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Le Tartuffe de Michel Fau : formellement baroque

 

Au mois de mai, l’affiche en forme de vanité nous l’annonçait : avec ses pierres précieuses de joaillerie, ses sabliers, ses roses épanouies et sa tête de mort flashy, Le Tartuffe ou l’Imposteur monté par Michel Fau au Théâtre de la Porte-Saint-Martin serait baroque. Et baroque, la pièce le fut assurément ! L’esthétique flamboyante et en trompe-l’œil des riches décors d’un chœur d’église, le maniérisme, l’alambiqué des gestes et des postures ampoulées, certaines voix à la limite du haute-contre, les couleurs chatoyantes des si riches costumes, la musique ressuscitant Haëndel ou Allegri, bref la virtuosité de cette mise en scène, oui tout fut baroque. Ce qui s’appelle baroque ! La promesse a été bien tenue.

Ornemental

D’un autre côté pourtant, on regrettera peut-être que ce baroque n’ait été qu’ornemental et si peu métaphysique. Le memento mori n’affleure pas. Si la pièce reste malgré tout une vraie réussite de ce point de vue – baroque – on reste plus qu’interrogatif sur le traitement de certains personnages, en particulier sur le rôle de Cléante et du couple Valère/Marianne. Que Cléante paraisse autant de fois sortir de ses gonds, lui le modéré, le rôle que Molière a développé dans le sens de l’honnête homme raisonnable pour contenter la censure, surprend. Que l’héroïque Valère sur son cheval bleu ait cette voix haut perchée à peine audible aux spectateurs de la corbeille, que la doucette Marianne déclame si lentement dans une voix grave de rappeuse, étonne. Kitsch assurément ce couple bleu si bien costumé, en venant à s’arracher les cheveux dans la scène de dépit amoureux, au propre comme au figuré. Bizarre détricotage des stéréotypes de genre. Mais on ne peut plus baroque encore. Excellents acteurs tous les trois, ils campent des personnages dont ils infléchissent la signification des rôles.

Parodie d’autosacramental

Ce n’est pas le cas de Tartuffe joué par Michel Fau, diabolique en diable, tout perdu qu’il est dans sa grande robe cardinalice ou… luciférienne. Point de robe noire syncrétique des intégrismes religieux comme l’avait mis en scène en 1995 Ariane Mnouchkine. Mais il n’en est pas moins inquiétant avec la haire brune sur la peau nue et perçant sous la soie pourpre. Une façon de déclamer l’alexandrin tantôt froide et mécanique, tantôt sirupeuse selon qu’il joue le dévôt, selon que le masque tombe dans ses essais donjuanesques. Point de table où séduire Elmire, mais un autel reposoir où les actes deviennent profanations, parodie d’autosacramental, cette représentation espagnole en vogue au XVIIe siècle autour du mystère de l’Eucharistie. Bien vu. L’imposteur n’avait-il pas auréolé sa « souveraine », ne l’avait-il pas élevé au rang de divinité ? Michel Fau ne l’avait-il pas introduite sur scène figée dans une stalle comme en majesté dans une fresque du chœur ? Ne l’avait-il pas fait par son diadème cœur d’un ostensoir ? Il ne restait qu’à la célébrer sur les autels. À la tartuffier. Le brillant costume créé par Chritian Lacroix n’a pas manqué cet aspect-là et le double-jeu d’Elmire s’est épanoui avec brio.

Un Tartuffe qui fera date

Naturellement le parti pris du baroque s’explique là tout entier. Par le jeu des fausses apparences, des leurres et du change que l’on donne, réalisant un formidable trompe-l’œil théâtral. Par ces visages que l’on grime à outrance et qui montrent ce que l’on n’est pas. Sur ce grand théâtre du monde qu’est la demeure d’Orgon, un seul personnage vrai, Dorine à la parole aussi forte que son sein bien rond. Remarquable Christine Murillo. Le réalisme de l’intendante de maison a dynamisé fort heureusement une pièce trop souvent statique. Quant à Michel Bouquet et quoique sa voix éraillée ne soit guère arrivée jusqu’à nous (comme celle de Juliette Carré en Mme Pernelle d’ailleurs), sa silhouette frêle de petit monsieur de Port-Royal révéla moins le fanatique que l’homme dépassé, avalé, broyé par l’hypocrite. La performance fut saluée à la fin par une standing ovation. Tous avions conscience du précieux de l’événement. Un Tartuffe qui fera date.

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