Cloches d’Asswiller : réponse à Raphaël Enthoven
Carte blanche du 13 février 2016 – Cloches d’Asswiller : réponse à Raphaël Enthoven
Louis Daufresne : Ce matin, il est question de cloches à la faveur de l’actualité : le maire d’Asswiller dans le Bas-Rhin a trois mois pour atténuer le bruit de la sonnerie de l’horloge de l’église, entre 22 heures et 7 heures. Ce n’est pas la première fois que surviennent ce type d’histoires. Alors c’est ce qu’a décidé le Tribunal administratif de Strasbourg.
Hélène Bodenez : Oui des habitants ont fait valoir la nuisance des cloches de l’église par leur fréquence et leur intensité. Et ils ont eu gain de cause au bout de neuf ans de bataille juridique avec la mairie. Actualité insolite qui a fait réagir le chroniqueur célèbre de la station de radio Europe 1, Raphaël Enthoven. Comme chaque matin, le philosophe intervient brillamment. Ça commence souvent très bien. Mais j’avoue être souvent déçue des conclusions. Comme sur cette affaire des cloches d’Asswiller. Après avoir cité « Spleen » de Baudelaire, Enthoven interprète : « la cloche… ne donnerait à entendre que le silence au lieu de l’interrompre »… Ce serait « Dieu qui dit non à l’homme qui supplie »… « le rappel implacable que nous ne sommes jamais entendus »… La morale tombe « Les cloches sont le glas des prières ».
L.D. : Alors vous estimez que c’est une sécularisation pour le moins étrange…
H.B. : Oui, avec une prétention à la morale, à une morale de l’info laïque qui affirme glorieusement le credo de la mort de Dieu et de son silence auprès des hommes. Je voudrais donc m’inscrire en faux contre cela. Nommées, baptisées, les cloches accompagnent nombre d’événements heureux et malheureux des âmes des villes et villages. Baptêmes, mariages, elles tintinnabulent joyeuses. Elles sonnent le tourment et la peine avec le glas ou le tocsin annonçant enterrements ou mobilisation de guerre. Associées au temps dont le Christ est le maître, elles révèlent une puissante dimension de la vie humaine. À la volée, universelles, elles se lancent vers le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest, vibrant pour tous, pour le monde entier. Loin de toute superstition, leur pouvoir de purification est réel un peu comme lorsque la Porte Sainte s’ouvre à Rome. L’air qu’elles brassent, air vicié et lourd de l’esprit mauvais, se purifiera certainement.
L.D. : On parle même de sacramentaux…
H.B. : Exactement Louis ! Protectrices, les cloches ne sont pas du folklore à protéger dans une culture moribonde. Nommées dans les sacramentaux permanents, elles ont un effet spirituel que nous n’attendons pas forcément. Il y a deux ans le 15 août elles ont sonné pour nos frères d’Orient. Cette portée religieuse, Baudelaire la reconnaissait dans un autre poème qu’Enthoven n’a pas cité l’autre jour : « Bienheureuse cloche… Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,/Jette fidèlement son cri religieux ». Soljenitsyne de son côté les juge nécessaires pour nous rappeler les choses d’en-haut : « De tout temps il y a eu des hommes avides, souvent il y en a eu de méchants. Mais la cloche du soir retentissait, ruisselant sur le village, sur les champs, sur les bois : elle rappelait qu’il faut laisser là les petites affaires terrestres, qu’il faut donner une heure et un peu de ses pensées à l’Éternel ».