Orthographe simplifiée : donner moins à ceux qui ont moins
Carte blanche du 9 janvier 2017 – Orthographe simplifiée : donner moins à ceux qui ont moins
Louis Daufresne : Grâce aux réseaux sociaux, il est possible de suivre en live tel ou tel événement. Ainsi, les vœux du président de la république, dernièrement donc, le 31 décembre sur twitter. Le texte, relayé par les télévisions et les radios, se déploie en courtes séquences de cent quarante caractères via le compte twitter de l’Élysée. Mais le moment solennel a tourné à la déconfiture avec des tweets qui comportaient de stupéfiantes fautes d’orthographe.
Hélène Bodenez : Et aucune indulgence possible, Louis, car ce n’est pas un tweet, ni deux tweets qui furent mal orthographiés mais cinq. Qui n’a jamais lâché une coquille dans un courrier lancé trop rapidement ? Nous avons tous été victimes un jour d’un moment d’inattention qui ne fait pas de nous pour cela des illettrés. Mais cinq tweets ! Avec d’énormes fautes de grammaire. Même pas possible d’incriminer l’écriture intuitive. Il y eut d’abord ce « c’est vous qui auraient » … -r.a.i.e.n.t ; puis la confusion et/est ; l’accord de bons en pluriel alors qu’il était employé comme adverbe invariable dans « Face aux attaques vous avez tenu bons » ; la confusion énorme de la 1ère personne du singulier du conditionnel présent en –rais avec celle du futur de l’indicatif en –rai à propos du verbe se rendre ; enfin, le mot « cotés », écrit sans accent circonflexe, alors que les rectifications orthographiques de 1990 ne concernent, et encore de manière facultative, que le i et le u. Sur une douzaine de tweets, avouez que c’est beaucoup. À ce niveau, et avec un texte donné à l’avance, on reste plus que surpris. Comme des cerises rouge brillant sur le gâteau plus très frais de la réforme du collège !
L.D. : Quel lien, Hélène, avec la réforme du collège ?
H.B. : Aucun apparemment, bien sûr, Louis. Le community manager de l’Élysée n’en est évidemment pas le fruit. Mais c’est symbolique du délitement venant des élites elles-mêmes. Robert Redeker dans une remarquable tribune du Figaro le 5 décembre dernier analyse avec perspicacité notre « langue malmenée » comme « un héritage disloqué ». La langue, « chair de la nation », écrit-il, est maltraitée, déchirée. Pour Redeker, si la grammaire est le « liant des idées », alors la dislocation des mots révèle une autre dislocation, celle « de la pensée et celle de la politique ».
L.D. : Cette obsession de la juste graphie, n’est-ce pas une vision un peu intransigeante ?
H.B.: C’est ce que l’on voudrait faire croire. Comme l’a fort bien relayé Télérama (qui n’est pas forcément un journal intransigeant) ces jours-ci, on voudrait faire admettre une « grammaire simplifiée », « négociable ». Le témoignage d’une enseignante en formation laisse sans voix : il concerne les modifications de la terminologie grammaticale à employer avec les élèves dès cette année avec la réforme du collège. Exemple de nouvelle notion alors que l’on prétend simplifier : le prédicat « ce que l’on dit du sujet » ! L’intransigeance, où croyez-vous qu’elle soit, Louis ? Du côté de ceux qui voulant gommer les inégalités à l’école en arrivent à donner moins à ceux qui ont moins ?