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Oscars 2017 : L’amour heureux ? Lalaland…

Lalaland

(Cet article analyse la fin et la révèle donc… Avertissement à destination de ceux qui n’auraient pas encore vu le film)

Il y a une culture française. La preuve par la peinture, la sculpture, la poésie ou même la spiritualité ? Non ! Par la fin de Lalaland ! Certes, Damien Chazelle est un réalisateur américain mais ses origines françaises, son goût pour les comédies musicales françaises, la langue française qu’il parle parfaitement révèlent des choix qui tiennent davantage de la complexité culturelle française que d’une forme de simplisme américain revendiqué.

Nommé quatorze fois aux Oscars Lalaland n’a pas volé sa course en tête de la célèbre cérémonie. Le film est brillant. Le film passe par des scènes époustouflantes dont l’ouverture Another day of sun où toute l’énergie originale d’un matin recommençant est happée dans un tourbillon de couleurs et de bonne humeur. Tour de force lumineux que cette scène tournée sur une bretelle d’autoroute bloquée une demi-journée pour son tournage.

À l’assaut des stéréotypes

L’intrigue commence comme une réécriture de contes de fée, de Cendrillon : le prince charmant ramasse les souliers bleus de la pétillante jeune fille en robe jaune d’or mais les lui rend. Le coucher de soleil sur Los Angeles a donné lieu à une rencontre à l’ironie souriante, loin de tout romantisme stéréotypé. On avait été tôt averti avec le doigt d’honneur en guise de coup de foudre inaugural, avec la bousculade grossière de la première rencontre. Justesse cependant des balbutiements de l’amour. Combien d’histoires d’amour ne commencent-elles pas effectivement par du dépit amoureux ? Si les amoureux de Lalaland finissent par se reconnaître, ils ne tombent pas immédiatement dans les bras l’un de l’autre. Quand le baiser hollywoodien advient malgré tout, après quelques ratés cocasses, il est le fruit de plusieurs épisodes de doutes et de péripéties. Scène poétique de danse à l’observatoire de Griffith sur les hauteurs d’Hollywood. Élégance des gestes entre cet homme-ci et cette femme-là, profondeur des sentiments. Pudeur et fraîcheur des commencements.

Le scénario se déploie de danses en danses, de chants en chants, passant des zooms sur Mia, la femme promise à un beau destin d’actrice accomplie, à Sebastian as des claviers de groupes de jazz. Après moult échecs, chacun séparément réussira à donner vie aux rêves qui l’animaient, à vivre de sa passion, chacun comprenant celle de l’autre, chacun même acteur de la passion de l’autre. Mais cette réalisation a un prix à payer : l’histoire d’amour n’ira pas jusqu’au happy end. Lalaland l’annonce d’ailleurs avec son titre emblématique : il y a la vie déconnectée de la réalité et la vraie vie. Au cinéma, le spectateur rêveur espère naturellement les retrouvailles de Mia et de Sebastian. Dans la vraie vie, au bout de cinq ans de séparation, place à la désillusion nostalgique.

Fin frustrante ?

La fin peut frustrer. Beaucoup la critiquent. Elle n’en reste pas moins intelligente et juste. Elle pose la grande énigme de l’existence et de l’irréductibilité des choix qui ne se rattrapent pas. Ce long moment final, très travaillé, sous les notes du thème de Mia et de Sébastien, imagine en un faux flash-back ce qu’aurait pu être la vie rêvée du couple, une fin imaginaire heureuse comme si la réelle était la malheureuse. Doux-amer, l’épilogue offre un point d’orgue sur un dernier échange de regards magnifiques. L’inverse du trop irréel coup de foudre de l’amour naissant, le coup de foudre final. Les aiguillages de la vie ont eu apparemment raison de l’amour, plus puissants que toutes les volontés. L’art surtout aurait-il vaincu l’amour pour que l’amour ne vainque pas l’art ?

Plus intelligente que satisfaisante, la conclusion de Lalaland donne au film une signature originale. Elle exploite une complexité que peu de comédies musicales hollywoodiennes avaient choisie jusqu’à présent. C’est en cela que l’on peut dire qu’il y a influence française. Il n’y a qu’à se souvenir du nombre de fins que le cinéma américain a réécrites des films français qu’il transpose. Denis de Rougemont l’avait affirmé : « L’amour heureux n’a pas d’histoires ». Le film mélancolique de Damien Chazelle le dit autrement : L’amour heureux ? Lalaland…


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Réécouter “Le Masque et la plume” du 5 février 2017 dédié entre autres à Lalaland. Méchante critique de Murat pour Téléréma.

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Mise à jour du 5 mars 2017

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