage ! Comme si l’écrit ne concernait aucun locuteur.

Vers une pratique généralisée du FLE ?

À vous lire, Madame, et si j’ai bien compris, nous nuançâmes – comme les collants ou les machines à laver – serait frappé d’obsolescence. Je ne le crois pas. On peut décrire ce -âmes – comme d’ailleurs ses sœurs baroques de l’imparfait du subjonctif – lourde forme surannée, surchargée, mais la trouver toujours aussi nécessaire. L’apprendre en l’intériorisant, lui trouver la place appropriée dans son bagage intérieur que construit la mémoire, aideront à lire, à comprendre les auteurs, pas seulement les plus élitaires, mais aussi ce Club des cinq ancienne mode qui a pu ravir, un bref moment, notre jeunesse.

Cet apprentissage concerne chaque jeune, où qu’il vive, où qu’il apprenne. Chaque intelligence en attente a le droit de recevoir ce trésor de la langue française, celui qui fait vivre son verbe. À moins que l’on ne généralise en classe désormais les pratiques FLE, du français langue étrangère. Mais alors, il faut vite nous le dire…

 

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Mise à jour du 23 avril 2018

Lire sur le site du Parisien Aujourd’hui en France, de Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Éducation nationale “Le passé simple est une exigence de justice sociale“.

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Lire sur le site du Point “La fin du passé simple c’est la perte d’une nuance de l’esprit”

Lire sur le site du Point “Et ainsi trépassa le passé simple…”

Lire sur le site de Slate “Quand soudain, le passé simple disparut ?”

Lire sur le site du Figaro “Le passé simple est-il condamné à disparaître ?”