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Carrefour : défendre les légumes rares plutôt que le précieux dimanche

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Travail le dimanche, où en est-on ? N’y aurait-il pas un loup ? Pendant que l’anesthésie générale se poursuit, le groupe de grande distribution Carrefour essaie d’avoir l’air bio en créant le marché interdit de certains légumes ou fruits comme la rhubarbe acidulée de Bretagne, les cocos du Trégor, l’oignon rosé d’Armorique, ou l’artichaut camus du Léon, le potimarron angélique… J’ai même signé la pétition ! On y aurait presque cru à leurs bonnes intentions. Mais qui ne verrait pas là une manœuvre de diversion, un coup de com’ pour cacher quelque-chose d’autre ?

Ce quelque-chose d’autre, l’agence Reuters en a rendu compte la semaine dernière. Il s’agit de la dernière offensive d’Alexandre Bompard, nouveau PDG de Carrefour, qui a promis de détailler avant la fin de l’année son plan de relance de la marque. “Il pourrait faire ouvrir les hypermarchés le dimanche en France, en transférer certains en franchise ou en fermer d’autres, selon un des syndicats du groupe.”

Nouvelles négociations sur le travail le dimanche

De nouvelles négociations sur le travail dominical devaient débuter aujourd’hui 25 septembre… Donc défendre les légumes et les fruits rares oui, mais pas le jour rare et précieux, le dimanche, dans une semaine ordonnée de sept jours. Que certains magasins Carrefour soient à la peine, sans doute, mais il n’est pas démontré qu’ils le soient à cause de la fermeture dominicale.

Actuellement, il n’est pas possible de condamner en un tir groupé les supérettes franchisées, des enseignes comme Franprix à Paris et en région parisienne par exemple, ouvrant illégalement l’après-midi du dimanche alors même que la loi Mallié a permis une extension d’horaire jusqu’à 13h. L’habileté consiste à afficher “Ouvert dès 09h le dimanche” en taisant l’horaire de fermeture comme par exemple, rue d’Assas, cette supérette Super U ou celle de Monop affichant en petit A4 une exception parfaitement illégale (photo ci-dessous). Toutes font de même. Elles tablent sur le nombre ouvrant illégalement en même temps, impossibles à verbaliser en même temps. Y aurait-il entente ?

Personne n’est dupe évidemment : car amadouer toute le monde en promettant compensations diverses et variées n’aura qu’un temps. Une fois tombées, celles-ci laisseront place au dimanche, jour comme un autre que personne ne pourra refuser. Puis ce sera le travail “le soir” comme on dit… Après 20h, il y a moins de dix ans, on parlait de travail de nuit.

Enfin, ceux qui regimberont recevront, grâce aux très démocratiques ordonnances, un chèque d’indemnités au montant plafonné par la loi. C’est beau la liberté !

Les dessous de l’affaire : 17 juillet 2017, mort de l’arrêté de fermeture

Interrogeant Vincent Lecourt, Avocat au Barreau du Val d’Oise, j’apprends que l’on vient de franchir une nouvelle étape dans la bataille du travail dominical : “c’est le Préfet, à la demande unanime des employeurs, qui a mis fin à l’arrêté de fermeture dans le secteur alimentaire imposant à chaque entreprise alimentaire à Paris de fermer soit le dimanche soit le lundi, sauf pendant la période des fêtes. C’est ce qu’on appelle un arrêté de fermeture. Cela constituait le dernier blocage d’une ouverture 7/7 à Paris. Pas de recours possible.” Ce doit être la fête chez les employeurs.

“L’arrêté abrogatif date du 17 juillet. Prendre un arrêté pendant les vacances évite bien des soucis ! La fin de l’interdiction s’appliquera à compter du 17 octobre.” De quoi fêter Pâques avant Noël…

Sera-ce la fin programmée des commerçants indépendants qui ne tiendront pas, sauf à rentrer dans cette logique du tout consumériste ? “Probablement. Les enseignes peuvent se frotter les mains. Comment les cavistes de chez Nicolas par exemple réagiront ? N’était-ce pas ce qui leur permettait à Paris de fermer le dimanche ?”

La soirée, même au-delà de minuit

Indigné, Vincent Lecourt précise encore : “Désormais les ordonnances devraient permettre de sortir du temps de travail toutes les opérations de caisse, le ménage après la fermeture des magasins au public, de sorte que la nuit ne commencera plus à 21 heures et le travail en soirée ne s’arrêtera plus à minuit. Toujours plus de flexibilité, au détriment du temps social et familial, des femmes, des précaires mais aussi des plus pauvres.”

Coût personnel du travail le dimanche

L’hebdomadaire Le Point rappelle de son côté, aujourd’hui précisément que “pour la première fois, des sociologues ont étudié l’impact du travail dominical sur ceux qui travaillent.” Ce qu’a déjà réalisé au niveau européen L’European Sunday Alliance de manière fine et rigoureuse. Des conclusions sans appel. Le travail dominical a un coût personnel. Un peu de bon sens suffisait pour le deviner. Désormais, les études le confirment. Le précieux de ce jour à part mérite donc bien qu’on déploie autant d’énergie que pour les légumes et fruits rares : être bioconservateur vraiment ou pas du tout !

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Extrait de Le travail du dimanche, Enjeux économiques et sociaux (François-Xavier Devetter), Arguments, Bureau d’études de la CFTC.

 

Réécouter l’émission Qui vive ? du 10 septembre 2017 par Raphaël Enthoven

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